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Commentaire

Posted By Bernard Belloc On 29 avril 2014 @ 11:46 In Non classé | Comments Disabled

On trouvera ici un commentaire de l’article [1] « Les communautés d’université : des « systèmes » à la française ? ». Ce commentaire est proposé par Bernard Belloc, Président honoraire de l’Université de Toulouse 1 Capitole, Ancien conseiller enseignement supérieur recherche à la Présidence de la République. Il est publié sous sa responsabilité. 

Dans le désert sibérien du débat actuel sur l’université en France, ce papier est le bienvenu. Je ne partage pas, loin s’en faut, toutes les positions de JFM, ce qui ne le surprendra pas, mais ses analyses sont de remarquables contributions au débat. Sous un gouvernement de gauche nous assistons actuellement à une triple régression: régression budgétaire tout d’abord, qui va à nouveau nous faire reculer en terme de dépense par étudiant en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, difficilement atteinte en 2012, régression sur le plan de l’autonomie, car l’Etat a désormais repris tout le contrôle du pilotage  de ses universités après les sans doute trop timides avancées de la LRU, et, plus triste, régression intellectuelle car aucune idée nouvelle ne semble être mise sur la table par des universitaires français partagés entre un individualisme forcené et un appel pathétique à la protection de l’Etat, dérisoire dans un monde devenu global. Même l’Etat chinois est en train de lancer une profonde réflexion sur l’autonomie qu’il convient désormais d’accorder à ses universités dans un monde devenu global, alors que l’autonomie des universités chinoises est de facto déjà largement plus grande que celle des universités françaises !

Je retiens d’abord du papier de JFM une excellente définition de la démocratie universitaire recadrant bien les choses: la démocratie universitaire c’est le degré de liberté laissé aux universitaires et pas le pouvoir de la base sur le sommet. La démocratie n’a rien à faire à l’université s’il s’agit de donner le pouvoir à la communauté universitaire. Les universités ne lui appartiennent pas et les collègues qui en appellent à tout bout de champ à la démocratie universitaire pour justifier le pilotage des universités par les universitaires devraient prendre le temps de la réflexion. Ils se rendraient compte que cela ne peut que conduire par réaction au renforcement du pilotage des universités par l’Etat, seul vrai propriétaire des universités au nom de la société civile qu’il représente dans un régime politique général de démocratie représentative. J’ai un grand regret qu’on n’ait pu imposer dans la loi LRU des conseils d’administration composés de membres externes à la communauté universitaire, ainsi que de vrais sénats académiques, non exécutifs mais représentants les universitaires. Trop novateur alors, dans un monde français trop figé. La situation actuelle n’est pas non plus tenable, avec deux instances dirigeantes élues créant une double légitimité au mieux paralysante pour les universités. On ne pouvait mieux s’y prendre pour affaiblir les universités et redonner complètement la main à l’Etat. Mais bon, peut-être que de petits pas en petits pas, les choses évolueront vers une situation acceptable en ce qui concerne la gouvernance des universités françaises et de leur autonomie.

Le trait le plus important de la loi mise en œuvre actuellement semble être la mise en place de regroupements d’universités, les COMUE, qui peuvent prendre différentes formes. Il y a quelques années j’avais décrit, dans un ouvrage paru aux PUF, deux des principaux systèmes public américains, le système californien et le système du Wisconsin. Les deux me semblaient en effet constituer une bonne base pour imaginer un cadre d’évolution pour le système français, même s’ils ne peuvent résumer à eux seuls la très grande diversité des systèmes publics américains, soulignée à juste titre par JFM.

On m’a dit que les rédacteurs de la loi Fioraso s’étaient eux-mêmes inspirés de  certains de ces systèmes. Je ne suis pas du tout d’accord. D’abord parce que l’autonomie de ces systèmes est totale, même si l’influence des états américains dont ils dépendent y est grande. Elle est totale car la liberté dont y jouissent les universitaires est immense, même si ici ou là des conflits, parfois importants, comme dans le Wisconsin, peuvent opposer universitaires et responsable politiques des états. Ensuite parce que les systèmes publics américains sont, en interne, très diversifiés, ce que ne souligne pas assez JFM. Le système public californien comporte trois niveaux institutionnels: l’University of California, très sélective, qui n’a que des campus de recherche délivrant bachelor, masters et PhD et regroupant la quasi-totalité des laboratoires publics de recherche californiens, la State University of California, moins sélective, qui ne délivre pas de doctorats et n’est pas financée pour des activités de recherche et les public colleges, formations en deux ans complètement ouvertes. Pour chaque niveau institutionnel, l’autonomie académique est totale et de nombreuses passerelles existent pour permettre des passages souples d’un volet à l’autre pour les étudiants. S’agissant du système du Wisconsin, si chaque campus du système est autonome, seuls deux d’entre eux sont des campus de recherche, Madison et Milwaukee. Les autres sont des campus de formation, ne délivrant pas le doctorat, parfois même seulement le bachelor. Certains ne sont même que des Colleges.

Il est tout à fait possible que JFM ait raison lorsqu’il écrit que les COMUE engendreront une différentiation forte à l’intérieur du système français, d’une COMUE à l’autre. Mais je crois qu’il va surtout engendrer de très gros millefeuilles faits de bric et de broc alors que nous aurions besoin, à l’intérieur de chaque COMUE, de regrouper institutionnellement d’une part des campus de formation et de l’autre des campus de recherche, afin d’aboutir à une différentiation « à la californienne » ou  « à la wisconsienne ». On en est très loin et on en restera hélas très loin tant qu’on n’acceptera pas en France de distinguer clairement entre des universités de formation et des universités de recherche. Et l’inefficacité collective du service public sera au rendez-vous.

Il y enfin un élément dont JFM ne parle pas. C’est la présence aux Etats Unis d’un très fort secteur universitaire privé, qui, par la compétition qu’il impose, crée une incitation très forte sur le secteur public pour tenir des standards de qualité les plus élevés possibles. Cette présence d’un secteur privé très fort n’est certes pas indispensable pour avoir des universités publiques performantes, comme le montrent les exemples suisses, scandinaves ou allemands. Mais il faut en tenir compte en France, car c’est une partie de l’enseignement supérieur qui s’y  développe très vite depuis quelques années, dans certaines disciplines, et qui à terme aura une incidence sur l’évolution des universités publiques, ne serait-ce que parce qu’il draine chaque année une part croissante des très bons bacheliers.

Je rejoins JFM dans sa conclusion, tout en étant plus pessimiste si les choses restent en l’état sur le plan institutionnel : les COMUE risquent d’aboutir à des systèmes publics « à la française » très diversifiés, ce qui, à l’exception de quelques-uns (Saclay, des regroupements parisiens et peut-être certaines des fusions déjà réalisées) ne permettra pas à cette différentiation de faire progresser le système universitaire français.

La question des moyens est certes essentielle et mobilise donc nos collègues  pétitionnaires. Mais ils feraient mieux de s’interroger sur les nécessaires évolutions institutionnelles qui restent encore à accomplir dans notre pays. Sinon, dans un très bref délai, le système français se résumera à moins de dix ensembles performants, de niveau mondial, au sein desquels d’ailleurs de nombreuses grandes écoles auront été intégrées. Le reste se disloquera plus ou moins vite et seuls surnageront quelques îlots de formations très professionnalisées. 


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