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La grippe de Shanghai

Bernard Teissier est directeur de recherche au CNRS (Institut de mathématiques de Jussieu)

La grippe de Shanghai touche une population spécifique : les décideurs universitaires. Elle s’attaque directement à la capacité de prendre des décisions rationnelles, voire aux facultés intellectuelles. Le nom de la maladie provient d’un classement mondial des universités destiné à l’origine à orienter  les étudiants chinois vers les meilleures universités étrangères. Il repose sur des critères numériques arbitraires qui favorisent à l’extrême un certain type d’université et un certain type d’activité scientifique. La qualité de la formation et l’effet global qu’une université peut avoir sur ses étudiants n’interviennent que via le nombre de prix Nobel et de médailles Fields parmi les anciens élèves (poids 10%) et la “performance académique” des élèves (10%).

Les victimes de la grippe de Shanghai font de ces nombres absurdes un vrai critère de qualité et orientent la stratégie de l’enseignement supérieur en fonction de l’objectif de voir les universités s’élever dans le classement. La France est particulièrement touchée en raison du réflexe acquis dans les classes préparatoires, qui fait que dès qu’un responsable voit un quelconque classement, il désire y figurer en bonne position.

Un des premiers effets visibles en France de cette maladie insidieuse est la création des PRES, acronyme bien connu de “Pour Réussir à s’Elever dans Shanghai”, groupements formels d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui font perdre une quantité considérable d’énergie et de moyens pour un résultat qui ne résistera probablement pas longtemps à la concurrence organisée par la LRU et au remplacement prévisible du classement de Shanghai par un autre plus réaliste.

Mais l’Europe toute entière est  victime de l’épidémie. Ses politiciens avaient affirmé que le processus de Lisbonne mettait l’étudiant au centre du dispositif universitaire; ils avaient omis de préciser qu’il s’agissait surtout de l’étudiant chinois, ou plutôt de l’image erronée que, très atteints par la grippe, ils s’en font.

Ils s’imaginent que les universités bien classées rouleront sur l’or comme l’Université Harvard avant la crise, et auront le même prestige qu’elle, dès lors qu’elles accueilleront en masse les étudiants chinois, émiratis, indonésiens ou autres censés faire leurs choix principalement en fonction du fameux classement en négligeant le reste,  par exemple les droits d’inscription.

Leur aveuglement grippal leur cache que la Chine, terriblement sous-équipée en Universités, développe son enseignement supérieur et sa recherche à une vitesse phénoménale, de même que les Emirats et autres lieux pétrolifères. Dans moins de 15 ans ils n’auront plus besoin d’envoyer beaucoup d’étudiants à l’étranger.

La politique idéologique et désastreuse menée par notre gouvernement depuis quelques années fait prévoir qu’au contraire dans 5 à 10 ans, et probablement même plus tôt, les meilleurs apprentis chercheurs français devront aller étudier ailleurs, dans les pays qui mènent en ce moment une politique intelligente, et par exemple en Chine. Il nous faudra alors faire un classement des universités étrangères…et payer les frais d’inscription.

C’est ce qui arrive lorsque l’on croit pouvoir faire l’économie de la connaissance.



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