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Pisa : la mobilisation des mathématiciens

Posted By Martin Andler On 14 décembre 2013 @ 17:38 In Enseignement, Société | Comments Disabled

Avertissement : Martin Andler est président d’Animath et la deuxième partie de cet article est parue dans Le Monde daté du 13 décembre 2013, dans un dossier intitulé  « L’Ecole française est-elle vraiment à la traîne ».

A-t-on déjà tout dit sur les leçons de l’étude Pisa[1] [1] ? Les analyses ont porté, à raison, sur la manière dont notre système scolaire laissait plus de 20% des élèves sur le côté, sur son caractère très socialement inégalitaire, et sur la dégradation continue des résultats de la France depuis 2003. Mais a-t-on suffisamment prêté attention à trois aspects qui ne sont pas moins essentiels ?

I. Le constat

Rappelons que Pisa classe, dans chaque domaine étudié (mathématiques, sciences, maîtrise de la langue) les élèves en 7 niveaux, allant du niveau <1 (les moins bons) au niveau 6 (les meilleurs). La distribution entre ces niveaux est bien plus instructive que la seule moyenne.

1° Les mathématiques n’échappent pas au poids du déterminisme social, et c’est particulièrement marque en France : contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, l’origine sociale y est aussi déterminante que pour la maîtrise de la langue. Lorsque l’on compare les performances en mathématiques des 25% des élèves les plus favorisés, et celle des 25% des élèves les moins favorisés, l’écart pour la France est le plus marqué de tous les participants au cycle PISA 2012.

Globalement, les garçons sont légèrement meilleurs que les filles en mathématiques, et la différence entre les deux sexes est comparable en France à ce qu’elle est dans les pays de l’OCDE. On ne constate d’ailleurs aucune détérioration dans les dernières années. Mais la différence moyenne cache des disparités importantes : si les filles sont aussi nombreuses que les garçons parmi les très faibles (niveau ≤1), elles sont sensiblement moins nombreuses que ceux-ci parmi les forts (niveaux 5 et 6), avec 11% de filles et 15% de garçons, et à peine plus de la moitié au niveau 6 : 2,2% contre 4,1%.

3° Dernier point, qui n’est guère souligné : nous disposons d’un vivier insuffisant de jeunes préparés pour les études scientifiques. Dans l’enquête 2012 en mathématiques, nous avons 9,8% d’élèves au niveau 5 et 3,1% au niveau 6, ce qui nous place très loin de pays comparables comme l’Allemagne (respectivement 12,8% et 4,7%) ou la Belgique (13,4% et 6,1%), sans parler des pays d’Asie. En 2003, nous en étions respectivement à 11,6% et 3,5%, soit une sensible régression depuis lors. Et nos faibles résultats en mathématiques ne sont pas compensés par une qualité supérieure en sciences : il n’y a que 8,1% de jeunes français aux niveaux 5 et 6 en sciences, là aussi en dessous de la moyenne des pays comparables.

Ces jeunes aux niveaux 5 et 6 sont ceux qui sortent du collège bien préparés pour des études scientifiques. Or ils ne représentent qu’environ deux tiers des effectifs de la série S, qui doit donc inclure des élèves qui arrivent en première scientifique avec une grande fragilité de leurs acquis.

Pour ce qui est des vocations scientifiques, les jeux sont donc déjà faits à la fin du collège :

  • il n’y a pas assez d’élèves qui sont prêts pour suivre un cursus à dominante scientifique ;
  • parmi ceux qui peuvent s’engager dans un tel cursus il n’y a pas assez de filles ;
  • les jeunes des milieux défavorisés, en particulier ceux qui sont issus de l’immigration, en sont très largement exclus.

II. Que faire ?

Si un changement radical s’impose d’urgence, et que la priorité doit absolument être mise sur ce qui pourra rétablir l’égalité républicaine dans notre système scolaire et lutter contre la ghettoisation, il ne faudrait pas perdre de vue que c’est en sciences et en mathématiques que le problème est le plus aigu. Oui, il faut que l’égalité des chances redevienne une réalité, et c’est dans les domaines où le problème est le plus grave qu’il faut faire le plus d’efforts. 

Mais il faut aussi modifier profondément les approches pédagogiques (ce qui suppose agir sur la formation des professeurs), diminuer la part du magistral, mettre les élèves en situation de questionnement par rapport aux savoirs transmis. On sait bien que les mathématiques souffrent d’un enseignement trop tourné vers l’acquisition d’un catalogue de techniques dont le sens échappe le plus souvent aux élèves. Il faut que le lien avec les autres disciplines devienne plus apparent, que les connaissances transmises soient mises en perspective, que les élèves soient en situation de relier ce qui est enseigné dans le cadre scolaire et les activités économiques et sociales.

La mobilisation des mathématiciens

Parmi les initiatives les plus intéressantes figurent celles qui s’inscrivent dans le cadre périscolaire, où l’on entend par là non pas l’industrie des petits cours payants et du soutien scolaire, mais un ensemble très diversifié d’activités qui complètent et revitalisent la pratique des mathématiques et améliorent la perception qu’on en a dans le grand public :

  • réalisation d’expositions fixes et itinérantes, de documents et brochures sur des thèmes mathématiques ;
  • conférences dans les établissements faites par des chercheurs en mathématique et des ingénieurs ;
  • clubs et ateliers mathématiques dans les établissements, permettant de pratiquer les mathématiques de manière différente, dans des logiques collectives, par la réalisation de projets et une initiation à la recherche pour les plus grands et des pratiques liant jeux et mathématiques pour les plus jeunes ;
  • participation à des compétitions mathématiques individuelles et par équipe ;
  • tutorats et stages, notamment à l’attention des jeunes issus des milieux défavorisés sur le plan géographique ou social ;
  • actions ciblées à l’intention des filles pour les aides à surmonter la barrière des stéréotypes et des préjugés…

De nombreuses expériences sont menées un peu partout, et avec succès, en France, dans les villes, les banlieues et zones rurales ; elles s’adressent aussi bien aux jeunes très motivés qu’à ceux qui ont perdu la motivation et que seules des pédagogies différentes peuvent remettre sur la bonne voie. Elles donnent à celles et ceux dont l’origine sociale, la provenance géographique ou le sexe pouvaient les empêcher de réaliser leur potentiel une chance de réussite. Elles montrent qu’il n’y a ni fatalité du déterminisme social, ni de l’échec.

C’est dans le cadre du consortium [2] Cap’Maths que les mathématiciens se sont regroupés en 2011 pour promouvoir le goût des mathématiques et la pratique de telles activités et leur assurer une plus grande visibilité, avec comme priorité de les développer auprès des publics qui ont tendance à s’en éloigner. Cap’Maths, qui rassemble l’ensembles des acteurs des mathématiques en France, et est porté par l’association [3] Animath, a été sélectionné au titre des « Investissements d’avenir » dans le cadre de l’appel « Culture scientifique et technique et égalité des chances ». Les fonds ainsi obtenus permettent de financer des dizaines d’actions un peu partout en France.

Les constats faits aujourd’hui à propos du système éducatif et de la situation des mathématiques montrent à quel point cette démarche était pertinente et correspondait à un besoin urgent. Sans être la panacée, ces activités ouvrent des portes ; elles doivent pouvoir se développer un peu partout, selon des modalités adaptées, dans nos écoles, collèges et lycées. 



[4] [1]Voir le résumé de [5] l’étude Pisa sur le site de l’OCDE : [6] http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results.htm et la [7] présentation qui en est faite sur le site du Ministère de l’éducation nationale : [8] http://www.education.gouv.fr/pisa2012


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[1] [1]: #_ftn1
[2] Cap’Maths: http://www.capmaths.fr/
[3] Animath: http://www.animath.fr/
[4] [1]: #_ftnref1
[5] l’étude Pisa: http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results.htm
[6] http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results.htm: http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results.htm
[7] présentation: http://www.education.gouv.fr/pisa2012
[8] http://www.education.gouv.fr/pisa2012: http://www.education.gouv.fr/pisa2012/?feuilleCSS=firefox#home

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