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Faut-il sauver l’agrégation ?

Posted By Martin Andler On 16 octobre 2008 @ 21:19 In Enseignement, Universités | Comments Disabled

Martin Andler est mathématicien, professeur à [1] l’université de Versailles-Saint-Quentin.

 

L’agrégation[2] [1] a une place particulière dans notre psyche nationale : garante d’un haut niveau des professeurs de lycée, base du recrutement des professeurs de classes préparatoires, mais aussi, dans bien des disciplines, étape quasi-indispensable d’une carrière universitaire.

Cette pluralité d’objectifs mériterait déjà qu’on s’y arrête. La place des classes préparatoires et des sections de techniciens supérieurs, la présence massive de « PRAG » (professeurs agrégés) en poste dans les universités avec un service d’enseignement double de celui des enseignants-chercheurs mettent clairement en évidence qu’il y a deux voies parallèles de recrutement des enseignants de l’enseignement post-baccalauréat (autrement dit l’enseignement supérieur sous toutes ses formes) : le doctorat et l’agrégation.

On peut naturellement se poser la question de fond de savoir s’il est légitime d’employer dans l’enseignement supérieur des enseignants non chercheurs. La question mérite débat. Mon point de vue personnel est que la réponse est positive : un certain nombre d’enseignements nécessaires dans une formation universitaire peuvent être pris en charge par des enseignants à plein temps. Que d’autres pensent que la réponse doive être négative n’empêche pas que dans la réalité une partie significative des heures d’enseignement[3] [2] dans l’enseignement supérieur est prodiguée par des enseignants non chercheurs.

Dans la plupart des autres pays, de tels enseignants non chercheurs ont leurs équivalents, mais dont le diplôme de référence est le doctorat. Pourquoi cette différence ? Est-elle une spécificité française dont nous devrions être fiers ? Si l’on souhaite donner un sens à la notion de formation par la recherche, s’il y a bien un endroit où cette compétence (avoir fait un doctorat) devrait être reconnue, c’est bien l’enseignement supérieur[4] [3]? Paradoxe donc.

Mais pourquoi également l’agrégation joue un tel rôle dans la reconnaissance professionnelle des doctorants et candidats aux postes de maître de conférences dans un certain nombre de disciplines[5] [4] ? C’est que la formation doctorale, dans l’état actuel des choses, pèche par sur-spécialisation. Non pas évidemment que les thèses puissent être autre choses qu’un travail spécialisé. Mais la formation n’inclut pas suffisamment la phase de formation générale large qui est nécessaire. Et en effet, une des raisons pour lesquelles ça ne se fait pas, c’est l’existence de l’agrégation.

Alors au fond, tout serait pour le mieux : là où c’est nécessaire, la formation des doctorants inclut l’agrégation et la thèse, qui sont ainsi complémentaires. Mais on oublie alors trois points essentiels :

  • l’agrégation est encore principalement un concours de recrutement de professeurs de lycées et collèges; est-ce pertinent de recruter ces professeurs dans un concours dont la légitimité symbolique réside dans son rôle dans la carrière d’universitaires ? 
  • la formation générale donnée pour la préparation à l’agrégation est basée sur une problématique scolaire qui peut être très éloignée des évolutions de la recherche ;
  • comment tenir compte des différences entre ces domaines où l’agrégation joue ce rôle privilégié, les domaines comme la physique, la chimie, la biologie, les sciences sociales où il existe une agrégation, mais qui joue un rôle négligeable dans la reconnaissance professionnelle des chercheurs, et enfin les domaines où n’existe pas d’agrégation : psychologie, informatique etc. ?

En bref, si l’agrégation n’existait pas, il faudrait inventer un substitut : une formation prédoctorale de haut niveau exigeant une compétence disciplinaire large.

La réforme en cours de la formation des maîtres change la donne. Dans la précipitation extrême où cette réforme est menée, le soulagement d’apprendre que l’agrégation serait quasiment intouchée est grand. Mais on devrait au contraire s’interroger sur ce point. En effet pourquoi maintenir deux concours de recrutement de professeurs des lycées et collèges, le CAPES et l’agrégation, qui sont maintenant au même niveau d’études : avoir validé une première année de master au moment de l’inscription, et un master complet au moment de l’oral du concours ?

La réponse est fournie par le texte de cadrage du ministère paru le 13 octobre :

L’agrégation, quant à elle, recrutera également au niveau du master des professeurs qui sont appelés à enseigner en priorité dans les classes d’examen du lycée, les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), les sections de techniciens supérieurs (STS) et le premier cycle de l’université.

On ne saurait être plus clair. Les universités récupèrent certes la responsabilité de la formation des maîtres. Mais la reconnaissance des masters recherche et du doctorat, la reconnaissance du lien enseignement-recherche en prennent un coup sévère, car officiellement l’agrégation est reconnue comme concours de recrutement pour l’ensemble des formations de niveau licence. 

La société des agrégés peut dormir tranquille : l’agrégation n’est pas menacée. Faut-il pour autant s’en féliciter ? 

 


[6] [1]    Il s’agit ici uniquement de l’agrégation de l’enseignement secondaire, à ne pas confondre avec l’agrégation du supérieur de droit, économie, gestion ou science politique qui est la forme spécifique à ces disciplines du recrutement des professeurs d’université. Pour tout compliquer, les agrégés du secondaire utilisent la dénomination « agrégé de l’université », à surtout ne pas confondre évidemment avec les « professeurs agrégés des universités » de droit, économie etc.

[7] [2]    Probablement de l’ordre de 30 à 40 %.

[8] [3]    On pourrait très bien envisager que le statut de PRAG soit remplacé par un statut d’enseignant non chercheur dans l’enseignement supérieur, et que ce statut soit accessible aussi bien aux docteurs qu’aux agrégés (ou seulement aux docteurs).  

[9] [4]    C’est le cas dans l’ensemble des disciplines « littéraires » traditionnelles : lettres, langues, histoire, philosophie… et à un bien moindre degré en mathématiques. 


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[1] l’université de Versailles-Saint-Quentin: http://www2.uvsq.fr/65463935/0/fiche___pagelibre/
[2] [1]: #_ftn1
[3] [2]: #_ftn2
[4] [3]: #_ftn3
[5] [4]: #_ftn4
[6] [1]: #_ftnref1
[7] [2]: #_ftnref2
[8] [3]: #_ftnref3
[9] [4]: #_ftnref4

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