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Faut-il avoir peur de l’autonomie ? (II)

Posted By JFM On 23 décembre 2007 @ 19:43 In Autonomie, Universités | Comments Disabled

Ce point de vue qui reprend et complète un précédent article, a été publié dans [1] “Pour la Science” (janvier 2008)

Faut-il avoir peur de l’autonomie ? C’est une question que l’on doit se poser quand on voit tant de gens, pas seulement des étudiants mais aussi des chercheurs, partir en guerre contre la loi dite d’autonomie des universités, et signer des proclamations assez étonnantes. Avant d’essayer d’y répondre, il vaut mieux écarter d’abord certaines critiques radicales avancées pour réclamer l’abrogation de la loi.

Vers la privatisation de l’université ?

On entend par là que les universités seraient de plus en plus tributaires de l’argent des entreprises qui exigeraient en contrepartie qu’elles s’adaptent étroitement à leurs besoins, en étant de plus en plus présentes dans leurs instances de décisions.

Disons le franchement : l’argent des entreprises est un fantasme. Aux USA (dont le modèle nous menacerait), les universités publiques (rassemblant 80% des étudiants) fonctionnent très majoritairement sur fonds publics. Ainsi Berkeley, première université publique américaine, la plus performante en termes de brevets, et dont les diplômés peuplent la Silicon Valley, voit sa recherche financée à 81% sur crédits publics et à 15% par des fondations[2] [1].

Qui peut imaginer que les entreprises françaises, dont l’investissement dans leurs propres centres de recherche est déjà trop faible, vont se précipiter pour financer les recherches des laboratoires publics et les formations universitaires ?

A la différence des universités anglo-saxonnes, les conseils d’administration des universités françaises conserveront une majorité de membres élus. Les représentants des intérêts économiques seront une petite minorité. Et il faut surtout craindre que leur participation reste excessivement prudente.

Vers une hausse des droits d’inscription ?

La question des droits d’inscription est plus sérieuse. L’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne ont substantiellement augmenté leurs droits. La France commence à se singulariser avec l’Allemagne parmi les pays européens.

On sait depuis longtemps que la quasi-gratuité des études universitaires profite avant tout aux catégories les plus favorisées de la population[3] [2]. Mais l’augmentation pure et simple des droits d’inscription poserait la question du maintien d’un large accès à l’enseignement supérieur. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat.

Contentons nous de souligner que cette question n’est pas subordonnée à l’autonomie. Les universités anglaises, depuis longtemps autonomes, vivaient sous un régime de droits uniformes et de quasi-gratuité. C’est par un vote serré du parlement en 2004, après un vif débat national, que les droits d’inscription ont été augmentés[4] [3]. Un plafond a été fixé jusqu’en 2010, et la plupart des universités ont adopté le taux maximal autorisé.

Vers l’université à deux vitesses ?

On vit dans l’illusion que toutes les universités françaises sont équivalentes alors qu’elles sont dans des situations extrêmement diverses. En l’absence de sélection à l’entrée, c’est par la recherche qu’elles se différencient le plus.

En France le développement de la recherche s’est fait autour du CNRS. Celui-ci s’est investi de façon importante sur un nombre limité de campus. Douze universités rassemblent la moitié des 12.000 chercheurs du CNRS. Les 25 dernières totalisent moins de 300 chercheurs…

Ces inégalités entre universités ne sont donc pas un produit de l’autonomie, mais d’une politique « dirigiste » prétendument « égalitariste ». A partir de là, il est indéniable qu’une plus grande autonomie peut accentuer encore les différences, en donnant des chances aux plus dynamiques. Il est vrai aussi que toute hiérarchie scientifique peut induire une hiérarchie sociale. Mais il serait profondément hypocrite que les universitaires se fassent les champions d’une égalité factice entre les universités, tout en s’accommodant fort bien de la hiérarchie féroce des grandes écoles dans lesquelles ils rêvent d’envoyer leurs enfants.

POURQUOI UNE NOUVELLE GOUVERNANCE ?

Dans le passé, beaucoup ont déploré que l’université soit mal gouvernée, paralysée par des conseils pléthoriques, incapable d’être un opérateur de recherche, et que ses recrutements soient entachés de « localisme ». Les « Etats Généraux de la Recherche », en 2004, affirmaient que «

les modalités de direction, d’évaluation, mais aussi de recrutement dans les universités doivent être profondément réformés », suggérant même « de créer des conseils scientifiques rénovés, comportant pour une part très significative (par exemple la moitié) des personnalités extérieures ».

Les présidents d’université sont quasi-unanimes, toutes tendances politiques confondues, pour soutenir le principe de cette loi. Il est un peu facile de dire que « c’est par goût du pouvoir ». Tous les anciens présidents ont expérimenté « jusqu’au dégoût » les tares du système.

La gouvernance des universités ne peut pas se réduire à une question interne. Il faut prendre en compte les rapports des universités avec la société et les pouvoirs publics. Et ces rapports ont profondément changé avec l’augmentation considérable du nombre d’étudiants et le souci des pouvoirs publics de voir les universités répondre aux besoins économiques et sociaux - ce qui n’a rien de scandaleux…

On attend aujourd’hui d’une université qu’elle soit capable de définir une stratégie et de la conduire en concertation avec ses partenaires, notamment avec l’Etat qui la finance. Ceci suppose une capacité d’arbitrage et passe, qu’on le veuille ou non, par un renforcement du leadership présidentiel. En effet on n’a jamais réalisé le moindre arbitrage dans un conseil participatif, et l’on voit mal en quoi il serait préférable de s’en remettre à l’arbitrage d’un technocrate ministériel plutôt que d’un président d’université.

Le problème se pose dans tous les pays du monde de trouver un juste équilibre entre la collégialité sans laquelle il n’y aurait plus d’université, et le pouvoir présidentiel. Le renforcement de ce pouvoir n’est pas une fin en soi et, dans une université, beaucoup de décisions ne relèvent pas du niveau présidentiel mais de la liberté académique.

UN SYSTEME ELECTORAL AMBIGU

Les institutions en place dans les universités françaises les rapprochent davantage d’une municipalité que d’une entreprise. A ceci près qu’il n’y a pas, comme dans une municipalité, de majorité politique pour assurer la stabilité du pouvoir. La majorité qui se rassemble pour élire le président d’université est aléatoire. Il en est de même pour le conseil d’administration et les autres conseils, dans lesquels les majorités fluctuantes sont des conglomérats d’intérêts variés.

On peut se demander si la nouvelle loi est de nature à corriger ces défauts. Le choix qui a été fait est d’avoir un CA resserré, et surtout de stabiliser la majorité du CA autour du président. En effet, pour chacun des deux collèges universitaires (professeurs et maîtres de conférences) il est prévu d’appliquer le « système municipal » (majorité absolue des sièges à la liste arrivée en tête, puis répartition des autres sièges à la proportionnelle).

Le président étant élu dans la foulée, le système électoral favorise donc le candidat des listes majoritaires. C’est un facteur de stabilité, mais c’est aussi une dérive « présidentialiste » regrettable, avec un risque de confiscation du pouvoir par un lobby disciplinaire ou syndical. De plus, l’élection du président et celle du CA étant étroitement liées, le CA n’exercera plus de véritable contrôle sur le président. C’est là que réside le principal défaut du nouveau système.

Les dangers liés aux pouvoirs du président

Avec les compétences nouvelles données aux universités, le renforcement des pouvoirs du président peut engendrer l’arbitraire dans plusieurs domaines sensibles : le recrutement et la promotion des enseignants-chercheurs, les décharges de services, les primes, l’embauche de contractuels…

Dans beaucoup d’universités étrangères, le « président » est théoriquement tout puissant. Mais il existe tout un ensemble de procédures qui associent la communauté universitaire à la préparation des décisions, et des règles non écrites qui régissent les pratiques. Un « président » qui n’en tiendrait pas compte finirait par être balayé.

Le problème c’est que les universités françaises vont avoir tout à inventer. Jusqu’ici elles se référaient à des instructions ministérielles. Maintenant il va falloir qu’elles se fixent à elles-mêmes leurs propres règles de fonctionnement.

Prenons l’exemple du recrutement des enseignants-chercheurs :
C’est le président qui décide (avec l’accord du CA) de l’affectation des emplois et des profils d’emplois. C’est en effet une décision stratégique qui leur appartient. Il est prévu que ce soit également le président qui propose au CA la composition des « comités de sélection ». Ces comités devront comprendre une moitié au moins de membres extérieurs. C’est un très bon principe pour éviter le « localisme ». Mais il ne peut être question de laisser la composition du comité au bon plaisir du président. Il faut des règles internes qui donnent un droit de proposition aux départements et au conseil scientifique. Enfin les choix effectués par ces comités devraient être entérinés, pour autant qu’ils aient respecté les profils d’emplois. En particulier le droit de veto donné au président ne devrait pas porter sur la qualité scientifique des candidats retenus.

EN CONCLUSION

Au lieu de se battre contre les moulins à vent, la communauté universitaire devrait se mobiliser pour prendre en main son destin et se fixer à elle-même de nouvelles règles de fonctionnement sur toutes les questions qui deviennent de la compétence entière des universités. La peur de l’autonomie c’est d’abord la peur d’assumer ses responsabilités.


[5] [1] Chiffres de 2004, publiés par la Mission pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France.
[6] [2] Rapport Cieutat (1996)
[7] [3] La Grande-Bretagne a porté le montant des droits d’inscription à un maximum de 4.500 euros.


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[2] [1]: #_ftn1
[3] [2]: #_ftn2
[4] [3]: #_ftn3
[5] [1]: #_ftnref1
[6] [2]: #_ftnref2
[7] [3]: #_ftnref3

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