Posted By JFM On 22 janvier 2009 @ 9:16 In Autonomie, Universités | Comments Disabled
La nouvelle loi sur l’autonomie des universités (LRU) semblait sonner le glas, à terme, d’une institution qui avait dominé les carrières des enseignants chercheurs pendant de longues années : le Conseil National des Universités (CNU). Certes on lui conservait la fonction de qualification des candidats aux fonctions de professeurs et de maîtres de conférences, mais les dispositions de la loi qui faisaient redescendre au niveau des universités toutes les promotions, et qui donnaient aux conseils d’administration et aux présidents toute latitude pour gérer les ressources humaines, semblaient disqualifier à terme le CNU. Ce conseil paraissait, en effet, intimement lié à la gestion des enseignants-chercheurs dans le système de pilotage centralisé des universités qui prévalait jusqu’alors et que la LRU entendait remplacer. Mais les défauts de la gouvernance mise en place par la LRU suscitent méfiances et oppositions dans la communauté universitaire qui redoute de voir tous les aspects de la carrière des enseignants chercheurs (recrutements, promotions, modulation de services, primes…) soumises à l’arbitraire d’un pouvoir présidentiel renforcé et sans garde-fous - la question des promotions étant la plus brûlante.
[1] Le discours prononcé le 15 janvier 2009par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche devant l’assemblée des présidents et vice-présidents de sections du CNU, ainsi que le débat qui a suivi[2] [1], marquent un changement de ton et de stratégie vis-à-vis de la contestation universitaire. Certes les mesures annoncées restent limitées et incomplètes, et il n’est pas du tout sûr que cela suffise à calmer les esprits. Cependant, pour la première fois, le ministère prend sérieusement en compte les objections de fond faites à un aspect essentiel de la réforme et la tension qu’elle introduit entre le statut de fonctionnaire d’Etat[3] [2] des enseignants-chercheurs et la gestion de leurs carrières à l’échelon local.
Certains ne se privent pas d’en conclure : « la ministre est aux abois, profitons-en pour aller plus loin et pour réclamer l’abandon de toute la réforme ». Nous n’entrerons pas dans ce débat ici, n’étant pas partisan de la stratégie du tout ou rien. Nous nous contenterons de souligner que, pour la première fois, s’est ouvert un espace de négociation, dans un esprit de compromis.
CE QU’ON PEUT EN RETENIR
Au-delà des précisions qui sont apportées sur le texte du décret statutaire, et de l’engagement que « l’objectif n’est pas d’augmenter le service d’enseignement des enseignants chercheurs », il y a surtout l’affirmation « qu’il n’est pas question que les décisions de répartition des services puissent être prises sans une référence, nationale pour les principes, et individuelle pour l’évaluation des activités de chacun ». Il faut cependant concilier cette exigence avec la loi qui donne aux conseils d’administration tout pouvoir pour définir les services. La ministre avance une solution « contractuelle » : elle propose d’avoir « une charte nationale sur laquelle s’appuierait un cahier des charges annexé au contrat quadriennal de chaque université ». Il faudra voir comment ce principe sera décliné, mais cette mesure ne serait pas vide dès lors qu’il y aurait un affichage public des règles.
En effet, la transparence des décisions est une question essentielle. Elle fait partie de la tradition académique anglo-saxonne, mais beaucoup moins de la tradition française. C’est pourquoi les mesures annoncées en ce sens sont nouvelles et importantes. Ainsi il est proposé que les décisions des universités consécutives à l’évaluation des universitaires par le CNU « fassent l’objet d’une publicité sur le site du ministère », et que le conseil d’administration ait l’obligation de « s’expliquer s’il s’écartait des résultats de l’évaluation ». « Toutes les propositions d’avancement formulées par le conseil d’administration seront motivées et rendues publiques ».
Enfin il est prévu une possibilité d’appel auprès de l’instance nationale[4] [3]« pour ceux qui, classés A par le CNU deux années consécutives, n’auraient pour autant pas été promus ». Le CNU pourrait ainsi statuer souverainement sur 5% de cas litigieux de promotions. Ce pourcentage est assez faible pour ne pas rogner les prérogatives des universités, mais la seule existence d’une telle possibilité d’appel pourrait être une incitation forte à respecter les avis du CNU.
Reste à donner au CNU les moyens d’assumer correctement ses missions (l’évaluation systématique de tous les enseignants-chercheurs n’est pas rien !). La ministre a annoncé des premières mesures (indemnités convertibles en décharges, création d’un secrétariat permanent) qui sont considérées comme insuffisantes par certains. Mais ceci pourrait faire l’objet de négociations lors de l’élaboration du prochain décret fixant les missions et les modalités de fonctionnement du futur CNU. L’assurance a d’ores et déjà été donnée que sa composition respecterait l’équilibre qui est le sien aujourd’hui de 2/3 de membres élus et de 1/3 de membres nommés.
UN NOUVEL AVENIR POUR LE CNU ?
Après cette déclaration, le CNU paraît retrouver un avenir. Il n’est pas étonnant, en tout cas, que le président de la Conférence permanente du CNU (CP-CNU), Jacques Moret, se déclare plutôt satisfait. « Le projet de décret reprend les propositions que nous avions faites précédemment : c’est donc plutôt positif. La ministre a montré par ces annonces qu’elle prenait en compte les avis du CNU. (..) Sur le décret du CNU, qui est en cours d’écriture, force est de constater que la ministre a repris la quasi-totalité de nos propositions. (..) Mais certains collègues estiment que ces avancées ne sont pas assez significatives »[5] [4]. La CP-CNU prendra position en assemblée générale le 26 janvier 2009. Reste à savoir si elle se rangera derrière son président, ou si elle le désavouera comme certains le lui promettent déjà[6] [5].
Du côté syndical, les réactions sont diverses :
« Les déclarations de Valérie Pécresse permettent de répondre à un certain nombre de questions que nous nous posions » estime Thierry Cadart, secrétaire général du SGEN-CFDT [7] [6]. Agnès Richaume-Jolion, vice présidente de la 67ème section du CNU, écrit dans son [8] compte-rendu : « ce qui a été présenté constitue une avancée substantielle par rapport au texte initial et aux inquiétudes qu’il avait (à juste titre) suscitées. Les garde-fous par rapport aux décisions locales et aux pouvoirs conférés aux présidents par la LRU sont posés. La volonté de transparence et d’équité semble sincère ».
Du côté du SNESUP (majoritaire parmi les membres élus du CNU) la chanson est toute autre :
« Valérie Pécresse s’entête. Passant outre à la motion présentée à l’initiative de Marc Peigné, président de la 25ème section du CNU, demandant le retrait du projet actuel, la ministre n’a proposé que des modifications cosmétiques de ce texte ». Pour les signataires, le projet de décret « confère aux exécutifs locaux des établissements d’enseignement supérieur et des pouvoirs exorbitants qui fragilisent les équilibres de la recherche et de l’enseignement au mépris de l’intérêt scientifique et celui des étudiants. Des pouvoirs que les très timides concessions quant au rôle futur du CNU ne contrebalancent aucunement ».[9] [7]
L’association QSF (qui a des élus au CNU) « estime que les amendements annoncés au projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs ne suffisent pas pour rassurer la communauté universitaire, notamment en ce qui concerne les dispositifs prévus pour déterminer la modulation des services et l’avancement des carrières. QSF réaffirme son attachement à une évaluation disciplinaire nationale et son opposition au localisme, au clientélisme que ce texte risque de renforcer ».
Les différents comptes-rendus du débat qui a suivi la déclaration ministérielle sont intéressants à consulter pour les divergences qu’ils manifestent. Ils mettent en évidence des interventions préparées à l’avance qui ne tiennent aucun compte de ce qui est annoncé par la ministre. Dans un compte rendu figurant sur le forum du SNESUP on peut lire : « ambiance tendue et hostile ; V. Pécresse assez sur la défensive et parfois prise à douter. Quand elle n’a plus d’argument, elle dit « faites moi confiance » ou alors « j’ai répondu aux questions ». Tandis que dans le compte-rendu de la CP-CNU figurant sur le site de SLU, on apprend qu’il y a eu des applaudissements en fin de la séance (très minoritaires selon Marc Peigné[10] [8]).
EN CONCLUSION
La rencontre du 15 janvier entre Valérie Pécresse et la CP-CNU est intéressante, à la fois à cause de la nouvelle ouverture ministérielle, et de l’attitude de ses interlocuteurs. La réforme des universités a été menée jusqu’ici à marches forcées et de façon non consensuelle par le ministère. Peut-être avec le sentiment qu’il s’agit d’une réforme si profonde et tellement en rupture avec la culture du milieu universitaire qu’il est illusoire de rechercher son adhésion spontanée. Mais cette méthode « agressive » a accumulé et radicalisé les oppositions jusqu’au point de menacer l’équilibre de l’institution. Inspirée par la crainte ou la sagesse (ou les deux) la ministre a ouvert un espace de négociation sur la question extrêmement sensible du statut et des carrières des enseignants-chercheurs, en jouant de la transparence et en donnant au CNU un rôle de régulateur externe des nouvelles compétences des universités. Cette attitude est reconnue comme positive par certains de ses interlocuteurs, mais ne trouve pas d’écho auprès des plus radicaux, car ceux-ci veulent mettre à bas l’ensemble de la réforme.
L’opposition radicale rassemble à la fois des éléments de gauche[11] [9] et les héritiers d’une droite qualifiée autrefois de « mandarinale ». Elle se place dans une perspective essentiellement défensive de maintien du statu quo ante. Comme si l’université que nous avons connue jusqu’ici était le meilleur des mondes à préserver. Une des caractéristiques de ce statu quo est le pilotage national des universités et de leurs personnels, auquel on attribue toutes les vertus, alors que l’échelon local est décrit comme « un petit monde » où règnent les « conflits personnels », le « localisme », le « clientélisme ». Comme si les instances nationales et le CNU en particulier, étaient préservées de ces tares… Et s’il s’agit de défendre l’indépendance des universitaires, il paraît mal venu de proclamer qu’une fois livrés à eux-mêmes, ils feront n’importe quoi !
Ce qui est vrai, c’est qu’il n’y a pas d’autonomie sans référence extérieure, et qu’il faut mettre des garde-fous à l’autorité des présidents et des conseils d’administration si l’on veut conserver un véritable statut national. La recherche d’un équilibre entre l’échelon local et l’échelon national est donc un enjeu capital.
[14] [2]Ce point constitue une différence forte avec les universités anglo-saxonnes.[15]
[16] [3]Il s’agit de l’instance nationale prévue dans le projet de décret pour les promotions spécifiques qui est, majoritairement, une émanation du CNU.[17]
[18] [4]Dépêche AEF n°107743 du 16 janvier 2009.[19]
[26] [9]Pour la gauche, il est paradoxal de faire confiance à l’Etat dirigé par un gouvernement de droite, plutôt qu’aux universités et à leurs CA élus…
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