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Autonomie : quelques propositions

Posted By JFM On 20 novembre 2009 @ 4:56 In Autonomie | Comments Disabled

Ce texte est le support de mon intervention dans un colloque organisé par l’[1] IREA (13-14 nov. 2009).

Dans le contexte français l’autonomie des universités est une mutation considérable – un nouveau paradigme - qui ne va pas de soi. Au-delà des aspects législatifs et règlementaires, c’est un changement de culture qui implique tous les acteurs. L’autonomie n’a de sens que si les acteurs y croient. Or, jusqu’ici, une majorité d’universitaires n’y croit pas.

[2] yoda-and-luke.jpg

Luke : Je n’arrive pas à y croire !
Yoda : Voilà pourquoi tu échoues…

Ce qui est mis en avant, ce sont essentiellement les risques de l’autonomie[3] [1][4] . Les plus radicaux – comme les plus conservateurs - voient leur salut dans un pilotage centralisé, alors qu’ils combattent la politique universitaire de l’Etat – un vrai paradoxe. Par ailleurs, au-delà des déclarations de principes et du vote d’une loi, l’Etat reste profondément réticent à jouer le jeu de l’autonomie. La haute administration - la noblesse d’Etat, comme disent certains - ne cesse de mettre des obstacles à l’exercice de l’autonomie des universités qui constitue pour elle un changement de culture encore plus douloureux que pour les universitaires. Ajoutons qu’une autonomie sans une grande marge financière – qui n’existe pas à l’heure actuelle - reste un peu formelle. Enfin l’interventionnisme ministériel est une habitude qui ne se perd pas facilement.

SORTIR DE LA RESERVE ET DU DOUBLE LANGAGE

Le plus grand risque est que l’entrée dans l’autonomie, aujourd’hui irréversible dans son principe, s’opère à reculons, de façon chaotique et non explicite. Je pourrais citer l’exemple de mon université où les opposants aux réformes avaient organisé un référendum contre la LRU, mais où le CA dans lequel ils sont en position de force, demande le passage rapide aux nouvelles compétences prévues par la LRU… Cette contradiction se rencontre dans de nombreux endroits. C’est une position de résignation qui ne valorise pas les potentialités positives de l’autonomie, et ne conduit pas, non plus, à corriger ses risques réels résultant des défauts de la LRU.

Une première proposition est de sortir de la réserve et du double langage, pour adopter une position plus claire et plus offensive : Accepter le principe de l’autonomie et faire pression sur l’Etat pour qu’il joue pleinement le jeu ; aménager le fonctionnement interne de l’université de façon que cette autonomie s’exerce dans des conditions acceptables ; la mettre à profit pour lancer des opérations innovantes.

AMENDER LA LOI ET IMPOSER DE SAINES PRATIQUES INTERNES

S’agissant du fonctionnement interne de l’université, on peut objecter qu’il est difficile d’aller contre la loi et, sans aucun doute, certains aspects de la LRU relatifs à la gouvernance devront-ils être amendés[5] [2]. Mais tout ne se résume pas à la loi. A l’intérieur du cadre législatif, la communauté universitaire dispose de marges de liberté et peut imposer de saines pratiques, notamment pour ce qui est du respect par le président d’université des compétences proprement académiques. J’aime à citer l’exemple de l’université de Berkeley et de ses procédures de recrutement et de promotion, qui résultent, non d’une loi, mais d’une tradition ancienne[6] [3]. Les propositions sont faites par les départements sous le contrôle d’une commission du Senate qui les arbitre et les présente au chancelier. Celui-ci dispose du pouvoir de décision en dernier ressort, mais avant d’exercer son droit de veto, il engagera une vraie négociation avec la commission du Senate et l’expérience montre que la décision finale fait l’objet d’un consensus dans la quasi-totalité des cas. En tout état de cause, pas plus le chancelier que le Board of Regents n’interviennent dans la composition des commissions de recrutement, ni dans leurs procédures internes. C’est certainement un point sur lequel il faudra modifier la LRU. Mais, sans attendre, de saines pratiques peuvent être instaurées, qui limitent le présidentialisme et la confusion des pouvoirs contenus dans la loi.

S’agissant de la confusion des pouvoirs, on pourrait citer aussi une disposition prise par la nouvelle université de Strasbourg dans ses statuts. Ceux-ci établissent une incompatibilité entre l’appartenance au CA et à l’équipe présidentielle – sauf évidemment pour le président.  Il est vrai que l’université Louis Pasteur avait déjà une tradition d’équipe présidentielle indépendante du CA, élue en même temps que le président et dans les mêmes conditions que lui. On retrouve ici l’importance de la culture propre d’une université.

Il est trop facile de dire qu’on est ligoté par la loi. Ainsi il est exagéré de dire que le président sera un autocrate auquel on ne pourra pas résister. On n’est pas dans un milieu où les gens obéissent militairement. Ce qui est vrai c’est que la confiance dans la gouvernance locale ne pourra se construire que progressivement. S’il y a des dérives, ce ne sera pas seulement à cause des défauts de la loi, ce sera aussi parce des lobbies universitaires y auront trouvé intérêt. L’autonomie a l’avantage de clarifier le rôle des universitaires dans la politique de leur établissement. Beaucoup de décisions importantes dépendent déjà de petits groupes. La qualité d’un département ou d’un laboratoire dépend de la qualité de ses recrutements. Et rien n’empêche une commission de spécialistes de s’interdire les recrutements locaux. On n’impose pas l’excellence par décret à un département ou à un laboratoire.

L’AUTONOMIE AU SERVICE D’UNE AMBITION DEMOCRATIQUE

Si l’autonomie est une réalité récente, c’est une idée déjà ancienne que l’on trouve dans nombre de rapports. L’autonomie peut donner des marges de liberté pour agir dans un sens démocratique, si elle ne se résume pas à la loi de la jungle. C’est une idée qu’on trouve notamment dans le rapport du Collège de France intitulé [7] « Propositions pour l’enseignement de l’avenir » remis en 1985 à François Mitterrand par Pierre Bourdieu, au nom de ses collègues, et qui contient un vibrant plaidoyer pour l’autonomie dans tous les ordres d’enseignement, mais spécialement dans l’enseignement supérieur [8] [4].

« L’enseignement devrait dépasser l’opposition entre le libéralisme et l’étatisme en créant les conditions d’une émulation réelle entre des institutions autonomes et diversifiées, tout en protégeant les individus et les institutions les plus défavorisées contre la ségrégation scolaire pouvant résulter d’une concurrence sauvage ».

« L’existence d’une offre scolaire diversifiée, proposée à tous les niveaux par des institutions d’enseignement autonomes et concurrentes (au moins au niveau de l’enseignement supérieur), pourrait être le principe de toute une série d’effets convergents propres à accroître l’efficacité et l’équité du système d’enseignement en renforçant l’émulation entre les établissements, les équipes pédagogiques et les communautés scolaires, et, par là, à favoriser l’innovation et à affaiblir les effets funestes de la condamnation scolaire ».

« Les organismes d’enseignement doivent être placés à l’abri de toutes les pressions extérieures et dotés d’une autonomie réelle (..). Parmi les conditions nécessaires pour assurer aux établissements d’enseignement supérieur l’autonomie, la spécificité et la responsabilité qui définissent une véritable Université (..), la plus importante est sans doute la maîtrise d’un budget global qui pourrait être assuré par une pluralité de sources de financement : subventions de l’État, des régions, des municipalités, de fondations privées, contrats avec l’État ou les entreprises publiques ou privées et peut-être même participation financière des étudiants ou des anciens élèves. Des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à financement privé ou semi-public pourraient ainsi coexister avec des établissements à financement exclusivement public. L’autonomie devrait être aussi entière en matière de création d’enseignements, de collation des grades et de régulation des flux d’étudiants, l’État se devant de soutenir des enseignements économiquement non rentables mais culturellement importants ».

Ce rapport sous-entend que le pilotage centralisé par l’Etat n’est pas une garantie d’égalité, mais que c’est plutôt l’instrument de la reproduction sociale. C’est l’autonomie qui permet de proposer une offre différenciée « propre à accroître l’efficacité et l’équité du service d’enseignement » en favorisant l’innovation et « en affaiblissant les effets funestes de la condamnation scolaire ». A condition toutefois que l’Etat exerce une fonction de régulation « en protégeant les individus et les institutions les plus défavorisées contre la ségrégation scolaire pouvant résulter d’une concurrence sauvage »[9] [5].

On peut juger cette perspective exagérément optimiste, mais on doit s’y engager. Il faut bien constater que c’est sous le pilotage centralisé de l’Etat que se sont établies les inégalités considérables qui existent aujourd’hui entre les universités – inégalités seulement masquées par une égalité formelle. Les établissements « défavorisés » ne risquent rien à innover, au contraire.

Une des vertus de l’autonomie, c’est de déchirer le voile de l’égalité formelle et de forcer les uns et les autres à se positionner et à s’impliquer au lieu de s’abriter derrière l’application des réglementations. Beaucoup de collègues trouvent dans le système actuel le confort de l’irresponsabilité (« c’est l’Etat qui décide »). Les revendications se concentrent sur les conditions faites aux personnels, notamment la question des statuts. « Nous sommes l’université » clament les conservateurs, mais ils refusent de s’occuper d’autre chose que de leur recherche et du contenu de leur enseignement, laissant l’administration d’Etat décider de tout le reste.

UNE AUTONOMIE REGULEE AU SERVICE DE LA PLURALITE

Encore faut-il que l’Etat exerce sa fonction de régulation, et donne leur chance à tous. C’est tout le contraire qui se passe lorsque les autorités ministérielles focalisent leur action sur la distinction d’un petit nombre de pôles d’excellence[10] [6] qui seuls méritent leur attention. Certes il n’y aura effectivement qu’un petit nombre de pôles de niveau comparable aux meilleures universités étrangères (on les connaît déjà pour la plupart[11] [7]). Mais cette politique fait bon marché des enjeux démocratiques en mettant exclusivement l’accent sur la constitution de pôles d’excellence de la recherche. Sans parler des enjeux économiques qui ne se résument pas à la constitution de ces quelques pôles. C’est une politique antinomique à l’autonomie de vouloir instituer une hiérarchie a priori, et de priver de facto la majorité des institutions de l’exercice réel de cette autonomie, en les rejetant d’emblée dans une catégorie marginale.

Il faut maintenir le maximum de fluidité dans le système, et prendre en compte de multiples facteurs. L’autonomie ne doit pas être l’exacerbation de la hiérarchie des statuts. L’autonomie doit s’attacher au maintien de tout un spectre d’universités moyennes de bon niveau, avec des pôles de recherche reconnus, accessibles à de larges catégories de la jeunesse populaire[12] [8]. Le contexte institutionnel dans lequel l’autonomie s’exercera ne peut être un contexte purement entrepreneurial et concurrentiel. La différenciation des institutions est une réalité incontournable, mais il ne s’agit pas de travailler chacun pour soi. L’Etat doit réguler l’autonomie comme, dans un autre domaine, le marché, au lieu d’encourager l’élitisme égoïste.

 


[13] [1] On ne peut s’empêcher de penser à la méfiance qui avait accueilli les lois de décentralisation dans les années 80. Beaucoup mettaient en avant les risques de clientélisme, voire de corruption, qui accompagneraient la prise de décision à un échelon départemental ou régional.

[14] [2] Voir J-F Méla : [15] « Dans le piège d’un système électoral absurde » in JFM’s blog.

[16] [3] Voir J-F Méla : [17] « La gouvernance partagée, ça peut marcher » in JFM’s blog.

[18] [4] Par la suite, Pierre Bourdieu s’est démarqué des thèses soutenues dans ce rapport, à partir notamment de la création de l’ARESER en 1992. Mais l’argumentation reste pertinente.

[19] [5] On peut voir une [20] video de l’INA dans laquelle Pierre Bourdieu défend ce double point de vue de la concurrence entre établissements et du rôle régulateur de l’Etat.

[21] [6] C’est un leitmotiv qu’on entend après toutes les éditions du classement de Shanghai ou à propos de toutes les opérations Campus (voir le récent rapport Larrouturou)

[22] [7] Ce sont celles où les organismes ont concentré leurs chercheurs (on trouve les deux-tiers des chercheurs CNRS dans une vingtaine d’universités ; la concentration est encore plus forte pour l’INSERM)

[23] [8] Il faut dénoncer la fausse solution qui consiste à intégrer à dose homéopathique des lycéens de milieux défavorisés dans quelques institutions sélectives. Rappelons que nous formons moins de 30% d’une classe d’âge dans l’enseignement supérieur contre 50% aux Etats-Unis, par exemple.









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[3] [1]: #_ftn1
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[7] « Propositions pour l’enseignement de l’avenir »: http://www.acireph.org/acte_2_rapport_du_college_de_france_363.htm
[8] [4]: #_ftn4
[9] [5]: #_ftn5
[10] [6]: #_ftn6
[11] [7]: #_ftn7
[12] [8]: #_ftn8
[13] [1]: #_ftnref1
[14] [2]: #_ftnref2
[15] « Dans le piège d’un système électoral absurde »: http://jfmela.free.fr/jfmblog//?p=32
[16] [3]: #_ftnref3
[17] « La gouvernance partagée, ça peut marcher »: http://jfmela.free.fr/jfmblog//?p=24
[18] [4]: #_ftnref4
[19] [5]: #_ftnref5
[20] video de l’INA: http://www.ina.fr/video/I00002866/p-bourdieu-fait-une-proposition-pour-l-enseignement-du-futur.fr.ht
ml

[21] [6]: #_ftnref6
[22] [7]: #_ftnref7
[23] [8]: #_ftnref8

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