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Universités : “Vers la guerre civile ?”

Posted By JFM On 2 décembre 2008 @ 4:04 In Société, Autonomie, Universités | Comments Disabled

C’est une question qu’on pouvait se poser en voyant les images des manifestations du jeudi 27 novembre : universitaires et chercheurs, face aux gendarmes mobiles, faisant le siège d’un immeuble où s’était réfugié le conseil d’administration du CNRS ; occupation par un groupe de manifestants du quartier général de l’Agence Nationale de la Recherche, avant d’en être délogé par la police.

Plus sérieusement, on peut parler de déchirure. En effet, on est dans une situation assez différente de la « révolte » de 2003 où tout le monde avait fait bloc, du bas de la pyramide au sommet de l’establishment scientifique, contre les mesures arbitraires de restriction de crédits et de suppression de postes dans la recherche. Aujourd’hui, il y a les radicaux – moins nombreux, mais plus radicaux – et les « réalistes » de toutes catégories, sous les yeux d’un « marais » attentiste. Parmi les « réalistes » il y a d’abord tous ceux qui se sont directement impliqués dans la mise en œuvre des réformes, que ce soit dans les nouvelles agences ou dans les anciens organismes. Il y a ceux qui négocient pied à pied leurs conditions d’application. Il y a aussi les équipes des universités « bonnes élèves » qui se pressent pour réclamer les « nouvelles compétences » que leur promet la LRU, tandis que d’autres établissements persistent - avec de moins en moins de conviction - à se donner une image de « village gaulois ». Dans ces conditions, la résistance radicale qui prétend assécher les viviers d’experts des agences, a peu de chances d’être un grand succès. Et si cette opération réussissait partiellement[1] [1], elle pénaliserait davantage les collègues que le système.

L’opposition radicale semble faire le pari de créer une situation « révolutionnaire », c’est-à-dire une situation tellement bloquée que le gouvernement serait obligé de tout arrêter. Mais en l’absence de mouvement social d’ensemble, ce pari a peu de chances d’être gagné. Si l’on peut comprendre la logique politique sous-jacente, c’est quand même une stratégie du tout ou rien.

Il est vrai que le gouvernement mène au pas de charge des réformes non consensuelles et pas très bien finalisées. Il est vrai aussi que les présupposés « économistes » des réformes conduisent à des dérives dont il a été souvent question dans ce blog[2] [2]. Mais beaucoup d’universitaires sont intérieurement convaincus que des réformes étaient nécessaires, même si celles qu’on leur propose les déçoivent. Tandis que l’opposition radicale se crispe sur la défense du statu quo. Et s’il y a des changements souhaitables à ses yeux, il en est, en tout cas, très peu question dans les batailles du moment, qui sont avant tout des batailles défensives et frontales[3] [3]

AMBIGUITES DE LA DEFENSE DU STATU QUO

 Nous nous bornerons ici à faire quelques remarques sur le statut, les missions, les carrières et les rémunérations des enseignants chercheurs.

Il faut bien admettre que, sous le manteau égalitariste de la fonction publique, l’université française abrite de considérables différences de situation et de traitement de ses professeurs. Pour prendre un exemple extrême, il n’y a pas grand-chose de commun entre un physicien expérimentateur actif qui, en dehors de ses cours, est dans son laboratoire de l’aube au crépuscule, et un avocat d’affaires, professeur de Droit, qui donne à l’université quelques heures de son temps hebdomadaire. Ce n’est pas d’aujourd’hui, non plus, que les professeurs de médecine qui renoncent à avoir un cabinet privé reçoivent un « double salaire ». Ceci pour dire qu’il n’est pas a priori scandaleux d’envisager des modulations de services et de rémunérations. [4] Le projet de décret sur le statut des enseignants chercheurs est finalement bien timide à cet égard.

Ce décret précise que le service des enseignants chercheurs comprend des activités pédagogiques comme, par exemple, le suivi de stages des étudiants, sans envisager explicitement que ces activités puissent venir en remplacement de cours. Pourtant beaucoup d’IUT le font déjà grâce à l’autonomie de leur budget et aux prérogatives de leurs directeurs qui sont ordonnateurs secondaires de droit et ne s’estiment pas toujours tenus par les règles générales. Il est surprenant, d’ailleurs, de voir circuler sur des sites radicaux [5] une pétition réclamant le maintien du privilège d’indépendance budgétaire des IUT au sein des universités.

Le « plan carrières » de Valérie Pécresse prévoit une modification des régimes indemnitaires. On peut en contester les dispositions - au demeurant très « classiques » - mais il a l’avantage de la transparence. Le point délicat est qu’il prévoit de décentraliser l’attribution de toutes les primes. Il peut être intéressant de remarquer qu’il y a déjà des primes fortement décentralisées dont personne ne se préoccupe (en dehors de leurs bénéficiaires) : ce sont les primes attribuées au titre de la formation continue, qui sont régies, dans une grande opacité, par l[6] e décret du 18 octobre 1985 sur la formation continue. Au titre de l’article 6 de ce décret, dans les universités qui ont des ressources substantielles de formation continue, beaucoup d’enseignants chercheurs et d’enseignants « s’attribuent » des primes importantes qu’ils peuvent d’ailleurs cumuler avec des heures complémentaires dans d’autres formations. On peut regretter que le régime indemnitaire de la formation continue soit passé sous silence dans le « plan carrières ». Mais c’est désormais aux universités de se donner des règles équitables d’attribution de toutes les primes.

On pourrait donner un grand nombre d’exemples plus ordinaires des inégalités qui s’abritent sous l’égalité formelle du statut. Les missions des universitaires sont aujourd’hui tellement diverses que la modulation de leurs services entre l’enseignement, la recherche et les autres activités, est devenue une nécessité. Une nécessité d’autant plus urgente que l’on souhaite défendre le statut de la fonction publique dans ce qu’il a de plus positif : la liberté de pensée et de recherche qu’il assure aux universitaires. Il faut aussi que ce statut n’apparaisse pas comme un obstacle à la reconnaissance de l’excellence sous toutes ses formes.

STATUT DE LA FONCTION PUBLIQUE, COMPETITION ET FLEXIBILITE

Il est toujours étonnant d’entendre des universitaires, souvent issus du système hyper sélectif des grandes écoles, qui se sont battus pour obtenir les postes qu’ils occupent, partir en guerre contre toute idée de compétition. C’est encore plus étonnant lorsqu’il s’agit de chercheurs qui baignent dans la compétition internationale. Or toute compétition induit des différences[7] [4]. Il ne s’agit pas de les exacerber mais de les reconnaître. Isabelle This Saint-Jean, vice-présidente de SLR déclare[8] [5] : « Répondre aux besoins nouveaux des étudiants, mieux organiser la recherche, cela se fera par la coopération volontaire entre les personnels, les universitaires de différentes catégories. Les diviser, renforcer les différences de traitement, tout cela ne peut que contrarier cette coopération nécessaire ». Mais la solidarité prônée ici à juste titre ne prend son sens que lorsque chacun estime que ses mérites et ses contributions sont équitablement reconnus. La façon équilibrée dont on saura le faire dans le cadre du statut de la fonction publique conditionne la survie à long terme de ce statut dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Lorsqu’on recrute annuellement quelque 3000 enseignants chercheurs, l’uniformité de carrières n’a guère de sens. On ne peut pas traiter suivant les mêmes normes le jeune chercheur d’un grand laboratoire parisien et le responsable pédagogique d’une formation professionnelle d’un IUT délocalisé. Le problème est cependant de parvenir à assurer la fluidité du système, sans “embaumer”  l’un et “enterrer” l’autre. Mais à vouloir nier la variété des situations, on sape la fonction publique.

En particulier, si l’on veut que la recherche universitaire soit d’excellence, il faut favoriser le recrutement des meilleurs en leur proposant des conditions attrayantes. La formule des chaires d’excellence[9] [6] est de ce point de vue une opportunité qu’il ne faut pas refuser (même si elle induit des « différences de traitement »).

Si l’on ne parvient pas à concilier poste permanent de statut public et flexibilité des carrières, il faut craindre un recours croissant aux contractuels. Ce recours est déjà massif via les contrats de l’ANR[10] [7] et pose la question du destin futur de ces personnels. Les universités qui acquièrent les « nouvelles compétences » pourront embaucher des professeurs contractuels. Le point crucial sera la place de ces contractuels par rapport aux fonctionnaires. Si l’on peut admettre que la formule du contrat, avec sa liberté de conditions d’embauche et de rémunération, peut convenir pour l’accueil de scientifiques étrangers de haut niveau ou de grands professionnels, il est difficile d’imaginer qu’une concurrence globale puisse s’établir entre fonctionnaires et contractuels. C’est pourquoi il est si important que les carrières de fonctionnaires soient assouplies et diversifiées afin qu’elles puissent demeurer la norme, et les contrats l’exception.

Les universités auront également la possibilité de créer « des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels ». On peut considérer que c’est déjà le cas avec les rémunérations au titre de la formation continue, ou avec les dispositions de [11] la loi de 1999 sur l’innovation et la recherche. Dans ce contexte, le débat sur les primes statutaires peut paraître bien théorique. On imagine toutes les dérives potentielles d’une « déréglementation » généralisée des rémunérations. Il ne servirait à rien de s’arc-bouter sur la défense formelle d’un statut tandis qu’il serait grignoté de facto par mille dispositions annexes dont on refuserait de discuter. Tandis que si la discussion s’engage sans tabous là-dessus, il sera possible à la communauté universitaire de poser des bornes et de maintenir ses valeurs. Il est essentiel, en particulier, que les règles fixant les rémunérations complémentaires soient établies en fonction de critères internes, et non pas en fonction de déterminants externes (comme le marché de l’emploi[12] [8]), ce qui entraînerait pour le coup une vraie rupture de la solidarité académique.    

EN CONCLUSION

Il n’est pas juste de présenter les réformes actuelles comme l’expression pure et simple d’une agression du pouvoir politique contre un système qui marchait très bien, et qu’il s’agirait simplement de restaurer, en lui donnant davantage de moyens. Les choix qui ont été faits sont contestables, mais ils mettent à nu des dysfonctions et des contradictions du système, notamment celles qui étaient cachées sous le mythe de l’uniformité des statuts et des carrières. Il faut accepter de considérer ces problèmes et de les traiter. Dans un contexte d’autonomie, c’est au niveau des universités que cela va se passer. Il y aura des affrontements. Une « guerre civile » ? Non ! Mais de sacrés débats en perspective…   



[13] [1] Les chercheurs actifs sont débordés par les demandes d’expertise. La plupart des refus viennent de là. Le refus militant sera noyé dans la masse.

[16] [3] Nous ne parlons pas ici des batailles budgétaires qui ont leur légitimité propre, compte tenu du sous financement des universités françaises.

[17] [4] A commencer par les différences de corps et de grades…

[18] [5] Libération du 27 novembre 2008.

[19] [6] Principalement les « chaires CNRS » qui doivent se substituer à certains emplois de chercheurs.

[20] [7] Environ la moitié du budget des programmes de l’ANR est consacrée à l’embauche de contractuels.

[21] [8] Certaines universités américaines admettent des différentiels de salaires de plus en plus importants, à mérite égal, suivant le champ disciplinaire des professeurs, en fonction de la demande extérieure. Ce fait est dénoncé par l’American Association of University Professors (AAUP).


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[4] Le projet de décret sur le statut des enseignants chercheurs: http://jfmela.free.fr/jfmblog/wp-content/decret-statutec.pdf
[5] une pétition: http://www.iut-fr.net/petitions/?petition=2
[6] e décret du 18 octobre 1985 sur la formation continue: http://admi.net/jo/dec85-1118.html
[7] [4]: #_ftn4
[8] [5]: #_ftn5
[9] [6]: #_ftn6
[10] [7]: #_ftn7
[11] la loi de 1999 sur l’innovation et la recherche: http://www.droit.org/jo/19990713/MENX9800171L.html
[12] [8]: #_ftn8
[13] [1]: #_ftnref1
[14] [2]: #_ftnref2
[15] « Les dérives du « Nouveau Management Public » dans l’enseignement supérieur et la recherche »: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=57
[16] [3]: #_ftnref3
[17] [4]: #_ftnref4
[18] [5]: #_ftnref5
[19] [6]: #_ftnref6
[20] [7]: #_ftnref7
[21] [8]: #_ftnref8

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