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Les enjeux de la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche

Posted By JFM On 17 octobre 2013 @ 18:07 In Enseignement, Société, Recherche | Comments Disabled

Ce texte reprend un exposé que j’ai fait lors d’un séminaire de formation du Conseil régional des Pays de Loire. C’est un texte de synthèse « pédagogique », qui n’exclut  pas des points de vue critiques..

 

Fallait-il une nouvelle loi ? Mais surtout fallait-il une loi aussi détaillée ? N’est-ce pas contradictoire avec l’autonomie des établissements que la loi entend réaffirmer ?

La tradition centralisatrice française fait que la loi entend tout encadrer jusqu’à un niveau de détails qu’on peut juger excessif. Par ailleurs, le texte de loi est rempli d’affirmations de principes[1] [1] dont la traduction concrète ne découlera pas des dispositions législatives. Il convient donc de lire la loi avec un peu de hauteur et de se focaliser sur les dispositions les plus importantes du point de vue de leurs conséquences directes sur les établissements d’enseignement supérieur et de recherche ainsi que sur les collectivités territoriales concernées.

Il y a notamment trois grandes réformes structurelles qui constituent l’ossature de la loi. Elles concernent :

  •  La gouvernance des universités
  • Les regroupements d’établissements et l’organisation de l’enseignement supérieur au niveau des territoires
  • L’évaluation de la recherche et l’accréditation des formations

Ceci ne résume pas toute la loi. Il y a également des dispositions, dont nous parlerons plus loin, qui touchent à l’organisation des enseignements et à la pédagogie, comme la priorité d’accès des bacs technos en IUT et des bacs pros en STS, la voie ouverte à l’instauration de parcours diversifiés en licence, la place de l’anglais dans l’enseignement…

Par ailleurs la loi est truffée de formules qui dessinent une université orientée vers le monde économique, tant du point de vue des formations que de la recherche et de l’innovation. Mais il s’agit plus de déclarations de principe que de mesures concrètes.

1- La gouvernance des universités :

La réforme essentielle concerne l’équilibre des pouvoirs et l’instauration d’un « conseil académique » ayant des prérogatives propres face au Conseil d’administration.

Dans beaucoup d’universités du monde, il y a plusieurs niveaux de pouvoir :

- Un conseil d’administration (university council, governing board) chargé de définir les grandes orientations, de fixer les règles de fonctionnement, et qui a la responsabilité des grands équilibres matériels.

- Un président (president, chancellor, vice-chancellor) et son équipe, qui pilote la stratégie, sous le contrôle du conseil d’administration.

- La communauté académique qui exerce ses compétences propres au travers des départements et de comités ayant de réelles prérogatives (academic senate)

Dans les pays qui ont une tradition d’autonomie universitaire, le conseil d’administration a le plus souvent une majorité de membres extérieurs désignés par les « commanditaires », publics ou privés, de l’université. Dans la tradition française où le pouvoir central pilotait directement les universités, le conseil d’administration jouait plutôt le rôle d’un « comité d’entreprise » et il était aux mains des universitaires. En dépit d’une avancée vers l’autonomie, ce sera toujours le cas aujourd’hui : les personnalités extérieures sont en minorité (8 sur 24 ou 36 membres), mais elles participeront à l’élection du président. Il y a d’abord des personnalités extérieures désignées par les collectivités territoriales (au moins 2), les organismes de recherche (au moins 1). Celles-ci se joignent aux membres élus pour désigner les personnalités extérieures restantes (au plus 5). On voit donc que le pouvoir réel reste aux mains des membres élus. La représentation des étudiants (4 ou 6) est importante et l’expérience montre combien leur position peut être aléatoire dans un conseil d’administration[2] [2].

Le président est élu à la majorité absolue de tous les membres du conseil d’administration pour un mandat de 4 ans renouvelable. Dans le système de la LRU, il était le plus souvent le leader des listes d’enseignants-chercheurs majoritaires, ceci d’autant plus qu’une liste majoritaire avait d’emblée au moins la moitié des sièges. Cette règle de la « prime majoritaire » est abolie[3] [3]. Par ailleurs, pour les élections des représentants des enseignants-chercheurs et des personnels assimilés ainsi que des représentants des étudiants, on n’exige plus la représentation de tous les grands secteurs de formation[4] [4]. Ces dispositions visent notamment à atténuer un peu le pouvoir présidentiel dont, bien souvent, le conseil d’administration n’était que la chambre d’enregistrement[5] [5]. Toujours dans ce sens, il est prévu que « la démission concomitante des deux tiers des membres titulaires du conseil d’administration emporte la dissolution du conseil d’administration et du conseil académique et la fin du mandat du président d’université » (article 60).

La loi fusionne le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire en un « conseil académique ». On pouvait s’attendre à la création d’un véritable « sénat académique ». Partout dans le monde où existe un tel sénat, il est exclusivement composé d’académiques. Ici le conseil académique est un organe de représentation de tous les acteurs : dans la commission de la formation et de la vie universitaire, les étudiants sont d’ailleurs en nombre égal aux enseignants-chercheurs et enseignants (soit une proportion allant jusqu’à 40% du conseil), ce qui ne paraît pas de nature à faciliter l’élaboration d’une stratégie convergente, en dehors du domaine de la « vie universitaire ».

Le « conseil académique » reçoit des responsabilités décisionnelles qui en font un concurrent du conseil d’administration[6] [6]. Il est constitué en son sein une « section compétente pour l’examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs » (article 49). Cependant le conseil d’administration conserve un droit de veto : « Aucune affectation d’un candidat à un emploi d’enseignant-chercheur ne peut être prononcée si le conseil d’administration, en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés, émet un avis défavorable motivé » (article 47).

La « commission de la formation et de la vie universitaire » adopte la répartition de l’enveloppe des moyens destinée aux formations, telle qu’allouée par le conseil d’administration ; elle adopte également les règles relatives aux examens et les règles d’évaluation des enseignements.

La « commission de la recherche » répartit l’enveloppe des moyens destinée à la recherche telle qu’allouée par le conseil d’administration Elle fixe les règles de fonctionnement des laboratoires

Dans ce contexte la mise en pratique de la loi ne va pas de soi et sera instructive. On peut prévoir sans se tromper que cela dépendra des universités alors que, paradoxalement, la loi édicte un mode unique de gouvernance…

2- Les regroupements d’établissements et l’organisation de l’enseignement supérieur au niveau des territoires :

C’est sans doute l’un des éléments les plus neufs de la loi qui stipule :

« Sur un territoire donné, qui peut être académique ou inter-académique, sur la base d’un projet partagé, les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du seul ministère chargé de l’enseignement supérieur et les organismes de recherche partenaires coordonnent leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert. (..)  Les établissements d’enseignement supérieur relevant d’autres autorités de tutelle peuvent participer à cette coordination et à ces regroupements. »

La structure proposée est une « communauté d’universités et établissements » qui est un EPCSCP regroupant obligatoirement tous les établissements d’un même territoire dépendant du MESR (à l’exception notable de l’Ile de France) et facultativement les autres établissements d’enseignement supérieur. Les lycées comportant des classes prépas et des STS doivent seulement conclure une convention avec un établissement d’enseignement supérieur de leur territoire. Cette coordination donne lieu à un seul contrat associant les collectivités territoriales, sous l’égide d’un établissement leader.

« La coordination territoriale est organisée par un seul établissement d’enseignement supérieur, pour un territoire donné. Cet établissement est soit le nouvel établissement issu d’une fusion, soit la communauté d’universités et établissements lorsqu’il en existe une, soit l’établissement avec lequel les autres établissements ont conclu une convention d’association. »

« Les statuts prévoient  les compétences que chaque établissement transfère, pour ce qui le concerne, à la communauté d’universités et établissements. » (article 62)

Les établissements d’un même territoire devront désormais élaborer ensemble et négocier leur contrat avec l’Etat. Mais chaque établissement disposera de sa propre annexe au contrat, qu’il décidera seul.

« Ces contrats comportent, d’une part, un volet commun correspondant au projet partagé et aux compétences partagées ou transférées et, d’autre part, des volets spécifiques à chacun des établissements regroupés ou en voie de regroupement. Ces volets spécifiques sont proposés par les établissements et doivent être adoptés par leur propre conseil d’administration. Ils ne sont pas soumis à délibération du conseil d’administration de la communauté d’universités et établissements ou de l’établissement auquel ils sont associés. » (article 62) 

On voit que la conclusion d’un tel contrat à deux étages n’a rien d’évident…

« Ces contrats pluriannuels associent la ou les régions et les autres collectivités territoriales accueillant des sites universitaires ou des établissements de recherche. » (article 62)…

Que seront ces communautés ? Des super-universités territoriales[7] [7], des confédérations, ou de simples outils de mutualisation ? Tout dépendra de la politique ministérielle, notamment au travers des contrats. En tout cas, leurs structures les rapprochent des universités, ce qui crée un empilement discutable. Elles comprennent un conseil d’administration et un conseil académique.

Le conseil d’administration de la communauté d’universités et établissements comprend des représentants des catégories suivantes :

1° Des représentants des établissements d’enseignement supérieur et des organismes de recherche membres de la communauté.

2° Des personnalités qualifiées désignées d’un commun accord par les membres mentionnés au 1° ;

3° Des représentants des entreprises, des collectivités territoriales

4° Des représentants des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs

5° Des représentants des autres personnels

6° Des représentants des usagers

« Les membres mentionnés aux 4° à 6° représentent au moins 50 % des membres du conseil d’administration, dont au moins la moitié sont des représentants mentionnés au 4° ».

« Toutefois, lorsque les membres de la communauté d’universités et établissements sont supérieurs à 10, la proportion de leurs représentants mentionnés au 1° peut atteindre 40%. La représentation des membres mentionnés aux 2° à 6° est proportionnellement diminuée en voie de conséquence » (article 62)

On voit donc que les membres élus par les personnels et les étudiants pourraient ne pas avoir la majorité, contrairement au CA des universités.  C’est un pari que de voir si on arrive alors à faire fonctionner ces deux étages sans blocage.

« Le conseil académique comprend au moins 70 % des représentants des catégories mentionnées aux 4° à 6°, dont 60 % au moins de représentants des catégories mentionnées au 4° du même article. »

L’obligation qui est faite de rassembler au sein d’un vaste ensemble tous les établissements d’un même territoire peut créer des mastodontes avec jusqu’à 100.000 étudiants[8] [8].

Les communautés pérennisent les liens qui se sont établis ces dernières années entre les organismes de recherche (tout spécialement le CNRS) et les universités. Actuellement, en France, la plupart des moyens de recherche sont concentrés dans une vingtaine d’établissements, dont près de la moitié sont en Ile de France. La question se pose de savoir quels rapports vont s’établir, au sein de ces communautés, entre l’université qui concentre la plus grande part des moyens de recherche (et qui sera de fait le leader de la communauté) et les autres établissements.

On peut espérer du cadre communautaire régional des coopérations lisibles entre lycées, écoles et universités sur l’orientation et l’accueil des lycéens, et des partenariats durables, d’une part avec les collectivités, d’autre part avec le tissu économique pour améliorer l’insertion professionnelle des diplômés et la formation tout au long de la vie. Mais dans une époque marquée par la mobilité et les échanges internationaux, rien ne serait plus réducteur qu’à travers la territorialisation se profile une nouvelle version de « vivre et travailler au pays ». Reste aussi à savoir si les communautés iront significativement dans le sens d’un effacement progressif de la division entre universités et écoles.

Nous serons le seul pays du monde avec une telle organisation territoriale. Mais il est vrai que nous sommes le seul grand pays à avoir une organisation de l’enseignement supérieur qui est à la fois publique et centralisée (c’est-à-dire non fédérale).

3- L’évaluation de la recherche et des formations :

La loi comporte la suppression de « l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » (AERES) et son remplacement par un « Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » dont le conseil d’administration est composé de 30 membres nommés par décret, et dont le fonctionnement reste largement à préciser.[9] [9]

« Il peut conduire directement des évaluations ou s’assurer de la qualité des évaluations réalisées par d’autres instances en validant les procédures retenues. »

« Il est chargé :

1° D’évaluer les établissements d’enseignement supérieur et leurs regroupements, les organismes de recherche, les fondations de coopération scientifique et l’Agence nationale de la recherche ou, le cas échéant, de s’assurer de la qualité des évaluations conduites par d’autres instances ;

 

2° D’évaluer les unités de recherche à la demande de l’établissement dont elles relèvent, en l’absence de validation des procédures d’évaluation ou en l’absence de décision de l’établissement dont relèvent ces unités de recourir à une autre instance ou, le cas échéant, de valider les procédures d’évaluation des unités de recherche par d’autres instances.

3° D’évaluer les formations et diplômes des établissements d’enseignement supérieur ou, le cas échéant, de valider les procédures d’évaluation réalisées par d’autres instances. Lorsque ces formations font l’objet d’une demande d’accréditation, l’évaluation est préalable à l’accréditation ou à sa reconduction. »

Une grande incertitude règne sur le choix des procédures : évaluation directe, avec quelles structures et quelles méthodes, ou évaluation par d’autres instances, et lesquelles ?

L’accréditation versus l’habilitation :

Jusqu’ici le MESR habilite des formations qui font l’objet d’une évaluation dans le cadre de la politique contractuelle. La nouvelle loi aligne la France sur la pratique de la plupart des pays européens en instituant l’accréditation des établissements à délivrer des formations. C’est une logique nouvelle :

« Le contenu et les modalités de l’accréditation des établissements sont fixés par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur, après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’accréditation, par son contenu et ses modalités, prend en compte le lien entre enseignement et recherche au sein de l’établissement, la qualité pédagogique, la carte territoriale des formations, les objectifs d’insertion professionnelle et les liens entre les équipes pédagogiques et les représentants des professions concernées par la formation. Un établissement est accrédité pour la durée du contrat pluriannuel conclu avec l’Etat. »

Reste à voir si la procédure d’accréditation ne sera pas enfermée dans des normes tatillonnes au nom de l’uniformité nationale.

 

4- Dispositions relatives aux formations

L’accès de tous les bacheliers à l’enseignement supérieur continue à être garanti. Mais on cherche à mieux répondre aux problèmes d’orientation et à introduire plus de diversification des parcours. Cependant, aussi longtemps qu’on aura face à face deux secteurs, l’un sélectif et l’autre non sélectif, c’est un peu la quadrature du cercle..

- Les bacheliers technologiques et professionnels dans l’enseignement supérieur :

Les [10] taux de réussite en licence (en trois et quatre ans) sont de 13,5% pour les bacheliers technologiques (contre 68% de réussite de ces bacheliers en IUT), et de 4,6% pour les bacheliers professionnels (contre 54,5% de réussite en STS). L’échec en licence ne se limite certes pas aux bacheliers technologiques et professionnels mais, pour ces bacheliers, l’échec est plus particulièrement lié à la structure de notre enseignement supérieur. La licence n’est pas une formation adaptée aux bacheliers technologiques et surtout professionnels, qui représentent quand même chaque année la moitié des bacheliers. L’objectif 50% d’une classe d’âge au niveau licence supposerait un accroissement du nombre de bacheliers généraux. C’est une question qui dépasse le sujet traité ici[11] [10].

La loi affirme une priorité d’accès des bacs technos en IUT et des bacs pros en STS, mais sa mise en œuvre relèvera des recteurs.

« En tenant compte de la spécialité du diplôme préparé et des demandes enregistrées dans le cadre de la procédure de préinscription mentionnée, le recteur d’académie, chancelier des universités, prévoit, pour l’accès aux sections de techniciens supérieurs et aux instituts universitaires de technologie, respectivement un pourcentage minimal de bacheliers professionnels et un pourcentage minimal de bacheliers technologiques ainsi que des critères appropriés de vérification de leurs aptitudes. Les pourcentages sont fixés en concertation avec les présidents d’université, les directeurs des instituts universitaires de technologie, les directeurs des centres de formation d’apprentis et les proviseurs des lycées ayant des sections de techniciens supérieurs. » (article 33).

Cette disposition pose deux types de problèmes. Tout d’abord celui des critères de sélection des candidats. D’autre part, si la mesure ne reste pas symbolique, elle remettra en cause l’équilibre et le positionnement des IUT et des STS.

Lors des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, le premier ministre avait évoqué la possibilité d’admettre tous les bacheliers technologiques et professionnels avec mention, respectivement en IUT et en STS.[12] [11] A strictement parler, cet objectif n’est pas réaliste.

A la rentrée 2011, sur les 42.223 bacheliers entrés en IUT, il y a eu 29.014 bacheliers généraux (68,7%), titulaires du bac S pour la plupart, 11.942 bacheliers technologiques (28,2%) et 1.267 bacheliers professionnels (3%). Il y avait, cette année là, 128.832 reçus au bac techno. Là-dessus on dénombrait près de 44.000 mentions (dont environ 10.000 mentions B ou TB). Le nombre total de mentions est du même ordre que celui de tous les candidats admis en IUT !

S’agissant des bacs professionnels, ils ont été 155.502 reçus en 2011, dont plus de 70.000 mentions. 129.425 bacheliers sont entrés en 1ère année de BTS : parmi eux, 53.711 bacheliers technologiques (soit 41,5%) et 28.085 bacheliers professionnels (soit 21,7%). Là aussi, l’engagement de prendre en BTS tous les bacs pros avec mention paraît inaccessible sans explosion des effectifs et redéfinition de la filière.

En réalité, les IUT sont devenus aujourd’hui des premières parties de licences sélectives : Aujourd’hui 67% des étudiants entrant en IUT sont titulaires d’un bac général, et 82% des étudiants sortant des IUT poursuivent en licence (100% dans certaines filières !). Les IUT sont donc majoritairement devenus des voies de contournement de la licence. Une augmentation significative des effectifs et un affaiblissement de la sélection les remettraient inévitablement en cause.

- La revalorisation de la sortie au niveau licence (générale ou professionnelle)

La loi stipule : « Les établissements d’enseignement supérieur peuvent mettre en place des dispositifs qui tiennent compte de la diversité et des spécificités des étudiants accueillis ». Ceci ouvre la voie à l’instauration de parcours diversifiés, certains pouvant être franchement sélectifs. Cela dépendra de la politique des établissements, mais aussi de l’orientation des bacheliers.

Mais, parallèlement, un amendement de dernière minute a inscrit dans la loi :

« Sur la base de leurs résultats au baccalauréat, les meilleurs élèves de chaque lycée bénéficient d’un droit d’accès dans les formations de l’enseignement supérieur où une sélection peut être opérée. Le pourcentage des élèves bénéficiant de ce droit d’accès est fixé chaque année par décret. Le recteur d’académie, chancelier des universités, réserve dans ces formations un contingent minimal de places au bénéfice de ces bacheliers et prévoit des critères appropriés de vérification de leurs aptitudes. » (article 33)

Cette disposition est susceptible de détourner de l’université non-sélective les meilleurs bacheliers généraux.

On peut d’ailleurs considérer que le mécanisme « Admission Post-Bac » (APB) est par sa présentation et son mode de fonctionnement, dévalorisant pour les universités. Il en est involontairement de même de l’affirmation des politiques de “réduction de l’échec en licence”, qui confirment l’image de filières dépotoir des licences…

[13] Les chiffres sont archi-connus, mais il faut les répéter : 27 % des étudiants[14] [12] entrants en première année de licence obtiennent leur licence trois ans plus tard et 12 % des étudiants ont besoin d’une année supplémentaire pour valider leur diplôme. Pour beaucoup d’étudiants, la première année de licence est une position d’attente qui ne coûte rien et qui procure une bourse[15] [13], ce qui peut se comprendre dans le climat social actuel, mais explique en partie le taux d’échec monstrueux en première et deuxième années. Dans ce contexte, la pédagogie ne suffit pas à contrebalancer l’absence de sélection. On peut noter que la réussite en troisième année de licence est plus élevée : 74% pour les étudiants inscrits en licence générale et 88% pour les étudiants d’une licence professionnelle[16] [14].

- L’avenir des masters

Les masters restent d’accès libre en première année[17] [15] (dans l’université où l’étudiant a obtenu sa licence) ce qui conduit à en faire des licences prolongées, tandis les masters2 sont sélectifs.

Parmi les lauréats de licence générale, près des trois quarts sont inscrits dans un master à l’université l’année suivante, et le taux de passage de M1 en M2 est de 59%. Les M2 qui sont liés à des pôles de recherche reconnus sont beaucoup plus attractifs que les autres et, leurs effectifs étant limités, on a affaire à une véritable sélection nationale. Il est probable qu’à l’avenir les masters vont encore plus se différencier et que, dans chaque discipline, les hiérarchies vont se renforcer. D’ores et déjà, dans certaines universités à faible potentiel de recherche, on trouve des masters à effectifs squelettiques, dont le maintien est problématique.

On peut regretter que les masters n’aient pas été intégrés dans des écoles doctorales sélectives, comparables aux « graduate schools » américaines, s’appuyant sur des forces de recherche consistantes. Mais on peut se demander si toutes les universités auraient la capacité d’avoir de telles écoles doctorales.[18] [16]

On trouve des universités moyennes, notamment provinciales, qui ne sont pas des « universités de recherche » et qui s’installent dans la position de bons « collèges universitaires », leurs enseignants investissant plus qu’ailleurs dans la qualité pédagogique. (Voir le tableau des [19] résultats des licences par université, publié par le MESR). A terme, on pourrait imaginer que certains de ces établissements deviennent, pour l’essentiel, des « collèges en 3 ans » plus ou moins côtés, délivrant licence générale et professionnelle (plus quelques masters).

5- L‘université et le monde économique

Comme nous l’avons dit au début, le texte de loi est truffé de formules qui dessinent une université orientée vers le monde économique, tant du point de vue des formations que de la recherche et de l’innovation.

« Le service public de l’enseignement supérieur contribue à la croissance et à la compétitivité de l’économie et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et leur évolution prévisible. »

« Le service public de l’enseignement supérieur soutient la valorisation des résultats de la recherche au service de la société (..) assure la liaison nécessaire entre les activités d’enseignement, de recherche et d’innovation. » (article 10)

Ces orientations générales ne débouchent pas sur des dispositions très concrètes, mais ouvrent un débat sur un sujet qui est plus complexe qu’on ne veut bien souvent l’admettre.

S’agissant de la recherche, c’est une croyance assez répandue que le premier déficit de l’innovation, c’est de ne pas savoir exploiter les inventions de la recherche, et que pour combler ce déficit, les universités devraient devenir des acteurs plus directs de l’innovation. Certes les universités doivent contribuer à l’innovation (et elles le font), mais leur véritable fonction dans la société est beaucoup plus large.

L’innovation est un processus économique lié au marché. Pour illustrer notre propos nous pouvons citer [20] un [21] rapport du conseil des académies canadiennes qui explique «pourquoi  le Canada est fort en recherche et faible en innovation ». Sans entrer dans les détails, ce rapport souligne que, jusqu’ici, les entreprises canadiennes ne sont pas devenues plus innovatrices parce qu’elles n’en avaient pas besoin pour être prospères. Depuis des générations, l’avantage comparatif du pays réside dans la fourniture de matières premières et de produits manufacturés à un coût concurrentiel, en amont de réseaux de valeur ajoutée hautement intégrés, largement dominés par des entreprises des États-Unis. Il a été tout simplement plus facile et moins coûteux d’acquérir des États-Unis l’innovation nécessaire.

S’agissant de l’adéquation de la formation à l’emploi, il y a également débat. On peut citer à ce sujet la conclusion d’une [22] étude du CEREQ : « Depuis trente ans nous vivons dans l’illusion d’une possible adéquation entre les offres d’emploi pour les jeunes et les diplômes délivrés. Ceci aboutit à spécialiser de plus en plus les formations, bacs pro ou licences professionnelles par exemple. C’est méconnaître les trajectoires d’insertion dans l’emploi qui durent souvent plusieurs mois, voire plusieurs années. C’est ignorer les pratiques de recrutement des entreprises. (..) Une majorité de jeunes se stabilise dans un emploi qui ne correspond pas à sa formation, et l’on sait par ailleurs que ce “désajustement” ne se réduit pas avec le temps. Chercher à ajuster de plus en plus précisément les contenus des formations à leurs débouchés supposés est donc en partie vain».

Sans nier la nécessité de se préoccuper des emplois sur lesquels les formations peuvent déboucher, il faut admettre que beaucoup de qualités appréciées dans la « société de la connaissance » (esprit d’entreprise, capacité managériale, leadership, vision, travail en équipe, adaptabilité, application concrète de compétences techniques) ne découlent pas d’une adéquation étroite d’une formation à un emploi, mais dérivent de qualités plus fondamentales qui résultent elles-mêmes d’une formation générale dans un contexte pluridisciplinaire.

6- La place de l’anglais dans l’enseignement

Cette question se pose avec une acuité nouvelle à cause de l’explosion récente des cours en ligne, notamment les « Massive Open Online Courses » (MOOCs). On ne discutera pas ici quel est l’avenir de ces MOOCs, mais à partir du moment où l’on propose des enseignements pour un public international sans limites géographiques, la question de la langue devient essentielle. Indépendamment de ces cours en ligne, le développement des échanges internationaux d’étudiants et de professeurs, le caractère mondial de la recherche, conduisent à un usage croissant de la langue des échanges internationaux, c’est-à-dire de l’anglais, qui s’est d’ores et déjà imposé dans les publications scientifiques.

La place de l’anglais dans les formations dispensées dans l’enseignement supérieur français suscite un débat assez vif. La nouvelle loi a tenté de donner un cadre législatif à des pratiques qui se sont répandues et ne sont pas prêtes de régresser (Il est difficile de donner un pourcentage précis des cours en anglais dans les universités et les écoles, mais certaines écoles sont en pointe). Compte tenu des oppositions qui se sont manifestées (plutôt dans les secteurs littéraires que scientifiques) les dispositions de la loi sont excessivement prudentes et présentent l’usage d’une autre langue que le français comme « une exception » , justifiée « lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d’un accord avec des institutions étrangères ou internationales », ou par « le développement de cursus et de diplômes transfrontaliers », ou encore « lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers »… On met des limites – notamment dans le temps - à ces exceptions. Mais ces limites sont un peu symboliques car, jusqu’ici, l’expansion de l’anglais n’a pas eu besoin d’autorisation pour se réaliser.



[23] [1] Du style : « Le service public de l’enseignement supérieur contribue à la croissance et à la compétitivité de l’économie et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et leur évolution possible. »

[24] [2] Dans beaucoup d’universités étrangères il y a un seul représentant étudiant qui parle au nom de la communauté étudiante organisée.

[25] [3] Elle est plutôt très affaiblie : la liste qui a obtenu le plus de voix obtient une prime de 2 sièges. Mais les listes qui n’ont pas obtenu au moins 10% des suffrages ne sont pas admises à la répartition des sièges.

[26] [4] L’obligation de représenter tous les secteurs sans exclusive pouvait jouer comme une censure électorale lorsqu’un secteur particulier décidait de n’être représenté que par une seule liste (c’était parfois le cas du secteur médical).

[27] [5] Sauf en cas de conflit interne dont le conseil d’administration devenait alors le champ clos.

[28] [6] Le président du conseil académique n’est pas obligatoirement le président de l’université sauf si l’université le prévoit dans ses statuts.

[29] [7] A noter : « La communauté d’universités et d’établissements peut être accréditée pour certaines formations et peut percevoir directement des droits pour ces formations. »

[30] [8] 115.000 dans les Pays de Loire, dont près de la moitié à Nantes.

[31] [9] La suppression de l’AERES vient satisfaire les demandes de nombreux groupes de pression (académie des sciences, comité national du CNRS, syndicats…) largement motivées par le fait que les comités de l’AERES ne sont pas élus par les pairs. La question reste entière tant que le fonctionnement du Haut Conseil n’est pas précisé.

[32] [10] Cf [33] « Illusions d’optique » in JFM’s Blog

[34] [11] Un [35] décret de 2008 établissait déjà l’admission de droit en IUT pour les bacheliers technologiques ayant obtenu une mention B ou TB et dont le champ professionnel était en accord avec le département d’IUT demandé. De même les bacheliers professionnels avec mention B ou TB étaient admis de droit en STS.

[36] [12] 21% des  garçons seulement !

[41] [15] La sélection à l’entrée du master, un moment envisagée, a été refusée lors du débat parlementaire, notamment sous la pression de l’UNEF.

[42] [16] Les USA ont 21 millions d’étudiants mais seulement 300 « universités de recherche » délivrant le doctorat. La France compte 2,7 millions d’étudiants (en intégrant les STS et les prépas). Si notre organisation était comparable aux USA, cela donnerait pour la France seulement une quarantaine d’universités délivrant le doctorat.


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[1] [1]: #_ftn1
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[6] [6]: #_ftn6
[7] [7]: #_ftn7
[8] [8]: #_ftn8
[9] [9]: #_ftn9
[10] taux de réussite en licence: http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Formations_et_diplomes/92/5/iut-MESR_-_CP_
-_Infographie_IUT.STS_deplacement_GF_Reims_le_7_mars_2013_243925.pdf

[11] [10]: #_ftn10
[12] [11]: #_ftn11
[13] Les chiffres: http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2013/15/5/NI_MESR_13_02_248155.pdf
[14] [12]: #_ftn12
[15] [13]: #_ftn13
[16] [14]: #_ftn14
[17] [15]: #_ftn15
[18] [16]: #_ftn16
[19] résultats des licences par université: http://etudiant.aujourdhui.fr/etudiant/info/classement-des-universites-le-palmares-selon-le-taux-de-
reussite-en-licence.html

[20] un : http://sciencepourlepublic.ca/fr/news.aspx?id=121
[21] rapport du conseil des académies canadiennes: http://sciencepourlepublic.ca/fr/news.aspx?id=121
[22] étude du CEREQ: http://www.cereq.fr/index.php/actualites/Quand-l-ecole-est-finie-Premiers-pas-dans-la-vie-active-d-u
ne-generation-enquete-2010

[23] [1]: #_ftnref1
[24] [2]: #_ftnref2
[25] [3]: #_ftnref3
[26] [4]: #_ftnref4
[27] [5]: #_ftnref5
[28] [6]: #_ftnref6
[29] [7]: #_ftnref7
[30] [8]: #_ftnref8
[31] [9]: #_ftnref9
[32] [10]: #_ftnref10
[33] « Illusions d’optique »: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=255
[34] [11]: #_ftnref11
[35] décret de 2008: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000018383321&dateTexte=
[36] [12]: #_ftnref12
[37] [13]: #_ftnref13
[38] « L’université face à un afflux de « faux » étudiants boursiers »: http://abonnes.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/2013/05/27/l-universite-face-aux-faux-etudi
ants-boursiers_3417985_1473692.html

[39] [14]: #_ftnref14
[40] Note d’information 13.02 de la DEPP: http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2013/15/5/NI_MESR_13_02_248155.pdf
[41] [15]: #_ftnref15
[42] [16]: #_ftnref16

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