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Le CNRS est-il l’horizon indépassable de la recherche française ?
Posted By JFM On 20 mars 2008 @ 20:38 In Organismes, Recherche, Universités | Comments Disabled
Plus de 600 directeurs de laboratoires ou membres d’instances scientifiques se sont réunis à Paris, au début de ce mois, pour exprimer leur inquiétude sur « le nouveau paysage de la Recherche qui est en train de voir le jour au travers des réformes déjà mises en place ou annoncées ». Le communiqué publié à l’issue de cette réunion[1] [1] est mesuré et on ne peut que souscrire à la plupart des propositions qu’il avance, comme l’exigence du « respect du champ scientifique par rapport au politique », ou la demande d’un « renforcement significatif des financements de base pluriannuels alloués aux laboratoires, par rapport aux financements sur projets à court-terme, plus finalisés ». Mais on y trouve aussi l’affirmation, un peu rituelle, que « le CNRS, opérateur de recherche généraliste, pluridisciplinaire, est un garant de la recherche fondamentale », avec la conviction que toute transformation de cet organisme est condamnable. Or cette conviction est loin d’être unanimement partagée aujourd’hui par les universitaires.
En somme, le CNRS serait l’horizon indépassable de la recherche fondamentale en France. On comprend que les incertitudes qui pèsent sur l’avenir des universités autonomes plaident pour la plus grande prudence dans l’application des réformes aux organismes et, en particulier, pour qu’on ne se hâte pas de saborder le CNRS. Mais il faut quand même être capable de penser une évolution à moyen terme de nos structures de recherche et de nos universités. Or on constate que « l’aristocratie des chercheurs » s’intéresse avant tout au maintien du CNRS tel qu’il existe et du statut de chercheur permanent, et a tendance à instrumentaliser à son profit « la piétaille universitaire », sans s’impliquer véritablement dans la bataille en cours pour faire émerger de véritables universités en France.
L’existence d’un organisme de recherche généraliste de 12.000 chercheurs permanents fonctionnaires, ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Certains font parfois référence à la société Max Planck en Allemagne. Mais celle-ci ne possède que 80 instituts de recherche couvrant chacun un champ de recherche, et un effectif de 3500 chercheurs dont la moitié sur contrats temporaires (mais beaucoup plus de post-docs et de chercheurs invités). Les instituts Max Planck sont le fer de lance de la recherche fondamentale allemande, mettant l’accent sur des domaines nouveaux, interdisciplinaires, qui demandent des moyens importants que les universités n’ont pas. De plus ils ont une fonction de service pour la recherche universitaire à laquelle ils procurent équipements lourds et ressources documentaires. Mais ils ne prétendent pas, comme le CNRS, piloter l’ensemble de la recherche des universités[7] [7].
On peut choisir de défendre mordicus le statut de chercheur permanent fonctionnaire, tel qu’il existe aujourd’hui. Mais ce faisant, on s’interdit d’influer sur les statuts à venir. Or il y a des enjeux très importants sur lesquels il faut peser. La contractualisation généralisée des emplois scientifiques serait néfaste pour la recherche fondamentale. Ce n’est tout de même pas pour rien que les universités américaines ont maintenu la tenure. Et il faut remarquer que si, aujourd’hui, les professors with tenure ne représentent plus que 30% de tous les professeurs américains[13] [13], c’est dans les universités d’élite qu’ils sont le plus nombreux.
Il est remarquable que les mêmes problèmes se posent dans beaucoup de pays, et que l’on constate une certaine convergence des mouvements de réforme, avec les mêmes difficultés d’application. Les considérations qui précèdent avaient pour principal objet de dépasser la crispation défensive et de nourrir une réflexion prospective. Certes, en remettant en cause le caractère intouchable du CNRS, j’ai conscience d’avoir « blasphémé » aux yeux de certains collègues « intégristes » . Je leur en demande bien humblement pardon !
[16] [2] [17] Recherche : les œillères du réformisme. Le Monde du 19 février 2008.
[18] [3] D’après une étude non publiée faite il y a quelques années, dans le bloc de disciplines Mathématiques, STIC, Physique, Chimie, la proportion des enseignants chercheurs appartenant à des équipes labellisées était globalement de 80% (84% en Maths, 73% en STIC, 78% en Physique, 93% en Chimie). Dans le bloc Biologie, Médecine, Agronomie, le ratio était seulement de 60%, à cause du poids de la Médecine.
[19] [4] Est considéré comme « publiant » le chercheur ou enseignant-chercheur qui sur la durée d’un contrat quadriennal a un nombre minimal de « publications » (revues de rang A, ouvrages de référence, communication dans des congrès internationaux sélectifs, brevets, logiciels, développement instrumental ou technologique, création artistique). Les valeurs de référence et le poids relatif des différents types de publication sont propres à chaque département scientifique. Voir par exemple [20] « Critères d’identification des publiants » sur le site de l’AERES.
[21] [5] Ces chiffres sont des ordres de grandeur qu’on retrouve dans différentes études faites par la MSU ou la MSTP.
[22] [6] Ajoutons qu’en SHS l’habitude n’est pas de faire diriger des thèses par des maîtres de conférences, même brillants. Ceux-ci n’ont donc que très rarement le bénéfice de la PEDR.
[23] [7] De ce point de vue, le discours du président de la République du 28 janvier 2008 est ambigu car, d’un côté, il parle de « mettre les universités au centre de notre système de recherche », de l’autre, il affirme que la véritable mission des organismes c’est « le pilotage des recherches menées dans les universités ». Comprenne qui pourra…
[24] [8] [25] CNRS : irresponsabilité et désinvolture d’un gouvernement. Le Monde du 18 janvier 2006.
[26] [9] Soulignons cependant que les instituts évoqués aujourd’hui par la direction du CNRS sont assez différents des instituts Max Planck. Ce serait plutôt des instituts nationaux comparables à l’IN2P3 ou à l’INSU. On peut être sceptique sur cette structuration dans des domaines où la recherche ne s’appuie pas sur de grands instruments. Le projet reste assez flou.
[29] [11] [30] Lettre aux directeurs d’unités, en date du 17 mars 2008, de Catherine Bréchignac, présidente, et Arnold Migus, directeur général, du CNRS.
[31] [12] Il est indiqué que ce dispositif formaliseraient « les passerelles que les mathématiciens réalisent déjà de façon spontanée vers l’université, après un passage au CNRS, limité dans le temps, comme jeunes chargés de recherche ».
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[15] Communiqué de presse suite à la réunion du 4 mars 2008.: http://4mars.recherche-enseignement-superieur.fr/spip.php?article4
[16] [2]: #_ftnref2
[17] Recherche : les œillères du réformisme.: http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/02/18/recherche-les-oeilleres-du-reformisme_1012756_3232
.html
[18] [3]: #_ftnref3
[19] [4]: #_ftnref4
[20] « Critères d’identification des publiants »: http://www.aeres-evaluation.fr/IMG/pdf/Criteres_Identification_Publiants.pdf
[21] [5]: #_ftnref5
[22] [6]: #_ftnref6
[23] [7]: #_ftnref7
[24] [8]: #_ftnref8
[25] CNRS : irresponsabilité et désinvolture d’un gouvernement.: http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article1359
[26] [9]: #_ftnref9
[27] [10]: #_ftnref10
[28] J-F Méla : Tenure track peut-il se traduire en français ?: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=25
[29] [11]: #_ftnref11
[30] Lettre aux directeurs d’unités: http://jfmela.free.fr/jfmblog/wp-content/message_pdte_dg_cnrs_080317.pdf
[31] [12]: #_ftnref12
[32] [13]: #_ftnref13
[33] J-F Méla : Tenure track peut-il se traduire en français ?: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=25
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