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Quarante ans d’aventure

Posted By JFM On 25 mars 2010 @ 16:53 In Société, Universités | Comments Disabled

Ce texte, un peu personnel, a été  publié par [1] Interfaces P13 “le magazine non-officiel des étudiants de Paris 13″

L’université Paris 13 fête cette année son 40ème anniversaire. Ce texte n’a pas la prétention d’écrire l’histoire de Paris 13 de façon objective, mais d’en évoquer quelques moments forts que j’ai vécus comme jeune professeur, avant de devenir président de l’université en 1992.

A la suite des évènements de 68 et sous la pression démographique, l’ancienne Sorbonne a explosé en 13 morceaux. Mais l’université Paris 13 n’a pas été seulement un débris de cette explosion ; elle représentait une innovation audacieuse. Avec l’université Paris 12, elle était l’une des deux universités franciliennes réellement pluridisciplinaires. Mais surtout, cette implantation signifiait la présence, dans une banlieue populaire, d’une université à part entière qui contribuerait à la promotion supérieure des populations locales et au développement économique de leur territoire, dans un contexte de recherche de niveau international. Cette dernière option, ambitieuse, devait donner à ses missions une assurance de qualité que l’on ne trouve pas dans les simples « collèges universitaires ».

L’implantation du campus de Villetaneuse s’inscrivait dans une grande politique de remodelage urbain qui a tourné court, comme bien souvent. On a laissé l’université se débrouiller toute seule, sans vraiment accompagner son développement. Elle s’est trouvée confrontée à des handicaps importants en matière de transports et de localisation. Pendant toute une période, notre établissement est apparu comme un déversoir des excédents de Paris Centre. Cependant, dans le même temps, du fait de sa situation atypique, ses personnels et ses étudiants se sont constitués une forte identité. Les énergies se sont mobilisées autour d’une culture de « nouvelle frontière » et, bien souvent, de rébellion contre l’ordre établi.

Pour ma part, après un temps passé au CNRS, j’avais commencé ma carrière universitaire à Orsay comme jeune professeur, avec une réputation un peu « gauchiste » qui hérissait les mandarins locaux. Je suis venu à Paris 13 pour construire quelque chose de neuf, et je n’ai pas été déçu ! Je me souviens de l’enthousiasme des débuts. Les étudiants transportaient dans les amphis un peu de la passion de la rue, ce qui n’était pas pour me déplaire…

Pendant les années 70, le pouvoir politique avait laissé tomber les universités, et la nôtre en particulier. Elle était implantée dans la « banlieue rouge » alors solidement tenue par le parti communiste qui avait investi les organes dirigeants de l’université. De sorte qu’on avait un double conflit, entre l’Etat et la direction de l’université d’une part, entre celle-ci et les « gauchistes » d’autre part. Par sa jeunesse, l’université comptait moins de mandarins qu’ailleurs. Les rapports entre enseignants et étudiants étaient plus directs ; les locaux plutôt bien entretenus, et la vie étudiante bouillonnante Les anciens étudiants d’alors ont gardé pour leur université une certaine tendresse comme en témoignent volontiers, à l’occasion, les députés Julien Dray, Bruno Leroux, Daniel Goldberg, formés à Paris 13.

Les étudiants, beaucoup très politisés, mettaient leur point d’honneur à être les premiers à lancer les mouvements de protestation. Ainsi l’université a vécu longtemps au rythme des réformes gouvernementales refusées, des grèves et des manifestations. Il y eut surtout la réforme Saunier-Seité en 1976. Celle-ci entendait restructurer toute l’université sur la base de licences et maitrises à finalité professionnelle. Paris 13 lança le mouvement et s’engagea dans une grève dure avec occupation des locaux, qui devait durer 3 mois ! En arrière plan il y avait une opposition globale à la politique gouvernementale.

Si la contestation était vive, elle n’était pas homogène. D’un côté les militants purs et durs menés par le trotskyste Julien Dray ; de l’autre des étudiants beaucoup plus libertaires qui composaient et diffusaient des chansons pour les manifestations. Il y eut surtout le « Mouvement Anti-Autruches » (MAA) mené par un étudiant d’économie, Claude Kiavue, dit Jimmy, devenu depuis lors, après une thèse d’économie, directeur de la Maison de la Culture de Guadeloupe… Et, de fait, le MAA pour lequel j’avais beaucoup de sympathie, fit de Villetaneuse un haut lieu de la contre-culture. Ainsi, par exemple, c’est à Villetaneuse que Jacques Higelin ou le groupe Téléphone donnèrent leurs premiers concerts. Il y eut encore la création d’une radio libre assez déjantée, appelée « Radio Zone », qui reste chère à mon cœur.

L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a sensiblement modifié le paysage. Non pas que les problèmes aient disparu comme par enchantement - les moyens de Paris 13 n’avaient pas beaucoup augmenté - mais, du moins, n’étions nous plus les moutons noirs du pouvoir politique. En 1984 le mouvement « SOS Racisme » fut créé, en majorité par des militants issus des luttes de Paris 13.

Pour ma part, à partir de la fin des années 70 et dans les années 80, je me consacrai entièrement aux mathématiques, construisant avec mes collègues une unité de recherche associée au CNRS qui est aujourd’hui reconnue par l’Agence d’Evaluation de la Recherche comme l’une des meilleures unités françaises en mathématiques. Je ne dis pas cela pour en tirer vanité, mais pour souligner un fait remarquable : en dépit de tous ses handicaps matériels et de son esprit rebelle, notre université a su développer, à côté des ses importants IUT et de ses formations professionnelles, des laboratoires de haut niveau dans de nombreuses disciplines, relevant ainsi le défi initial qui lui avait été lancé.

Le temps des luttes n’était pas passé pour autant. Il y eut en 1986, sous le gouvernement Chirac, une grande bataille contre le projet de réforme Devaquet, qui visait à introduire la sélection à l’entrée de l’université, et à augmenter les droits d’inscription.  Une fois encore, Paris 13 fut à la pointe du mouvement. Il y eut de très grandes manifestations. A l’occasion de l’une d’entre elles, un étudiant fut tué par la police. Le gouvernement dut retirer son projet.

Le rôle joué par Paris 13 dans le lancement de SOS Racisme, puis dans la lutte contre la réforme Devaquet, explique sans doute que le président de la République François Mitterrand, en campagne pour sa réélection, en 1988, ait tenu à venir à Villetaneuse. C’était pour l’université une manière de reconnaissance.

Le retour de la gauche au pouvoir en 1988 amena quelques changements pour l’université en général et pour Paris 13 en particulier. Le ministère Jospin institua, sans modification législative, ce qu’on a appelé la politique contractuelle. Tous les quatre ans, une université était appelée à conclure un « contrat » avec l’Etat, explicitant ses projets, et négociant leur financement. Le contrat introduisit dans les universités une culture d’établissement par la discussion approfondie et en commun des projets. Par ailleurs l’Etat et la Région Ile de France commencèrent à financer de façon significative des projets immobiliers dans le cadre du « Contrat de Plan Etat Région ». Paris 13 obtint ainsi la rénovation du campus de Villetaneuse dont témoigne par exemple la réalisation belle et prestigieuse du forum de l’université. Plus tard ce sera le tour du campus de Bobigny avec la réhabilitation réussie du bâtiment de l’Illustration. En attendant la réalisation programmée de la tangentielle ferroviaire et du tramway de Paris à Villetaneuse.

Entre la fin des années 80 et le milieu des années 90, il y eut une expansion démographique considérable des universités, faisant suite à l’accroissement du nombre des bacheliers (le fameux objectif de 80% d’une classe d’âge au niveau bac, qui est loin d’être atteint aujourd’hui). En 5 ans on avait eu en France près de 400.000 étudiants de plus. Entre 1985 et 1995 la population étudiante de Paris 13 est passée de 12.000 à près de 20.000. Malheureusement les budgets n’ont pas suivi, ce qui fait que la France est aujourd’hui encore très en retard sur bien des pays développés en matière de financement de ses universités.

A la fin de 1992, le « gauchiste » que je fus, désormais assagi, se fait élire président de l’université de façon un peu inattendue, sans avoir jamais été membre du Conseil d’Administration ! Je laisserai à d’autres le soin de porter une appréciation sur mon action pendant les 5 années de ma présidence. Je dirai seulement que j’ai essayé de placer la barre assez haut, tant pour la recherche et l’enseignement que pour la vie à l’université, soutenu en cela par une équipe remarquable.

Au demeurant, il n’y avait pas lieu d’avoir honte de la réputation combative que l’université s’était acquise dans sa jeunesse, parce qu’elle s’était toujours située au cœur des problèmes de notre temps. Une occasion nouvelle lui fut donnée dans la lutte contre le « Contrat d’insertion professionnelle » (CIP) proposé par le gouvernement Balladur. Sous prétexte de faciliter leur embauche, on voulait créer un mini-smic pour les jeunes, au mépris des diplômes reconnus dans les conventions collectives. Cette négation de la valeur de leur formation exaspéra les étudiants qui descendirent en masse dans la rue. Finalement le projet fut retiré.

Le 25ème anniversaire, célébré en 1995, fut l’occasion d’afficher notre ambition au travers de colloques, de rencontres d’anciens étudiants, d’expositions, et de fêtes mémorables. Avec une devise : «  Rien n’est trop beau pour Paris 13 ». Cette célébration ne faisait qu’illustrer notre souci de concilier l’excellence des activités d’enseignement et de recherche avec la qualité des activités culturelles et de la vie à l’université.

Aujourd’hui on pleure sur la fracture sociale, on se demande comment parler à la jeunesse populaire. Mais Paris 13 est un exemple de brassage culturel réussi. L’université apporte quelque chose aux étudiants au delà du diplôme. Certes, à partir de 1990 l’université a eu à faire face à des problèmes d’insécurité à cause de sa localisation. Nous avons essayé d’y répondre sans naïveté mais sans nous refermer sur nous-mêmes. Aujourd’hui, à une époque où les banlieues des grandes villes sont menacées de désagrégation, il faut garder son sang-froid ; ce n’est pas en entourant l’université de hauts murs que l’on résoudra les problèmes de l’exclusion et de la cohésion sociale.

En 1997 deux étudiants en thèse de l’université, d’origine marocaine, furent victimes d’un attentat aveugle perpétré par des fanatiques à la station de RER Port-Royal. J’écrivais à l’époque : « Face à cet acte de barbarie, la meilleure arme dont on dispose est l’affirmation des valeurs qui nous lient, qui sont nées avec la République et dont l’université est un dépositaire naturel. Le mouvement de solidarité dépasse de beaucoup l’émotion d’un moment. Il est l’expression d’une réelle fraternité fondée sur des valeurs communes ». Par ce texte nous avions invité toutes les universités françaises à nous rejoindre pour organiser une journée de réflexion et de débats sur le thème « La République et la Fraternité », dédiée à nos deux étudiants assassinés. Beaucoup s’y associèrent et l’évènement eut un grand retentissement.

Nous prétendons être l’avant-garde des universités du 21ème siècle, recherchant à la fois l’excellence et la démocratisation. Nous avons le sentiment que c’est ici, plus qu’au Quartier Latin que se joue la partie pour la société de demain. C’est pourquoi, d’ailleurs, je ne suis pas très chaud pour que nous nous mettions à la remorque des universités germanopratines dans un « Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur ».

Pour boucler mon histoire je vous propose de retourner vers nos origines et de reprendre un slogan célèbre : « Soyons raisonnables, demandons l’impossible ! »


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