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La LRU sur le billard

Posted By JFM On 11 février 2012 @ 6:06 In Autonomie, Universités, Gouvernance | Comments Disabled

Le « Comité de suivi de la LRU » (loi relative aux libertés et responsabilités des universités, promulguée en 2007) vient de publier son [1] rapport 2011 qui est nettement plus critique que le précédent. Peut-être l’indépendance d’esprit de l’actuel président du comité, le mathématicien Jean-Marc Schlenker, y est-elle pour quelque chose. Le ministre Laurent Wauquiez accompagne cette publication d’un [2] communiqué qui cherche à faire bonne figure, parlant d’un rapport « très utile pour proposer des pistes d’amélioration de ce chantier ambitieux ». C’est bien aimable de sa part pour un rapport qui, derrière ses formulations de style administratif, n’en est pas moins au vitriol. Il est instructif de voir un comité composé de personnalités a priori peu suspectes d’hostilité systématique à la LRU, faire un constat qui rejoint des critiques plus radicales. Ce rapport est en tout cas intéressant à lire car il ne cultive pas la langue de bois. J’y trouve personnellement un écho de [3] ce que j’écrivais ici en avril 2011.
L’un des intérêts de ce rapport, c’est qu’il ne se contente pas de radiographier les rouages internes aux universités. Il replace celles-ci dans le contexte des nombreuses structures qui sont apparues ces dernières années, et des nouveaux mécanismes d’évaluation et de financement, notamment extrabudgétaires au travers du plan Campus et des investissements d’avenir. Il est vrai qu’on ne peut guère parler de la LRU sans parler de tout le reste. Cette loi prétend donner l’autonomie aux universités, ce qu’il faut beaucoup relativiser. Comme le note une récente [4] étude de l’European University Association, les universités françaises sont dans le dernier tiers des universités européennes en ce qui concerne les marges d’autonomie. Le rapport du Comité de suivi de la LRU affirme notamment : « Il est impératif de ne pas reprendre d’une main centralisatrice et uniformisatrice ce qui a été concédé d’autonomie par la loi ». C’est pourtant ce qui s’est produit avec les investissements d’avenir, le plan Campus, les PRES télécommandés…, sans parler des budgets comptés au plus juste et contrôlés de près. De ce point de vue le paysage est un champ de ruines de l’autonomie. Comme le note encore le rapport : « Sans projet stratégique fédérateur, les fusions d’établissements ne présentent que peu d’intérêt. (..) On peut craindre que certains grands ensembles universitaires nouvellement créés ne connaissent dans le futur des problèmes de gouvernance. (..) Certains PRES restent des structures abstraites qui ne sont pas identifiées par des actions spécifiques. (..) Les nombreuses structures qui sont apparues au cours des dernières années (RTRA, RTRS, IHU, IRT, IEDD…) contribuent à une très faible lisibilité du système français à l’extérieur ».
Bien sûr, tout ne se résume pas à la LRU et au sort qui lui sera fait dans un proche avenir. On a connu dans le passé des changements profonds qui ne résultaient pas d’une législation nouvelle, comme par exemple l’introduction du contrat d’établissement à la fin des années 80. Et, s’agissant d’autonomie, tout n’est pas dans la loi. Cependant il paraît clair qu’en cas de changement politique, on va faire passer la LRU « sur le billard », et la question est bien de savoir si elle en reviendra guérie ou estropiée !
Dans ses propositions, François Hollande précise : « Je réformerai la loi LRU pour garantir une autonomie réelle des établissements et une gouvernance plus collégiale et démocratique ». Le sujet n’est donc pas de remettre en cause le principe d’autonomie ni d’abroger purement et simplement la LRU mais de la réformer dans le contexte d’une loi-cadre pour l’enseignement supérieur et la recherche qui a été annoncée sans autre précision pour l’instant. Et force est de constater qu’on est loin d’y voir clair. Ceci d’autant plus que la notion d’autonomie est l’objet de multiples conflits. Il y a, en particulier, ceux pour qui l’autonomie reste « une duperie dangereuse », et qui ne jurent que par l’autorité de l’Etat - fut-il aux ordres d’un gouvernement réactionnaire. Ce qui laisse augurer d’un débat passionné…
Le point le moins conflictuel serait une modification des dispositions relatives à la gouvernance des universités. Des propositions ont été faites [5] ici ou là dans les articles de ce blog. L’une d’entre elles, reprise par le Comité de suivi, serait de mieux distinguer un Conseil d’administration responsable des grandes orientations stratégiques, une équipe présidentielle capable de piloter efficacement l’institution, et un Sénat académique dont les modalités de constitution pourraient être décidées par chaque université. Le rapport soulève également divers points [6] déjà discutés ici, notamment les difficultés liées à la prime majoritaire instaurée pour le scrutin des enseignants chercheurs, et l’intérêt qu’il y aurait à faire participer les personnalités extérieures au vote pour l’élection du président, ce qui suppose de revoir les modalités de leur désignation. Mais il ne servirait à rien de remettre de la collégialité dans les universités si le montage et la gouvernance des Initiatives d’excellence (Idex) étaient laissés à l’opacité et au bon vouloir d’une bureaucratie locale. Il y a un équilibre à trouver à tous les niveaux entre collégialité et efficacité de la gouvernance.
Un point essentiel sera de clarifier le rôle respectif de l’Etat et des universités. On peut critiquer l’exercice des RCE (responsabilités et compétences élargies) mais on ne peut pas parler d’autonomie sans admettre la délégation aux universités de compétences réservées jusqu’ici au pouvoir central. Cette question fera certainement l’objet de [7] vifs débats entre ceux qui restent attachés à une fonction publique protectrice mais figée et ceux qui souhaitent la moderniser en ne refusant ni la diversité de l’évaluation, ni la modulation des services… D’autre part, s’agissant des établissements et de leur politique scientifique et pédagogique, on ne peut parler d’autonomie que si les évaluations se font a posteriori, comme le souhaite d’ailleurs le Comité de suivi. Il faudrait rajouter une incitation à développer l’autoévaluation, y compris l’évaluation des enseignements par les étudiants.
Il est vrai qu’à partir du moment où l’on accepte le principe d’autonomie, on va nécessairement vers une différenciation accrue des universités. Cette différenciation est déjà considérable en matière de recherche et de formations doctorales, sans que personne ne s’en offusque. Ce que l’on doit demander c’est que [8] « la politique de l’excellence » ne soit pas une machine de guerre contre les petites universités et la notion de service public.  Mieux vaudrait une politique contractuelle plus discriminante dans la répartition des dotations budgétaires que la « loterie » des « initiatives d’excellence » avec leur petit nombre de gagnants. Et le financement de la recherche sur projets doit impérativement prévoir des préciputs importants pour laisser aux universités des marges de manœuvre significatives.
Ces quelques réflexions sont loin d’épuiser un débat politique qui n’est d’ailleurs pas encore porté sur la place publique. On devrait y rajouter d’autres sujets brûlants comme l’orientation sélective, la sélection à l’entrée du master, les droits d’inscription…, qui sont à peine abordés dans le rapport du Comité de suivi, et qui dépassent de loin la LRU. Sur tous les sujets, il est urgent que la gauche de gouvernement  sorte la tête du sable et précise ses intentions…

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[1] rapport 2011: http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Autonomie_universites/03/1/Rapport_2011_-_Comite
_de_suivi_de_la_loi_LRU_206031.pdf

[2] communiqué: http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid59205/rapport-2011-du-comite-de-suivi-de-la-loi-l.r.
u.html?ajout_article=59205&xid=7692283011e5fc31aafab9f1aa64611b884327

[3] ce que j’écrivais ici en avril 2011: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=223
[4] étude de l’European University Association: http://www.cpu.fr/uploads/tx_publications/Autonomie-en-Europe-II.pdf
[5] ici ou là dans les articles de ce blog: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=88
[6] déjà discutés ici: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=32
[7] vifs débats: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=230
[8] « la politique de l’excellence »: http://jfmela.free.fr/jfmblog/?p=200

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