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Un avenir incertain

Posted By JFM On 1 mars 2018 @ 17:19 In Politique de la science, Autonomie, Universités, Gouvernance | Comments Disabled

Depuis les dernières élections le contexte politique est assez mouvant dans beaucoup de domaines. Il est notamment difficile de faire le point sur un sujet qui nous tient à cœur : l’avenir de l’enseignement supérieur et des universités.

Dans la période des élections, Emmanuel Macron avait évoqué dans ce domaine certains projets nouveaux. Comme les élections ont amené une majorité nouvelle, ces questions sont d’actualité. Mais on ne sait pas tout à fait où l’on va… Un certain nombre d’intellectuels de gauche penchent du côté de Macron parce que ses idées sont originales, mais elles peuvent paraître trop marquées par le souci d’une autonomie donnée aux établissements d’enseignement supérieur. Par ailleurs, l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron a quelque chose de « surréaliste ». Il y est parvenu parce qu’en face de lui, il n’y avait rien de solide. Mais ses partisans qui ont triomphé aux dernières élections sont minoritaires ou, à tout le moins, ne sont pas l’expression d’une majorité véritable et identifiée. 

S’agissant de l’université, nous pouvons essayer de faire le point. Nous avons vécu dans un système universitaire hérité du passé où les défauts se sont accumulés. Coexistence d’un système d’écoles assez fermé socialement et d’universités ouvertes sur l’échec du plus grand nombre. Un système plutôt « gratuit » pour les privilégiés. Comme le souligne Thomas Piketty, on consacre trois fois plus de ressources publiques aux étudiants des filières sélectives que ce qu’on accorde aux cursus universitaires. La France est le seul pays où les écoles et collèges privés sont presque intégralement financés par le contribuable, tout en conservant le droit de choisir leurs élèves. A l’université c’est une faillite silencieuse, alors que les campus américains et asiatiques n’ont jamais été aussi prospères. En France ceci s’inscrit dans une situation de fond où, selon Piketty, entre 1983 et 2015, le revenu moyen des 1% les plus aisés a progressé de 100% contre à peine 25% pour le reste de la population. On ne va pas vers la réduction des inégalités, mais vers une rationalisation de la situation existante. 

Le programme énoncé par Emmanuel Macron[1] [1] est de créer de nouvelles universités, regroupant des universités et des écoles actuelles avec les organismes de recherche, qui développent de nouveaux modèles de gouvernance. Comme le souligne Thierry Coulhon dans un article de Libération[2] [2], il s’agit de « surmonter l’archaïque opposition entre grandes écoles et universités à la française et de construire à partir d’elles ce que dans le monde entier on appelle des universités ». Ces universités décideraient en toute autonomie de leur stratégie, de leur organisation, mais aussi de leur offre de formation et de leur politique de ressources humaines. Ces universités recruteraient elles-mêmes des enseignants chercheurs sans obligation de recourir au CNU. Elles définiraient en toute autonomie leur politique de recrutement des étudiants et leurs spécialités. On romprait avec l’accès de droit de tous les bacheliers en licence. Le recrutement des dirigeants des organismes de recherche et des grandes universités se ferait suivant des normes internationales (comités de sélection composés en majorité de personnalités extérieures).

Ce programme reste à concrétiser et à mettre en œuvre. Mais en matière de regroupement, il y a déjà eu un premier raté exemplaire : l’échec de constitution d’une nouvelle université rassemblant l’université Paris Sud, l’Ecole Polytechnique et d’autres écoles[3] [3]. La France reste enkystée dans le passé avec la séparation assez stricte d’un secteur sélectif hors de l’université. Nous parlerons plus loin du nouveau système de sélection qui se dessine avec beaucoup de d’incertitudes et de difficultés.

Aux USA, The Institute for new economic thinking (INET)[4] [4] analyse la situation politique actuelle et montre que le pays est divisé en deux blocs : l’un d’environ 20% qui se situe au cœur de la société technologique, avec une formation universitaire et des perspectives d’avenir ; l’autre celui des bas salaires, des jobs incertains et des dettes[5] [5].

Dans le même esprit, en France, on peut citer une note de la Fondation Jean-Jaurès où le politologue Jérôme Fourquet[6] [6] explique qu’un « fossé de plus en plus béant s’est creusé entre la partie supérieure de la société et le reste de la population ». Il note, par exemple que les cadres et professions intellectuelles qui constituaient 25% de la population parisienne en 1982, sont 46% aujourd’hui, tandis que la part des employés et des ouvriers vivant dans la capitale est tombée de 18% à 7%. Les enfants de familles favorisées ont investi de plus en plus massivement l’enseignement privé et ont monopolisé les grandes écoles. Plus les filières sont sélectives, plus la fermeture sociale est forte. Les enquêtes montrent toutes que la France est championne de la séparation entre formation de l’élite et formation de masse[7] [7].

Aujourd’hui et pour les années à venir, la seule évolution notable qui s’annonce est une modification de l’accès à l’enseignement supérieur, qui doit se concrétiser dans les scénarios possibles de Parcoursup[8] [8] pour la sélection des étudiants dans les différentes filières. Cette évolution était prévisible et inévitable compte tenu, d’une part de la proportion d’étudiants en échec dans les filières actuelles de premier cycle des universités, et d’autre part de l’inflation des effectifs de nouveaux bacheliers dans les prochaines années[9] [9]. Ainsi la réforme en préparation a un côté « nécessaire », même si ses modalités restent assez floues[10] [10]. Les principes énoncés dans le projet législatif et règlementaire Parcoursup qui vient d’être élaboré et approuvé, risquent d’être déclinés de façon assez différente d’une université à l’autre. Les formations universitaires qui étaient jusqu’ici non sélectives classeraient les candidats en fonction de l’adéquation entre leur profil et les compétences qu’elles attendraient d’eux, ce qui serait une petite révolution dans le système français à tradition jacobine.

Dans un contexte aussi incertain, différents scenarios sont possibles qui risquent de contribuer à la logique de différenciation sociale qui est une marque de notre système éducatif. Mais on n’est pas à la fin de l’histoire…




[13] [2] Thierry Coulhon : « Unir grandes écoles et universités est un impératif pour refondre l’enseignement supérieur » (Libération 13.03.17)

[14] [3] Paris-Saclay : Macron acte le divorce entre Polytechnique et les universités (Le Monde 25.10.2017)

[15] [4] L’INET est un think tank fondé en 2010 à la suite de la crise financière qui a débuté en 2007, et qui a pour ambition de former les futurs économistes mondiaux pour relever les défis du XXIe siècle. Il comprend plusieurs prix Nobel d’économie et s’appuie notamment sur les travaux de Thomas Piketty sur les inégalités.

[16] [5] Voir l’article « Election sujet à réflexion » publié dans JFM Blog le 22 juin 2017.

Voir aussi l’article [17] « America is regressing into a developping nation for most people »

[18] [6] Jérôme Fourquet «1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession ». Note de la Fondation Jean-Jaurès 

[19] [7] Cf Le Monde du 7.12.2017.

[20] [8] Ce logiciel qui a remplacé APB est moins tordu mais reste un peu opaque. On peut s’en faire une idée en parcourant l’article de Bruno Magliulo intitulé [21] « Le ciel s’assombrit au-dessus de la plateforme Parcoursup »

[22] [9] On aura une augmentation supérieure à 30.000 en 2018 et en 2019. Voir l’article [23] « Le choc démographique dans l’enseignement supérieur » de Terra Nova

[24] [10] Voir la discussion de Rémi Gribonval intitulée «[25]  D’APB à Parcoursup : quelles méthodes d’affectation post-bac »


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[12] « Les cinq questions de la CPU à un futur Président de la République » : http://www.cpu.fr/wp-content/uploads/2017/05/CPUreponseEM.pdf
[13] [2]: #_ftnref2
[14] [3]: #_ftnref3
[15] [4]: #_ftnref4
[16] [5]: #_ftnref5
[17] « America is regressing into a developping nation for most people »: https://www.ineteconomics.org/perspectives/blog/america-is-regressing-into-a-developing-nation-for-m
ost-people

[18] [6]: #_ftnref6
[19] [7]: #_ftnref7
[20] [8]: #_ftnref8
[21] « Le ciel s’assombrit au-dessus de la plateforme Parcoursup »: https://www.educavox.fr/alaune/le-ciel-s-assombrit-au-dessus-de-la-plateforme-parcoursup
[22] [9]: #_ftnref9
[23] « Le choc démographique dans l’enseignement supérieur » de Terra Nova: http://tnova.fr/notes/le-choc-demographique-dans-l-enseignement-superieur
[24] [10]: #_ftnref10
[25]  D’APB à Parcoursup : quelles méthodes d’affectation post-bac: https://interstices.info/jcms/p_95984/d-apb-a-parcoursup-quelles-methodes-d-affectation-post-bac

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