- JFM’s blog - http://jfmela.free.fr/jfmblog -

Les “rebelles” de l’université Paris-Dauphine

Posted By JFM On 13 décembre 2008 @ 20:22 In Grandes Ecoles, Autonomie, Universités, Gouvernance | Comments Disabled

Lors des récentes élections au conseil d’administration de Paris Dauphine, dans les collèges A et B d’enseignants chercheurs et assimilés, ce sont des listes d’opposition à la présidence qui l’ont emporté. Il est intéressant d’écouter ce que ces “rebelles” ont à dire et à défendre.

Créée après 1968, l’université de Paris Dauphine s’est donnée dès le départ une image gestionnaire et s’est affranchie de la loi commune en pratiquant la sélection à l’entrée. Elle a joui à ce propos d’une tolérance assez exorbitante des pouvoirs publics.  Ce n’est qu’en 2004 qu’elle finit par être érigée en « université de technologie en sciences des organisations et de la décision » avec un statut de « grand établissement », ce qui lui permet de pratiquer désormais la sélection à l’entrée en toute légalité.

Sur cette base elle a connu une certaine réussite et surtout elle a acquis une « réputation » auprès de son public et des entreprises. Cette réputation fait une plus grande place à l’idéologie managériale qu’à la recherche proprement dite[1] [1]. Paris Dauphine a prouvé par l’exemple que pour “réussir” il fallait déroger à la loi commune, et que ce sont les « universités » qui trouvent le moyen de s’en affranchir qui sont finalement les mieux considérées…[2] [2]. D’une certaine façon, ceci pouvait justifier qu’on change la loi de 1984, à ceci près que la nouvelle loi (LRU) a soigneusement évité nombre de  sujets qui font précisément la spécificité de Paris Dauphine, au premier chef la sélection à l’entrée… On aurait pu croire que la nouvelle gouvernance des universités, plus « managériale », inscrite dans la LRU, fasse bon ménage avec la culture maison de Dauphine. Les critiques les plus politiques de la LRU ne se privent pas de dénoncer dans cette loi le triomphe de l’économisme et du libéralisme dont Dauphine – nolens volens – est un emblème à leurs yeux.  Il est donc intéressant de voir des listes d’opposition l’emporter dans les récentes élections au CA, et surtout d’écouter ce que ces « rebelles » ont à dire et à défendre.

 En 2004, Dauphine a été érigée en « grand établissement ». Mais par un ce ces paradoxes dont le Droit est coutumier, elle reste dotée d’un CA « ancien régime ». Les élections au CA ont eu lieu le 18 novembre dernier. Il n’y aura pas de nouvelle élection du président : il a été élu l’an dernier, et ceci n’est pas remis en question. Mais il se trouve que, chez les enseignants chercheurs, des listes oppositionnelles[3] [3] (non syndicales) ont profité des circonstances (un président hyperactif et jugé autoritaire) pour s’imposer, un peu contre le cours des choses. Dans le collège A, la liste oppositionnelle l’a emporté (d’un siège). Dans le collège B, il y avait 3 listes, dont deux clairement « anti-LRU », et une soutenue par le président. Celle du président a eu 5 élus, les autres 5 et 3. C’est donc une nette défaite du président.

La présence de  plusieurs  listes de candidats dans le collège A des enseignants-chercheurs n’est pas habituelle à Dauphine, et la profession de foi de la liste oppositionnelle contient quelques points forts qu’il est intéressant de souligner. C’est d’autant plus intéressant que le débat à Dauphine échappe aux controverses politiques et syndicales classiques (parfois un peu délirantes) que l’on a vu se développer à propos de la réforme, pour se concentrer sur des questions proprement universitaires tout à fait cruciales.

Voici quelques extraits significatifs (en italiques) de cette profession de foi, suivis de brefs commentaires :

« Dans les processus d’harmonisation européenne et internationale qui font des universités le modèle d’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche, nous souhaitons réaffirmer l’identité de Dauphine comme une université, synonyme de diversité des disciplines et des formations, du rôle central de la recherche (y compris de formation à la recherche et par la recherche), de décisions collégiales. Nous pensons qu’insister, tant au niveau de la communication que du fonctionnement, sur les spécificités de Dauphine et essayer de se raccrocher au système très Franco-Français des grandes écoles serait une politique peu visionnaire et incompatible avec les ambitions de reconnaissance internationale que nous partageons tous. Le statut de grand établissement, que nous ne remettons absolument pas en cause, doit donc être compris et présenté essentiellement comme d’ordre juridique, comme un outil nous permettant de faire de la sélection à l’entrée en première année ».

Il y a la reconnaissance de l’enjeu que constitue l’émergence de véritables universités en France sur le modèle international, ce qui implique une diversité de disciplines et de formations, et le rôle central de la recherche. La « réputation » du système franco-français des grandes écoles est avant tout une « réputation sociale » basée sur la place privilégiée qu’occupent les écoles dans les réseaux économiques et sociaux de la société française. Dauphine s’est « raccrochée » dès le départ à ce système. Qu’une majorité de ses professeurs manifeste aujourd’hui la volonté de changer d’orientation, mérite d’être souligné. Reste que la concurrence entre le modèle « université » et le modèle « grande école » ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la « sélection » et l’existence de filières d’excellence dans les universités. Ce débat aura lieu un jour ou l’autre. Pour l’instant les collègues de Dauphine se replient, à ce propos, sur une position tactique un peu égoïste de maintien du statu quo. Du coup, beaucoup de collègues universitaires qui le lisent pourraient considérer que ce qui se passe à Dauphine ne les concerne pas. Ils auraient tort. 

« Une part essentielle de la politique d’établissement doit être comprise comme un processus « bottom-up » dans lequel l’institution agrège et s’approprie de multiples projets dans ses champs disciplinaires et méthodologiques, issus de ses laboratoires et départements ».

 

Au moment où l’on se préoccupe de renforcer le pouvoir présidentiel, il faut en effet affirmer qu’une université ne vaut que par ses professeurs et ses chercheurs[4] [4], et qu’il ne sert à rien de vouloir la faire fonctionner comme une entreprise ordinaire.

 

« Le Conseil d’Administration définit la politique d’établissement. Il est l’organe décisionnel par excellence. Cela ne doit pas signifier que toutes les décisions sont prises en séance. Au risque de prendre à contre-pied la loi LRU nous pensons qu’il faut renforcer le rôle et les pouvoirs du Conseil Scientifique et du Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire. Le CA doit organiser une gestion rationnelle et professionnelle des moyens (personnel, budget, locaux, …) : faire un inventaire des moyens en toute transparence, établir des critères de répartition, définir des procédures afin d’évaluer les projets de formation, de recherche, d’établissement. (..) Le CA s’engage à ne pas modifier une décision prise dans une autre instance, en cas de désaccord il doit la refuser, et le cas échéant revoir le processus de décision ».

On peut lire ces propositions de fonctionnement comme la revendication d’une « gouvernance partagée »[5] [5] où l’on distingue mieux les fonctions et les attributions du conseil d’administration, du président, et des comités académiques. La LRU établit, en effet, une confusion entre ces niveaux[6] [6], ce qui peut conduire à de graves dérives si le président et/ou le conseil d’administration font un usage maximaliste des compétences que la loi leur donne.

Ce qu’on peut dire en conclusion c’est que, en dépit de leur position “excentrée”, les collègues « rebelles » de Paris Dauphine ouvrent des débats concrets sur des enjeux universitaires importants. Ceci ne disqualifie pas des approches plus politiques, à condition de ne pas s’enfermer dans un choix un peu théorique de « tout ou rien ». Ce qui est essentiel dans une perspective d’autonomie, c’est bien que la communauté académique prenne ses affaires en mains.




[7] [1] On trouve à Dauphine des individualités et des équipes brillantes, mais la situation est loin d’être homogène.

[8] [2] On pourrait citer Sciences Po, mais aussi quelques universités qui ne sont souvent que des facultés déguisées et qui font un « usage sélectif » du droit commun.

[9] [3] On pourrait les qualifier de listes « anti-LRU », à ceci près qu’elles ne remettent aucunement en cause le statut de grand établissement ni le principe de sélection à l’entrée.

[10] [4] C’est pourquoi, d’ailleurs, on peut trouver de très bonnes équipes de recherche dans certaines universités mal gouvernées.

 [11] [5] Voir  [12] “La gouvernance partagée, ça peut marcher !” in JFM’s Blog


Article printed from JFM’s blog: http://jfmela.free.fr/jfmblog

URL to article: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=86

URLs in this post:
[1] [1]: #_ftn1
[2] [2]: #_ftn2
[3] [3]: #_ftn3
[4] [4]: #_ftn4
[5] [5]: #_ftn5
[6] [6]: #_ftn6
[7] [1]: #_ftnref1
[8] [2]: #_ftnref2
[9] [3]: #_ftnref3
[10] [4]: #_ftnref4
[11] [5]: #_ftnref5
[12] “La gouvernance partagée, ça peut marcher !”: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=24
[13] [6]: #_ftnref6
[14] “Les universités dans le piège d’un système électoral absurde”: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=32

Copyright © 2007 JFM's blog. All rights reserved.