- JFM’s blog - http://jfmela.free.fr/jfmblog -

Universités parisiennes : l’autonomie ou la planification ?

Posted By JFM On 24 février 2010 @ 20:27 In Autonomie, Universités | Comments Disabled

Le chargé de mission Bernard Larrouturou vient de remettre à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche la version finale de son rapport, intitulé [1] « Pour rénover l’enseignement supérieur parisien ». Cette mission devait coordonner et arbitrer le plan Campus de Paris intra muros, et « proposer, en lien étroit avec l’ensemble des acteurs concernés – collectivités locales et établissements – un schéma directeur pour l’enseignement supérieur à Paris, appuyé sur les projets pédagogiques et scientifiques des établissements. Au-delà d’un état des lieux qui ne manque pas d’intérêt, le produit final est un plan « à l’ancienne », piloté par l’Etat, qui propose une restructuration de l’enseignement supérieur à Paris laissant peu de place à l’autonomie des établissements.

Déjà, on pouvait s’étonner de voir associer aussi étroitement le plan Campus et la constitution de PRES. Dans le plan Campus il s’agissait en principe d’opérations immobilières proposées par les universités. Ces opérations pouvaient certes venir en appui de stratégies de rapprochement, mais l’association de plusieurs universités dans un projet Campus n’avait a priori aucune raison de « préfigurer un PRES » [2] [1]. L’objectif est devenu « de construire à Paris – via des regroupements d’établissements et en s’appuyant sur les exemples de grands pôles universitaires étrangers – un petit nombre de belles « universités confédérales ». Ce qu’on peut dire, en tout cas, c’est qu’aucun des grands pôles universitaires étrangers « visibles de Shanghai » ne s’est construit ainsi. Les PRES en voie de constitution ne résultent pas, d’ailleurs, de la volonté des communautés universitaires concernées, mais plutôt de manœuvres tactiques de certains leaders soucieux de bien se placer pour décrocher le jackpot, d’abord du plan Campus, puis du « Grand Emprunt ». A Paris, l’Etat se sert du dispositif “bureaucratique” des PRES pour orienter la restructuration des universités. Ce faisant, on anesthésie l’autonomie introduite dans chaque établissement par la LRU. Cette autonomie finira par se résumer à la caricature qu’en avaient dessinée ses détracteurs (pouvoir personnel des présidents, clientélisme, dépossession de la communauté académique…) si elle ne permet pas aux forces vives d’influer sur les questions de stratégie universitaire.

DE QUELQUES AMBIGUITES DES PRES PARISIENS

Contrairement à ce que souhaite le rapport, les PRES parisiens en gestation  ne reposent pas sur un vrai « projet intellectuel, pédagogique et scientifique ». Mais en dépit de son caractère artificiel et « monstrueux »[3] [2], le PRES Paris-Cité – dont on nous dit que « la dynamique de coopération est allée crescendo » et qui est servi par des leaders médiatiques - décroche le premier prix Campus de 200 M€[4] [3]. Tandis que le projet de PRES qui rassemble Paris 2, Paris 4, Paris 6, reçoit un avertissement pour n’avoir pas suivi les instructions à la lettre, alors qu’il est probablement le projet le plus réaliste, qui ressemble le plus à certains « grands pôles étrangers »[5] [4]. Il n’aura pas de sous  tout de suite ! Le rapport souligne que la rénovation de Jussieu a déjà absorbé 1.800 M€ et fait preuve d’une certaine agressivité à l’encontre de Paris 6 qui réclame la dévolution de son patrimoine immobilier (voir plus loin)[6] [5].

La réduction annoncée des sites universitaires parisiens de 130 à 45 est une bonne chose, d’autant plus que beaucoup de sites n’ont pas la taille critique, mais ce n’est pas ça qui va augmenter la lisibilité du dispositif d’enseignement supérieur parisien et diminuer le nombre de filières. Quand à l’ambition de rapprocher universités et grandes écoles dans les PRES, le rapport reste discret là-dessus. Au fait, Paris Tech est-il un PRES ou n’est-il pas un PRES ? Bernard Larrouturou s’interroge : « Faut-il viser que ParisTech soit une université technologique confédérale, délivrant le doctorat sous le timbre ParisTech – ce qui paraît peu réaliste si on compare le potentiel réel de recherche de l’ensemble de ParisTech à celui des PRES formés autour des universités – ou faut-il recentrer ParisTech autour de son coeur de métier – la formation d’ingénieurs « à la française », qui est un atout majeur de notre pays – et encourager les écoles qui en sont membres à participer à des PRES avec des universités ? ». Il conclut prudemment que ceci dépasse le cadre de sa mission…

Les principes qui doivent guider le choix d’un périmètre de PRES sont assez flous. On voudrait qu’un PRES repose sur un projet intellectuel, pédagogique et scientifique commun, mais on reconnait qu’on ne peut pas construire un PRES « en tirant les fils des coopérations scientifiques existantes » puisqu’en Ile de France tous les établissements coopèrent ou ont vocation à coopérer. On nous dit : « l’identité territoriale d’un pôle universitaire est un aspect essentiel de son identité et de son attractivité, et l’unité de lieu apporte une contribution notable à la vie intellectuelle d’une communauté universitaire » (p. 21). . Ce qui n’empêche pas d’affirmer un peu plus loin que « le PRES Paris- Cité qui rattache l’Université Paris 13 – bien ancrée dans le territoire dynamique de la Seine Saint-Denis – à de « grandes universités parisiennes », présente l’intérêt « d’enjamber le boulevard périphérique » : au moment où s’approfondissent les réflexions sur le « Grand Paris » ou « Paris Métropole », il est intéressant d’éviter que les PRES construits en Ile-de-France soient ou strictement parisiens ou strictement en périphérie ». Il faudrait savoir…

Le projet de création d’un nouveau PRES, provisoirement dénommé HESAM[7] [6], pose la question de son articulation avec le Campus Condorcet dont beaucoup des membres fondateurs du PRES sont partenaires. Du coup on sort du principe qui voudrait que les investissements immobiliers du plan Campus soient réalisés «en appui à une dynamique de structuration des activités d’enseignement supérieur et de recherche ». On nous dit que « ces deux dynamiques – la construction d’un PRES et la création  d’un nouveau site d’enseignement supérieur et de recherche au nord de Paris, qui donnera au PRES HESAM un caractère « trans-périphérique » sont complémentaires : elles doivent se renforcer mutuellement ». Comment ? Mystère. Que deviennent les universités Paris 8 et Paris 13 également partenaires du Campus Condorcet ? Le rapport Larrouturou regarde le PRES HESAM – encore dans les limbes – avec plus d’indulgence que le PRES 2 - 4 - 6. Il est vrai que le Campus Condorcet est déjà acté et (théoriquement) financé.

S’agissant des PRES, « pour résumer la problématique en une seule interrogation : quels seront dans les prochaines décennies les établissements et les pôles universitaires franciliens « visibles de Shanghai » – c’est-à-dire, ayant une signature commune de publications et bien placés dans les classements internationaux, parmi les meilleurs d’Europe ? » (Rapport p. 31). La grippe de Shanghai a encore frappé ![8] [7]

LE GRAND RETOUR DE L’ETAT

Le projet de schéma directeur insiste encore une fois « sur l’importance que chaque PRES ou établissement ait une identité territoriale claire, reposant sur un ensemble cohérent et resserré d’implantations immobilières, afin de favoriser les échanges au sein de la communauté universitaire, d’améliorer la vie étudiante, et de renforcer la visibilité et l’attractivité » et propose de « privilégier une vision structurée autour de quelques grands quartiers universitaires » où sont regroupées l’essentiel des implantations. Il manque une vision globale du dispositif francilien d’enseignement supérieur et de recherche et une réflexion sur ses grands équilibres, notamment entre Paris et sa périphérie. Il faut donner acte à Bernard Larrouturou que ce n’était pas dans son cahier des charges. Mais alors, pourquoi l’avoir abordé ici ou là de façon parcellaire ?

Un aspect important de ce plan est que l’évolution du dispositif serait étroitement pilotée par l’Etat. Le rapport ne fait pas du tout confiance à l’autonomie des établissements. Il propose de renforcer l’échelon déconcentré du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, c’est-à-dire les rectorats. Et comme tout le monde sait que les rectorats sont des « mammouths », on créerait auprès des trois recteurs un poste de « vice-chancelier des universités d’Ile de France », s’appuyant sur un service inter-académique, qui aurait la haute main sur la restructuration de l’enseignement supérieur francilien. (On pourrait peut-être l’appeler « grand maître » de l’université francilienne ?). Le rapport précise que «les recteurs et le vice-chancelier seraient associés plus étroitement qu’aujourd’hui à l’élaboration des contrats quadriennaux des établissements ». Les PRES seraient créés « après avis conforme des recteurs et du vice-chancelier, dont l’accord est aussi requis pour l’admission de nouveaux membres ». Les noms utilisés par les universités devraient recevoir l’accord de l’Etat et de la Ville de Paris…Dans la foulée on mettrait en place toute une bureaucratie de comités « d’orientation stratégique », de « coordination des PRES et des universités »… Pourquoi pas un secrétariat d’Etat tant qu’on y est ? Comme pour Saclay !

Au demeurant, les universités ne pourraient espérer la dévolution de leurs biens immobiliers « qu’une fois mise en œuvre la rationalisation et le regroupement de leurs implantations »,  c’est-à-dire pas avant longtemps… De façon un peu surprenante dans le cadre d’un rapport général, il est fait mention explicite d’un « chantage » exercé sur l’université Paris 6 qui ne pourrait obtenir la dévolution du site de Jussieu avant 2014 qu’à condition d’accepter de quitter le site des Cordeliers[9] [8] ! Les universités d’Ile de France seraient du reste dépossédées de la maîtrise d’ouvrage des opérations prévues au schéma directeur, au profit d’un « Etablissement public d’aménagement universitaire de la région Ile-de-France » (EPAURIF) comme c’est déjà le cas avec « l’Etablissement public Paris-Saclay » chargé de l’aménagement du plateau de Saclay

Dans ce contexte, il devient absurde de continuer à se gargariser de l’autonomie des universités et d’évoquer les « belles universités confédérales construites sur le modèle des grands pôles universitaires étrangers ».

DE L’AUTONOMIE…

Le rapport Larrouturou contient un sous-chapitre intitulé « De l’autonomie des universités » qui mérite d’être lu attentivement. Les universités sont rangées dans la même catégorie que les hôpitaux et les EPST. On est loin de Harvard, du MIT ou de Berkeley ! On nous parle de « mission de service public confiée par l’Etat à chaque établissement ». On est heureux de voir resurgir la notion de « mission de service public » qui avait un peu disparu du paysage depuis quelques années. Encore faudrait-il savoir ce que recouvre cette notion dans le contexte d’une diversification des universités. Est-ce qu’elle a le même sens pour l’université Paris 6, pour l’université Paris Dauphine ou pour l’université Paris 13 ? Ici on se réfère à la « mission de service public » pour justifier une conception centralisatrice où tout doit être arbitré et contrôlé par l’Etat. Sur la fin, d’ailleurs, le rapport ne peut cacher son scepticisme à propos de l’autonomie et de la constitution des PRES.

« Mais qui ne voit pas tous les désordres et les gâchis dont nous continuerons de pâtir si nous ne définissons pas de quelle coordination des universités parisiennes et franciliennes nous avons besoin et si nous ne la mettons pas en œuvre. Hors région parisienne, la mise en place de PRES qui regroupent pratiquement tous les établissements d’enseignement supérieur et de recherche présents sur le territoire d’une région ou d’une grande agglomération a eu pour effet de renforcer la coordination des établissements. (..) A Paris et en Ile-de-France, ceci manque et ne se développera pas du seul fait des PRES. On peut même craindre que, ayant pour effet d’accroître l’émulation, voire la concurrence, la création des PRES parisiens ne diminue la capacité des dirigeants d’établissements à travailler ensemble sur des enjeux d’intérêt commun». Ce dernier aveu est quand même assez paradoxal !

… ET DE L’EXCELLENCE

Ce constat de la situation francilienne amène à se poser des questions. La structuration des universités parisiennes et franciliennes, telle qu’elle a résulté de l’explosion de 1968 et de la réforme qui a suivi, est rien moins que rationnelle et satisfaisante, qu’il s’agisse d’immobilier ou de découpage scientifique. L’ambition affichée par Bernard Larrouturou de « construire à Paris – via des regroupements d’établissements, et en s’appuyant sur les exemples de grands pôles universitaires étrangers – un petit nombre de belles universités confédérales », est beaucoup  plus difficile à réaliser que le chargé de mission veut bien le dire.

Les exemples étrangers sont aux antipodes des perspectives jacobines tracées par le rapport Larrouturou. Il est d’ailleurs paradoxal de voir ce rapport publié presqu’en même temps que le rapport Aghion, [10] « L’excellence universitaire : leçons des expériences internationales ». Dans les orientations que celui-ci propose, comme dans la revue des exemples internationaux qu’il présente, l’excellence universitaire n’apparaît jamais comme le résultat d’une planification, mais d’une réelle autonomie des établissements dotés d’une gouvernance équilibrée. L’Etat intervient par des incitations mais pas par des normes, ni par le biais d’une bureaucratie coordinatrice.  

EN CONCLUSION

Au fond,  la situation est tellement compliquée et dégradée que Bernard Larrouturou a du mal à croire que l’autonomie produira autre chose que du « gâchis ». Il faut quand même remarquer que le désordre actuel n’est pas le résultat de l’autonomie, mais de longues années de centralisme. Et on a encore plus de mal à croire que c’est par une coordination et un pilotage centralisé qu’on s’en sortira. Le véritable drame c’est que le système étatique a largement déresponsabilisé les acteurs académiques vis-à-vis du devenir des universités. Dans la crise du printemps dernier, les universitaires se sont battus pour la défense de leurs statuts, mais pas pour promouvoir leurs universités ou défendre la condition de leurs étudiants. Il est très instructif de lire ce qu’en disent des observateurs avertis mais distanciés comme Bruno Cousin et Michèle Lamont[11] [9].

« As the dust settles, it is becoming clear that demonstrating has little traction in a context where the French public increasingly perceives academics as an elite bent on defending its privileges, even if it requires depriving students of their courses. (..) The root of the crisis lies not only in the Government’s difficulties in generating consensus, but also in the academics’ own scepticism, cynicism or fatalism».

L’article de Bruno Cousin et Michèle Lamont se focalisait sur une certaine démission des universitaires français - spécialement en SHS - vis-à-vis des procédures d’évaluation, de recrutements, de promotions[12] [10]… Mais on pourrait en dire autant de l’attitude de beaucoup vis-à-vis de l’évolution du dispositif universitaire qui reste l’affaire des exécutifs locaux face à l’Etat. 

A Paris, encore plus qu’ailleurs, le salut ne viendra pas d’un retour de l’Etat, mais d’un plus grand investissement collectif de la communauté universitaire dans le devenir de ses universités.

 

 


[15] [2] « Du fait de la grande taille du Pôle (114.000 étudiants dont 6.800 doctorants) et du nombre élevé d’établissements, beaucoup de travail et d’énergie seront nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux de la convention constitutive ». (Rapport p. 24)

[16] [3] Notons que la construction du nouveau campus de Paris 7 a déjà coûté la bagatelle de 430 M€ (hors foncier donné par la Ville de Paris).

[17] [4] Ce « PRES » serait une université confédérale rassemblant des entités disciplinaires complémentaires plus ou moins autonomes, comme beaucoup de grandes universités mondiales.

[18] [5] Il n’est pas surprenant que les présidents des universités Paris 2, Paris 4 et Paris 6 aient [19] réagi assez violemment au rapport Larrouturou.

[20] [6] Voir l’annexe 8 du Rapport Larrouturou.

[21] [7] Voir [22] « La grippe de Shanghai » in JFM’s blog.

[23] [8] Voir le [24] blog de Pierre Dubois.

[25] [9] Voir l’article de Bruno Cousin et Michèle Lamont (Harvard University) paru d’abord dans Times Higher Education, le 3.12.2009, sous le titre « The French disconnection », et republié dans un blog participatif de sociologues américains, le 28.01.2010, sous le titre [26] « The multiple Crises of French Universities »

[27] [10] Il faut noter que l’article avait été écrit dans l’émotion suscitée par les pratiques d’auto-promotions la section de sociologie du CNU.


Article printed from JFM’s blog: http://jfmela.free.fr/jfmblog

URL to article: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=165

URLs in this post:
[1] « Pour rénover l’enseignement supérieur parisien ». : http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2010/72/1/rapport-final-Larrouturou_137721.pdf
[2] [1]: #_ftn1
[3] [2]: #_ftn2
[4] [3]: #_ftn3
[5] [4]: #_ftn4
[6] [5]: #_ftn5
[7] [6]: #_ftn6
[8] [7]: #_ftn7
[9] [8]: #_ftn8
[10] « L’excellence universitaire : leçons des expériences internationales »: http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2010/61/5/Mission_Aghion_Rapport-etape_135615.pd
f

[11] [9]: #_ftn9
[12] [10]: #_ftn10
[13] [1]: #_ftnref1
[14] « Recomposition/Décomposition de l’université parisienne »: http://jfmela.free.fr/jfmblog//?p=129
[15] [2]: #_ftnref2
[16] [3]: #_ftnref3
[17] [4]: #_ftnref4
[18] [5]: #_ftnref5
[19] réagi assez violemment au rapport Larrouturou: http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/02/les-pr%C3%A9sidents-de-paris2-paris4-et-paris6-r%C3
%A9pondent-%C3%A0-larrouturou.html

[20] [6]: #_ftnref6
[21] [7]: #_ftnref7
[22] « La grippe de Shanghai »: http://jfmela.free.fr/jfmblog//?p=131
[23] [8]: #_ftnref8
[24] blog de Pierre Dubois: http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2010/02/23/les-cordeliers-disputes/#xtor=RSS-32280322
[25] [9]: #_ftnref9
[26] « The multiple Crises of French Universities »: http://isacna.wordpress.com/2010/01/28/the-multiple-crises-of-french-universities1/
[27] [10]: #_ftnref10

Copyright © 2007 JFM's blog. All rights reserved.