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Les universités, le CNRS et les grandes écoles

Posted By JFM On 22 septembre 2007 @ 17:32 In Grandes Ecoles, Autonomie, Universités | Comments Disabled

1- Les universités sont dans des situations extrêmement diverses, s’agissant de la recherche et de la relation aux organismes.

Historiquement le développement de la recherche s’est fait autour des organismes, avec le rôle structurant majeur du CNRS. Celui-ci a investi de façon importante sur un nombre limité de campus universitaires. Douze établissements ont moitié de tous les chercheurs du CNRS[1] [1]. Mais ils sont loin de constituer des ensembles homogènes du point de vue de la nature et de la qualité des équipes.

A l’autre extrême on trouve des établissements dont la création a été tellement soumise à l’accueil de flux nouveaux d’étudiants avec des moyens limités, dans un contexte régional ou local particulier, qu’ils sont avant tout des instruments de formation, avec très peu de recherche compétitive (mis à part quelques individualités). La recherche qui s’y fait prend son sens par rapport à la formation et aussi, dans le meilleur des cas, par rapport à l’économie locale[2] [2].

On trouve toutes les situations intermédiaires, avec notamment des universités moyennes qui ont su favoriser le développement de quelques très bons laboratoires en leur sein, tout en se montrant actives dans la promotion sociale supérieure et la formation professionnalisante.

Il est certain que l’autonomie croissante des universités va encore diversifier le paysage. Mais il faudrait maintenir une certaine fluidité dans le passage d’un établissement à l’autre, dans le périmètre des réseaux scientifiques,…, et éviter de reproduire parmi le universités la hiérarchie sociale figée des grandes écoles.

2- La politique « d’umérisation » généralisée donne un même cadre formel à des réalités totalement différentes. Vers des partenariats différenciés avec le CNRS ?

Si l’on prend l’exemple de l’université Paris-Sud, on peut y dénombrer une vingtaine de laboratoires (principalement de Physique) qui comptent environ 600 chercheurs CNRS et 300 enseignants-chercheurs. Ces laboratoires n’ont d’UMR que le nom. Ils reçoivent l’essentiel de leurs crédits structurels du CNRS et 10 à 15% seulement de la recherche universitaire[3] [3]. Sans parler des contrats de l’ANR, des contrats européens,.., qui représentent un volume considérable. Certes ils bénéficient, de la part de l’Université, de crédits d’infrastructure et de soutien à la formation doctorale, ainsi que des BQR crédits et emplois et du fonds d’intervention. Mais c’est peu de choses et les moyens d’intervention de la Présidence à leur égard restent limités. Disposant de moyens propres importants et de leurs équipes administratives et techniques CNRS, ils se perçoivent comme largement autonomes par rapport aux structures universitaires.

La politique « d’umérisation » généralisée correspond à une époque où le CNRS était vu comme le pivot de la recherche française, sur lequel tout devait s’articuler, en face d’universités faibles mais qui étaient devenues les principaux réservoirs de « main d’œuvre scientifique »[4] [4].

Si les universités assument leur autonomie et deviennent plus conformes aux standards internationaux, la situation devrait considérablement changer. Quelles que soient les formes institutionnelles de cette évolution, les universités tendront à devenir des opérateurs de recherche à part entière, et voudront être maîtres de leurs laboratoires et de leurs personnels[5] [5].

On verra d’un côté des laboratoires sous maîtrise du CNRS et des laboratoires sous maîtrise des universités, les premiers étant la « force de frappe » d’une recherche pilotée nationalement, les autres étant subordonnés aux politiques d’établissement.

La logique voudrait que le champ d’action du CNRS, en tant qu’opérateur, se concentre sur les premiers. En ce qui concerne les seconds, on pourrait envisager que leurs personnels chercheurs soient progressivement rattachés aux universités sous la forme de postes d’accueil temporaires[6] [6].

Même si l’on imagine que le CNRS conserve sa structure et ses moyens actuels, les partenariats ne seront pas les mêmes suivant qu’on aura affaire à un laboratoire sous maîtrise du CNRS ou à un laboratoire sous maîtrise de l’université. Dans le premier cas on aurait une véritable collaboration scientifique entre l’organisme et l’université. Dans le second cas il s’agirait pour le CNRS d’un rôle d’agence de moyens (surtout humains).

3- Le rôle du CNRS suivant les disciplines

Le CNRS est beaucoup plus impliqué en Physique et, à un degré moindre, en Chimie que dans les autres disciplines[7] [7]. Ceci est le résultat de l’Histoire plus que le choix d’une stratégie scientifique permanente[8] [8]. On peut se poser plusieurs questions qui renvoient inévitablement à l’évolution future effective du CNRS, mais qu’il est bon d’essayer de formuler dès aujourd’hui.

Cette organisation d’une discipline au sein d’un organisme national centralisé est-elle compatible avec la perspective d’universités réellement autonomes ? Est-elle raisonnable au-delà des grands équipements ? N’est-elle pas génératrice de lourdeurs et de sclérose ? La Physique française a-t-elle une bonne raison d’être organisée différemment de la Physique britannique, par exemple ?

Si l’on s’en tient à la situation actuelle, il est clair que le partenariat du CNRS avec les universités autonomes ne sera pas de même nature pour la Physique que pour d’autres disciplines. Dans les disciplines où le CNRS est peu investi (comme les maths ou l’informatique), les laboratoires seront sous maîtrise des universités, sauf décision volontariste d’ériger quelques labos en instituts nationaux.

4- Quelle évolution des statuts et des recrutements ?

Le recrutement national de chercheurs, s’il se comprend pour des « instituts » à vocation nationale, paraît plus difficile à justifier lorsqu’il s’agit de laboratoires d’universités autonomes. La justification pourrait en être d’assurer une qualité de recrutement que les procédures universitaires ne seraient pas en mesure de garantir. Mais quel sens aurait l’autonomie d’établissements qui n’auraient pas la maîtrise de leurs recrutements ? S’agissant des meilleurs laboratoires de grandes universités, on peut d’ailleurs penser que les recrutements seraient de même qualité s’ils se faisaient à leur niveau. C’est plus problématique pour des laboratoires relativement isolés dans des universités « moyennes » où la recherche est inégalement développée et où des tendances fortes au recrutement local existent.

La question se pose différemment si les postes de chercheurs attribués aux UMR devenaient des postes d’accueil d’enseignants-chercheurs. Ces postes pourraient être attribués aux universités sur évaluation nationale de la qualité de leur recherche, à charge pour elles de choisir les enseignants chercheurs qui en seraient bénéficiaires (à plein temps ou à temps partiel). Cette attribution pourrait être contractuelle, les postes n’étant pas intégrés dans le potentiel permanent de l’université, ce qui inciterait les établissements à en sélectionner les bénéficiaires de façon exigeante.

Le recrutement national de chercheurs ne serait conservé que pour les « instituts » dont le CNRS est l’opérateur. La question reste entière de savoir si ces chercheurs doivent être permanents ou sur contrat à durée déterminée. Cette question (qui est liée à une évolution possible de la fonction publique) est plus délicate que la transformation de postes de chercheurs en postes d’accueil.

Le recrutement de « maîtres de conférences et de professeurs à service variable » ne paraît pas pertinent dans la mesure où existeraient des procédures diverses de modulation des services d’enseignement (postes d’accueil, décharges temporaires,..) avec davantage de possibilités qu’aujourd’hui.

La modulation des salaires existe déjà grâce aux primes (dont l’ampleur peut être augmentée). Aller au delà de ce principe paraît difficile si l’on reste dans le cadre de la fonction publique. Il semble difficile de faire coexister des enseignants-chercheurs de statut fonctionnaire et des enseignants-chercheurs sur CDI avec des salaires négociés. Par contre on peut plus facilement imaginer que des professionnels ou des étrangers soient recrutés sur des contrats temporaires avec des salaires négociés.

5- Les grandes écoles, les universités et la recherche.

Les grandes écoles sont un problème récurrent. Leur existence même est un sérieux obstacle pour un rapprochement du système d’enseignement supérieur français avec le modèle anglo-saxon. Mais toutes les tentatives de transformation radicale sont destinées à échouer car le système des grandes écoles est trop profondément ancré dans la société française. Il n’y a pas de solution miracle…

Lorsqu’on parle de grandes écoles, il faut s’entendre. Beaucoup de petites écoles d’ingénieurs sont implantées à proximité (géographique et scientifique) des universités, et elles finiront par s’y intégrer si les universités acquièrent une gouvernance raisonnable, ceci d’autant plus qu’elles ont du mal à exister à l’international. La question délicate concerne les écoles du « haut du palmarès » qui aspirent les meilleurs élèves scientifiques dans un milieu où la recherche est insuffisamment présente (même si la situation a positivement évolué dans certaines écoles).

Aujourd’hui la conjoncture est plus favorable à une transformation pour au moins deux raisons : la « mondialisation » qui met en évidence le peu de visibilité internationale de ces écoles et, d’autre part, les perspectives d’évolution positive de la gouvernance des universités. Il y a une prise de conscience nouvelle chez certains leaders de grandes écoles[9] [9].

Il faut chercher le dialogue avec des leaders de grandes écoles conscients des enjeux car il ne pourra pas y avoir d’évolution sans leur implication de l’intérieur du système. Et la solution ne peut pas se résumer à un rapprochement des écoles et des universités sans que celles-ci et celles-là ne se transforment profondément elles-mêmes.

Un des blocages identifiés pour le développement de la recherche dans les grandes écoles réside dans l’existence de corps d’enseignants statutaires ou recrutés sans réelle compétition et sur des bases géographiques souvent étroites (cf (9)). Il conviendrait d’ouvrir ce recrutement et de le soumettre à des règles conformes à l’usage universitaire international[10] [10].

Une meilleure prise en compte du doctorat par les entreprises ne peut pas se décréter. Au-delà de mesures que l’on peut prendre pour favoriser les relations des écoles doctorales et des entreprises, il faut tabler sur la nécessité de l’innovation et sur l’internationalisation du recrutement des cadres, pour que les entreprises françaises ne préfèrent plus systématiquement les ingénieurs aux docteurs.

Les sciences de base occupent une grande place dans l’hypersélection[11] [11] par les classes prépas, mais il existe une discontinuité entre les prépas et les écoles. Une fois le concours passé et la répartition des élèves dans les « cases » correspondant à leur rang, la scolarité des écoles obéit à d’autres déterminismes, peu scientifiques. Il existe ainsi une véritable dichotomie entre sélection et formation.

S’il s’agit de former des ingénieurs, une tendance actuelle est de se rapprocher des modèles internationaux de formation où la technologie et l’économie occupent une grande place. Le modèle d’ingénieur à la française avec une base mathématique importante tend à disparaître. Certains soulignent d’ailleurs que c’était un obstacle au recrutement d’élèves étrangers.

Mais il se trouve que les meilleures écoles ne sont pas de véritables écoles d’ingénieurs ; c’est là un paradoxe de l’hypersélection…

Pour certains (cf (9)) le salut passe par une forte augmentation des effectifs des écoles, éventuellement par fusion de certaines d’entre elles, le modèle étant alors le MIT. Ils sont bien conscients qu’une telle évolution ne pourra pas se faire sans impliquer aussi des universités qui se joindraient à ces regroupements.

Un des obstacles majeurs à ces rapprochements reste le modèle d’hypersélection séparée opérée par les classes prépas. Rien ne se fera si les classes prépas restent une voie complètement disjointe des universités. Il faut donc travailler à un rapprochement progressif qui pourrait un jour déboucher sur l’impossible intégration. En commençant par les classes prépas de « niveau moyen » qui ont absorbé, au détriment des universités, une grande partie de l’accroissement du nombre de bacheliers depuis 20 ans. Des expériences de classes préparatoires mixtes[12] [12] ont été lancées qu’il faudrait beaucoup développer. Une caractéristique de ces classes doit être de diversifier les voies de sortie : concours classiques, admissions sur dossier dans certaines écoles, intégration dans des masters sélectifs…

 


[13] [1] Ils ont aussi le tiers du potentiel humain total (enseignants chercheurs et chercheurs).

[14] [2] Le transfert technologique en direction des PME n’implique pas, bien souvent, des laboratoires de pointe, mais suppose un environnement scientifique d’un certain niveau.

[15] [3] Cette proportion est supérieure à 50% pour la majorité des UMR.

[16] [4] Depuis 1986 les effectifs de professeurs et de maîtres de conférences ont doublé.

[17] [5] Ceci suppose qu’elles en aient les moyens financiers, au travers de leurs dotations, de leurs ressources propres, des préciputs,…

[18] [6] Dans cette hypothèse, les personnels CNRS seraient amenés à décroître A titre de comparaison, les effectifs de chercheurs de l’Institut Max Planck sont de l’ordre de 2.500, à comparer aux 12.000 chercheurs du CNRS.

[19] [7] Dans les unités labellisées par le ministère, on compte environ, en Physique 46% de chercheurs (49% dans les UMR), en Chimie 35% (39% dans les UMR), en SPI 17% (25% dans les UMR), en STIC 16% (21% dans les UMR), en Maths 12% (14% dans les UMR).

[20] [8] On pourrait arguer que la Physique a eu à un certain moment la place qui est celle de la Biologie aujourd’hui.

[21] [9] Voir par exemple le livre récent de Pierre Veltz (ancien directeur de l’ENPC et ancien président de ParisTech), « Faut-il sauver les grandes écoles » (Les Presses de Sciences Po).

[22] [10] Pierre Veltz a compté que sur les 188 professeurs de l’ENPC entre 1960 et 2000, il y avait eu 111 polytechniciens et aucun étranger. Dans certaines écoles les professeurs sont recrutés par décision du directeur sans procédure de sélection par les pairs.

[23] [11] On peut parler d’hypersélection pour les meilleures écoles compte tenu de leurs très faibles effectifs.

[24] [12] Pour les puristes de l’Inspection Générale, il ne s’agit pas de CPGE mais de « classes préparatoires aux études scientifiques ». Il existe aussi quelques CPGE qui associent statutairement lycées et universités ; c’est le cas des classes préparatoires à l’option « Economie Gestion » de l’ENS de Cachan, qui font l’objet de dispositions règlementaires explicites.


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