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Universités : pourquoi la sélection peut être une solution

Posted By JFM On 24 octobre 2014 @ 19:05 In Enseignement, Universités | Comments Disabled

Dans la période de crise économique et politique que connaît le pays, l’avenir de nos universités est le cadet des soucis gouvernementaux. Certes on parle de « société de la connaissance » et on proclame que l’enseignement supérieur et la recherche sont des déterminants de notre développement économique, mais on pense au fond que, dans l’immédiat, notre système comporte suffisamment de secteurs d’excellence sur lesquels s’appuyer pour cela, et le slogan cent fois répété de 50% d’une classe d’âge diplômée du supérieur reste une invocation pas toujours très claire, et sans rapport avec la réalité de nos universités.

Dans un paysage de restrictions budgétaires, on comprend que les revendications universitaires portent plus souvent sur la question des moyens que sur celle des structures de notre enseignement supérieur, qui est pourtant centrale mais moins évidente à régler. Il est vrai que dans le contexte actuel de crispation politique il est tout à fait utopique d’espérer une grande réforme, mais nous ne sommes pas à la fin de l’Histoire, et les idées continuent d’avancer. C’est le cas pour ce qui est de la sélection dans l’enseignement supérieur, sujet naguère tabou qui est devenu d’actualité.

Lorsqu’on sait que moins de 40% des étudiants de première année décrochent une licence (moins de 30% en 3 ans), il faut être naïf pour penser que ce n’est qu’une affaire d’orientation et de pédagogie, comme semblent l’affirmer les deux présidents d’université responsables du comité [1] StraNES (Stratégie nationale de l’enseignement supérieur) dans une récente interview que l’Etudiant publie sous le titre [2] Université : pourquoi la sélection n’est pas la solution. Les solutions évoquées par nos deux présidents peuvent être qualifiées de vœux pieux (si l’on est indulgent) accompagnés de formules vagues du style « Il faut travailler sur un éventail de parcours à l’université et en finir avec la rigidité du système français linéaire ». Mais surtout ne parlons pas de « sélection » !

Il est certain que si, du jour au lendemain, on interdisait l’accès de milliers d’étudiants mal préparés à la licence, ce serait la meilleure façon de les retrouver dans la rue, et pas sur le marché de l’emploi. Du coup, droite et gauche s’accordent pour refuser toute sélection à l’université, en mettant en avant, depuis des années, des politiques de « réduction de l’échec en licence » par la pédagogie, qui ont fait fiasco et contribuent à donner des licences une image de filières dépotoirs. Naturellement une sélection sévère s’opère de facto les deux premières années, et la réussite en troisième année est plus élevée : 74% pour les étudiants inscrits en licence générale et 88% pour les étudiants d’une licence professionnelle[3] [1]. Donc inutile de parler de sélection, dira-t-on. Mais quel gâchis !

Il ne peut être question de barrer purement et simplement l’accès de l’enseignement supérieur à certains bacheliers. Mais il est absurde de laisser tout le monde aller librement vers les licences. Mais alors, où iront-ils ? Une des dispositions les plus nouvelles de la loi ESR de 2013 (article 33) était l’affirmation d’une priorité d’accès des bacheliers technologiques en IUT et des bacheliers professionnels en STS. Ce remède a été administré pour l’instant à dose homéopathique. Il est vrai que le problème à résoudre n’est pas mince, comme je le soulignais dans un précédent article[4] [2]. Les chiffres que je citais restent d’actualité. La part des bacheliers technologiques parmi les 51.000 nouveaux entrants en IUT en 2013 atteint 28,8% (ils étaient 28,2% en 2011, 27,3% en 2012) soit environ 15.000 inscrits[5] [3]. Or 49.000 bacheliers technos avaient obtenu leur bac avec mention (dont plus de 13.000 avec mention B ou TB). S’agissant des bacs pros, on dénombrait 68.000 mentions (dont plus de 17.000 mentions B ou TB) et seulement 36.000 de ces bacheliers admis en STS.[6] [4] On voit donc que l’accès à l’enseignement supérieur des meilleurs bacheliers technologiques ou professionnels (ceux qui ont eu une mention) n’est pas pour demain dans le contexte actuel, sauf à les envoyer à l’abattoir en licence[7] [5]. Tandis que c’est l’absence de sélection en licence qui fait refluer des publics qui lui étaient destinés (bacs généraux) vers une filière sélective dont la finalité initiale était plutôt de former des techniciens supérieurs.

Les deux responsables du Comité StraNES avancent l’idée suivante qui peut faire sourire : « Si les bacheliers professionnels veulent faire des études académiques classiques, il faut réunir les conditions pour qu’ils y parviennent. Il faut les y aider dès le lycée, en renforçant les acquis fondamentaux dans certaines filières de bacs pros. Nous proposons de développer des classes préparatoires à l’enseignement supérieur dans les lycées et les universités »

 En vérité on se trouve devant un problème structurel et non pas pédagogique. En particulier, on ne peut laisser coexister filières sélectives et non-sélectives. On ne peut continuer à vivre dans l’illusion d’universités d’accès libre et indifférenciées. La sélection sous-jacente qui s’y opère est d’autant plus sauvage. Elle gagnerait à être explicite, même si elle s’exerce de façon souple[8] [6]. On parle d’instaurer une « orientation positive et sérieuse »[9] [7]. Mais en l’absence de toute sélection, une telle orientation risque d’être un concept vide de sens.

 Certains ne manqueront pas de dire que, par la sélection, on va empêcher la jeunesse populaire d’accéder à l’enseignement supérieur. Mais, comme on l’a vu, l’absence de sélection s’accompagne d’un échec massif. C’est donc une belle escroquerie. Ceux qui hurlent le plus contre la sélection (le SNESUP, l’UNEF…) protègent en réalité l’ordre établi dont ils font partie. Ainsi les professeurs d’université sont majoritairement issus de filières très sélectives, et le syndicalisme de l’UNEF est une voie de sélection de futurs cadres politiques… Certains poussent la démagogie à réclamer l’abolition de la sélection permise aujourd’hui à l’entrée du M2, et les deux présidents de la StraNES proclament : « Tout titulaire d’une licence générale doit avoir accès à un master ».

Une difficulté tient à la prétendue uniformité des universités françaises. Il ne faut pas se cacher que la sélection étendue, même de façon souple, à l’ensemble du système d’enseignement supérieur, impliquera à terme une profonde différenciation des établissements comme c’est le cas dans bien des pays. On peut penser, par exemple, aux USA où les 4.000 établissements d’enseignement supérieur se répartissent en community colleges en deux ans qui accueillent 36% des étudiants, et les 4 years universities  qui délivrent bachelor et master, dont une centaine seulement sont des research universities qui délivrent le PhD. On trouve chez nous des universités moyennes, notamment provinciales, qui ne sont pas - loin de là - des « universités de recherche » et qui s’installent peu à peu dans la position de bons « collèges universitaires ». Il n’y a pas lieu de le déplorer. La situation des grandes « universités de recherche » (comme l’UPMC) est plus problématique en l’absence de sélection. C’est pourquoi certaines installent, de façon plus ou moins ouverte, des filières pour lesquelles des contraintes pédagogiques d’organisation induisent une nécessaire sélection (c’est le cas, par exemple, des bi-licences). On peut imaginer que ce mouvement fera tâche d’huile.

Ajoutons que si l’on veut rapprocher les universités et les grandes écoles pour les intégrer dans un système inspiré du modèle international, ceci ne peut s’envisager qu’en étendant le principe de la sélection à l’ensemble de l’enseignement supérieur. Sans quoi le dualisme français se perpétuera.

Le sujet de la sélection est aujourd’hui à l’ordre du jour alors qu’il y a peu on ne pouvait même pas l’évoquer. Pourquoi ? Sans doute la mondialisation de l’enseignement supérieur y est-elle pour quelque chose. Dans les comparaisons et les évaluations internationales, le système français apparaît boiteux et unique en son genre avec une recherche d’excellence dans des universités libres d’accès, et l’élite étudiante dans des grandes écoles sélectives. Le système actuel protège les élites mais les enferme dans un système obsolète. Les choses bougent lentement. Mais, comme bien souvent en France, on ne réforme pas en profondeur. On laisse dériver jusqu’au moment où ça craque ; ou bien on réforme implicitement sans le dire.

Ce texte peut paraître comme un plaidoyer sans nuance pour une sélection à l’université. Terminons donc par une réserve. D’un point de vue démocratique, la différenciation à venir des universités peut être un sujet de préoccupation quand on voit ce qu’a donné l’abandon plus ou moins affiché de la sectorisation des lycées. Des hiérarchies s’installeront, sans doute porteuses de ségrégation sociale ; elles existent déjà avec les écoles. C’est un problème qui dépasse le sujet traité ici mais dont il faut avoir conscience dans la mise en œuvre de la sélection à l’université. En effet, l’impact de l’enseignement supérieur ne se réduit pas à la compétitivité économique, comme on l’entend souvent aujourd’hui. Il y a des enjeux démocratiques importants : préparer les citoyens aux mutations en cours ; transmettre un socle de connaissances… Les universités ne se contentent pas de délivrer des diplômes. Il y a aussi la diffusion d’une culture commune aux étudiants qu’elles accueillent. Un danger de la sélection et de la différentiation, c’est de perdre ce moule culturel commun à tous les étudiants. On se doit de préserver un maximum de porosité entre les filières et les établissements. Mais il est absurde de refuser toute sélection.  

 

 


[14] [3] [15] En janvier 2013, Geneviève Fiorasso envisageait que les IUT puissent acueillir 50% de bacs généraux et 50% de bacs technos. Pour cela il faudrait en intégrer 25.000 contre 15.000 aujourd’hui. On est encore loin du compte.

[18] [5] En 2012 les taux de réussite en licence (en trois et quatre ans) étaient de 13,5% pour les bacheliers technologiques (contre 68% de réussite en IUT), et de 4,6% pour les bacheliers professionnels (contre 54,5% de réussite en STS.

[19] [6] On peut imaginer des processus de sélection bien plus intelligents que les concours d’entrée qui figent les situations de façon précoce.

[20] [7] François Hollande (Nancy 5.03.2012).


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[1] StraNES: http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid30540/strategie-nationale-de-l-enseignement-superieu
r.html

[2] Université : pourquoi la sélection n’est pas la solution: http://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/pourquoi-la-selection-a-l-universite-n-est-pas-la-soluti
on.html

[3] [1]: #_ftn1
[4] [2]: #_ftn2
[5] [3]: #_ftn3
[6] [4]: #_ftn4
[7] [5]: #_ftn5
[8] [6]: #_ftn6
[9] [7]: #_ftn7
[10] [1]: #_ftnref1
[11] Note d’information 13.02 de la DEPP: http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2013/15/5/NI_MESR_13_02_248155.pdf
[12] [2]: #_ftnref2
[13] « Bacs technologiques et professionnels dans l’enseignement supérieur. La réforme impossible »: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=281
[14] [3]: #_ftnref3
[15] En janvier 2013, Geneviève Fiorasso envisageait: http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid66873/discours-de-genevieve-fioraso-lors-de-la-cerem
onie-des-voeux.html

[16] [4]: #_ftnref4
[17] Repères et références statistiques 2014: http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/03/2/DEPP_RERS_2014_etudiants_344032.pdf
[18] [5]: #_ftnref5
[19] [6]: #_ftnref6
[20] [7]: #_ftnref7

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