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Election sujet à réflexion

Posted By JFM On 8 avril 2017 @ 12:30 In Etudes, Rapports, Autonomie, Universités | Comments Disabled

A deux semaines de l’élection présidentielle, la gauche étant en miettes, le vote va se jouer entre trois candidats : Le Pen, Fillon et Macron. Si Le Pen était élue, ce qui est peu probable, le devenir de l’enseignement supérieur deviendrait un sujet préoccupant. Pour ce qui est de Fillon, s’il gagnait, sa politique universitaire serait un compromis plus réactionnaire que moderniste, à l’image des forces qui le soutiennent. Reste l’hypothèse Macron dont les options ne sont pas l’expression pure et simple de forces politiques préexistantes dont il serait le leader. Certains, comme le groupe Jean-Pierre Vernant, le voient comme l’expression catastrophiste de lobbies néo-libéraux. Mais d’autres, comme le « communiste »  Patrick Braouezec, maire de Plaine-Commune, se rallient à lui. Celui-ci écrit dans Le Monde du 7 mars 2017 : « Ma proposition est sans doute symptomatique de ce monde actuel décrit par Edgar Morin comme « un monde contradictoire, complexe, incertain ». Le projet d’Emmanuel Macron assume ces trois caractéristiques. C’est aussi son mérite, sa force et son intérêt ». 

Le débat autour de la candidature Macron est intéressant, en effet. Mais on peut se demander, au cas où il serait élu, s’il existerait des forces politiques solides et pérennes capables de soutenir ses projets. Au demeurant, ceux-ci ne sont pas toujours stables et clairs[1] [1]. Ils sont élaborés par des comités de jeunes technocrates intelligents qui vivent un peu en état d’apesanteur, n’étant pas les porte-paroles de partis politiques préexistants. Les affirmations les plus fortes n’engagent pas des forces de terrain. Cependant, dans l’immédiat, il est intéressant de participer au débat d’idées que Macron lance ou qu’il accompagne. Nous en ferons ici une première analyse dans le domaine qui nous intéresse : l’enseignement supérieur.

La déclaration liminaire de son programme, diffusée par son comité, paraît offensive. Il nous dit : « Le succès dans l’enseignement supérieur en France reste profondément inégalitaire. Cela a des retombées directes sur la mobilité sociale et sur le marché du travail. (..) Notre système court un risque de relégation par rapport à la circulation mondiale des étudiants et des chercheurs, et il n’a pas su générer jusqu’ici un pôle d’innovation comparable à la Silicon Valley ». Mais la conclusion principale en est que « pour inverser la tendance, cela passe par l’autonomie qui existe dans la loi, mais qui est largement restée lettre morte sur le terrain ». Cela ne suffira pas à corriger les inégalités, et pourrait même les accroître, car l’absence de règlementations les favorise.

L’autonomie est, sans aucun doute, l’option la plus forte du projet Macron. Celui-ci déclare à l’intention de la CPU[2] [2] : « Nous mettrons en place en cinq ans un système d’établissements pleinement autonomes, définissant leur stratégie et leur organisation, mais aussi leur offre de formation et de recherche et leurs partenariats stratégiques » (..) Nous permettrons aux universités de recruter elles-mêmes des enseignants chercheurs, sur normes nationales, mais sans obligation de recourir au CNU (..) Nos universités jouiront d’une autonomie pédagogique qui leur permettra de déployer librement leur offre de formation, à condition d’offrir une palette suffisamment large de filières et d’orientations, et de favoriser la fluidité des parcours et la réussite du plus grand nombre ».

Ainsi on permettrait aux universités de définir librement leur politique de recrutement des étudiants et leurs spécialités. Parallèlement elles décideraient en toute autonomie, et de façon décentralisée, de leur politique de ressources humaines (« nous ne reviendrons pas à l’ancienne distinction entre dotation de fonctionnement et moyens en personnels »). Ces propositions impliqueraient une  adaptation du statut de fonctionnaire, ainsi que des structures décisionnelles nouvelles. Ceci ne va pas de soi aussi longtemps que l’enseignement supérieur aura, très majoritairement, un statut public et que son financement sera essentiellement public. Mais on nous dit que les sources de financement seraient diversifiées.

Plusieurs contradictions devront être levées. Dans le contexte français, cette « toute autonomie » doit se concilier avec le rôle de « l’Etat-stratège ». De plus, on peut s’interroger sur la compatibilité de la « toute autonomie » des établissements et la constitution des communautés d’universités qui a été une priorité politique de la période récente.

S’agissant des structures décisionnelles, c’est une question sensible dont nous avons souvent parlé ici et qui suppose une petite révolution, au delà d’une simple rationalisation de l’existant. Quand on nous dit qu’il faut « une plus grande souplesse dans la composition des instances dirigeantes et dans les modalités d’organisation interne » et que « le recrutement des dirigeants des organismes de recherche et des grandes universités se fera suivant les normes internationales (comités de sélection composés en majorité de personnalités extérieures) », on touche à une réalité explosive, comme nous en avons déjà discuté. C’est l’un des aspects sur lesquels le conservatisme des universitaires français est le plus vif car il touche à leurs (seuls) privilèges statutaires. Il est raisonnable d’évoluer, mais il ne s’agit pas ici seulement d’un simple corollaire de réformes administratives.

Recruter les dirigeants des organismes de recherche et des grandes universités sur des normes internationales, par des comités de sélection composés en majorité de personnalités extérieures, peut paraître une audace bien venue, mais c’est le plus sûr moyen d’arriver à des conflits internes graves et à l’immobilisme.  

La question démocratique est évoquée de façon implicite lorsqu’on nous dit qu’il faudra « offrir une palette suffisamment large de filières et d’orientations, et de favoriser la fluidité des parcours et la réussite du plus grand nombre ». Mais lorsque 40% des étudiants de premier cycle sont en échec, il ne suffit pas d’une formule générale et de dire qu’on rompra l’accès de droit de tous les bacheliers en licence. La question de la sélection à l’entrée de l’université est envisagée mais de façon un peu vague, sans doute par crainte de soulever les foules. La création de 100.000 places dans les filières professionnalisées post-bac (IUT, STS, licences professionnelles) qui est avancée, a plusieurs fois été annoncée dans le passé ; mais cela remet en cause l’ensemble du système et ne peut être traité comme un simple ajustement. Le projet Macron se situe dans une perspective plus large qui est de construire la formation tout au long de la vie. L’importance de la formation professionnelle et de la formation continue tout au long de la vie, est fortement soulignée. C’est un point fort, mais les modalités pratiques restent vagues.

On ne parle pas d’une augmentation possible des droits d’inscription. On dit que les sources de financement seront diversifiées : financement des universités et des grandes écoles par la formation professionnelle, par l’ouverture aux étudiants étrangers, par la création de filiales universitaires, par le partenariat public-privé (c’est un vœux pieux lorsqu’on voit la difficulté qu’ont les plus grandes écoles à drainer des fonds privés). La question des bourses n’est pas abordée sauf par le dispositif limité de « bourses au mérite ». Le système français repose sur une quasi-gratuité de l’enseignement supérieur qui favorise principalement les enfants de familles aisées, en laissant sur la touche une proportion importante des classes populaires. Il est intéressant de considérer comment les USA dont les meilleures universités sont ruineuses, avaient commencé à se préoccuper, à la fin du mandat d’Obama, du sort des étudiants les plus modestes (on avait envisagé alors la gratuité des community colleges), tandis que la France reste enkystée dans le passé avec la séparation assez stricte d’un secteur sélectif et d’un secteur non sélectif. Au delà du principe de la sélection, c’est la séparation qui fait problème.

Le projet Macron propose le regroupement des universités et des grandes écoles : « Notre pays a besoin de nouvelles universités qui regroupent des universités et des écoles actuelles avec les organismes de recherche (..) La constitution de ces nouvelles universités constituera un des axes de la politique de réforme de l’Etat et des services publics, en transcendant les distinctions historiques ». Cet objectif est audacieux, mais il est seulement affirmé sans que les modalités en soient précisées [3] [3].

On ira vers une diversification accrue du système d’enseignement supérieur français. Déjà, derrière une unité de façade, les universités se sont beaucoup différenciées, principalement en matière de recherche, mais pas seulement. La liberté, qu’on l’appelle autonomie ou autrement, ne peut ignorer les inégalités sociales et culturelles qui se sont accrues sous le paravent de l’unité administrative, et font de la France un « champion européen » des inégalités scolaires, comme l’atteste le classement PISA de l’OCDE. Tout projet politique doit en tenir compte.

 


[8] [3] Unir grandes écoles et universités est un impératif pour refondre l’enseignement supérieur. Thierry Coulhon - Libération 13.03.17.


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[4] [1]: #_ftnref1
[5] Programme d’Emmanuel Macron: http://www.en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme
[6] [2]: #_ftnref2
[7] Les cinq questions de la CPU à un futur président de la République.: http://www.cpu.fr/wp-content/uploads/2017/03/CPUreponseEM.pdf
[8] [3]: #_ftnref3

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