Depuis les dernières élections le contexte politique est assez mouvant dans beaucoup de domaines. Il est notamment difficile de faire le point sur un sujet qui nous tient à cœur : l’avenir de l’enseignement supérieur et des universités.
Dans la période des élections, Emmanuel Macron avait évoqué dans ce domaine certains projets nouveaux. Comme les élections ont amené une majorité nouvelle, ces questions sont d’actualité. Mais on ne sait pas tout à fait où l’on va… Un certain nombre d’intellectuels de gauche penchent du côté de Macron parce que ses idées sont originales, mais elles peuvent paraître trop marquées par le souci d’une autonomie donnée aux établissements d’enseignement supérieur. Par ailleurs, l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron a quelque chose de « surréaliste ». Il y est parvenu parce qu’en face de lui, il n’y avait rien de solide. Mais ses partisans qui ont triomphé aux dernières élections sont minoritaires ou, à tout le moins, ne sont pas l’expression d’une majorité véritable et identifiée.
S’agissant de l’université, nous pouvons essayer de faire le point. Nous avons vécu dans un système universitaire hérité du passé où les défauts se sont accumulés. Coexistence d’un système d’écoles assez fermé socialement et d’universités ouvertes sur l’échec du plus grand nombre. Un système plutôt « gratuit » pour les privilégiés. Comme le souligne Thomas Piketty, on consacre trois fois plus de ressources publiques aux étudiants des filières sélectives que ce qu’on accorde aux cursus universitaires. La France est le seul pays où les écoles et collèges privés sont presque intégralement financés par le contribuable, tout en conservant le droit de choisir leurs élèves. A l’université c’est une faillite silencieuse, alors que les campus américains et asiatiques n’ont jamais été aussi prospères. En France ceci s’inscrit dans une situation de fond où, selon Piketty, entre 1983 et 2015, le revenu moyen des 1% les plus aisés a progressé de 100% contre à peine 25% pour le reste de la population. On ne va pas vers la réduction des inégalités, mais vers une rationalisation de la situation existante.
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L’inauguration du bâtiment de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord (MSHPN) aura lieu le 14 avril prochain au terme d’une aventure de plus de 15 ans, ce qui n’exclut pas de nouveaux rebondissements et quelques menaces, comme on le verra.
Le plan « Université du troisième millénaire » (U3M) élaboré à la fin du siècle dernier, dessinait un développement universitaire ambitieux des SHS au nord de Paris, dont le projet « Campus Condorcet » est aujourd’hui la dernière version. Ce plan prévoyait notamment une MSH à vocation « Arts, Sciences et Technologie » sur le pôle de développement de La Plaine Saint-Denis. Ce projet restait alors assez vague, tant en ce qui concernait son contenu scientifique que son implantation et son financement. Le contrat de plan 2000-2006 mentionnait une « MSH Plaine Saint-Denis » pour un montant très modeste de 30 MF et une « plateforme technologique arts sciences et technologie » pour 15 MF auquel devait s’ajouter 35 MF au titre du « développement économique ». Il n’était pas précisé que les deux projets seraient couplés et il fut un temps question d’implanter la plateforme à la Cité des Sciences de La Villette.
En 1999 je fus chargé par le préfet de Région et les recteurs de Paris et Créteil d’une « mission de concertation et de coordination des différents acteurs impliqués dans la réalisation du contrat de plan nord francilien et du démarrage de la MSH Nord-Francilienne ». Je pris contact avec un certain nombre de chercheurs et d’équipes des universités Paris 8 et Paris 13 pour distinguer ceux qui seraient le plus susceptibles de contribuer au démarrage de ce projet dont le champ scientifique se trouva quelque peu élargi. Sur la base de ces contacts exploratoires, la « Mission Scientifique Universitaire » (MSU) du ministère de la recherche que dirigeait alors Maurice Garden, très engagé dans l’essor des MSH, lançât le projet sur deux axes : l’un sur les « Industries culturelles et les arts », l’autre sur « Santé et société », ces deux axes associant principalement (mais pas seulement) Paris 8, Paris 13 et le CNRS. L’objectif de la plateforme technologique étant de mettre en réseau et en synergie des équipements, des moyens pédagogiques et des ressources scientifiques dans le domaine des arts numériques et de leurs applications aux industries culturelles à destination des entreprises concernées, elle fut couplée à la MSH.
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En attendant le verdict parlementaire, on peut instruire à charge et à décharge le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Ce n’est pas très original mais l’exercice est utile car on n’est pas à la fin de l’Histoire et il est bon de nourrir la réflexion collective. Cette loi, promise par le président de la république pendant sa campagne, devait être l’expression d’une nouvelle ambition pour l’université et un évènement majeur du quinquennat. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce ne sera pas le cas, même s’il faut s’abstenir de tout jugement simpliste. Et pour ce qui est du simplisme, on est servi. Que la droite politique tire à boulets rouges sur le projet d’un gouvernement de gauche, quoi de plus naturel. Mais, du côté gauche, il y a de quoi être un peu éberlué par les réactions excessives et divergentes des uns et des autres. Pour des syndicats tels que le Snesup, comme pour des mouvements radicaux tels que SLR ou SLU, la condamnation est totale et sans appel. Pour SLU, par exemple, il s’agit « d’une LRU maquillée, d’une LRU renforcée, d’une LRU extrémisée ». Pour la Coordination des responsables des instances du CNRS (C3N), « le projet de loi ne répond à aucune des critiques et ne retient aucune des propositions qu’a faites le C3N dans deux contributions aux Assises et dont une partie était pourtant reprise dans le rapport de V. Berger et le rapport Le Déaut ». A quoi le député Jean-Yves Le Déaut, auteur du rapport en question rétorque : « les principales mesures de mon rapport se retrouvent bien dans cet avant-projet de loi ». De son côté, le président de la CPU ne craint pas d’affirmer : « Cette loi porte une grande ambition, elle va profondément changer le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche », ce qui n’a pas empêché la CPU d’essayer (avec un certain succès) de vider le projet de loi des dispositions qui limitaient les pouvoirs donnés aux présidents par la LRU. L’UNEF qui s’était déjà distinguée en 2007 par son attitude conciliante envers la LRU, explique aujourd’hui : « L’UNEF obtient des engagements importants de la ministre pour remettre les étudiants au cœur de la réforme ». La ministre Geneviève Fiorasso a d’ailleurs su habilement s’appuyer sur la CPU et sur l’UNEF, dans un contexte général plutôt désabusé… Mais tout ça, me direz-vous, c’est de la basse politique, la position de certains étant déterminée par leur souci de ne pas trop gêner le parti au pouvoir. Essayons d’être plus objectifs !
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La restructuration des universités d’Ile de France au sein de plusieurs pôles d’enseignement supérieur et de recherche (PRES), s’avérait dès le départ comme une opération délicate, beaucoup plus délicate que pour les universités de province qui ont une inscription territoriale incontestable et sont le plus souvent complémentaires sur un même site. Et comment opérer ces regroupements dans le respect de l’autonomie nouvelle des universités ? Le pouvoir politique a cru pouvoir s’en tirer en installant des mécanismes incitatifs, qu’ils s’appellent « Plan Campus » ou « Initiatives d’excellence ». Ces dispositifs ont hérité de toutes les tares de la planification bureaucratique où les modus operandi prennent le pas sur les raisons de fond. C’est en évaluant les chances d’avoir de l’argent en commun que les acteurs se sont rapprochés et ont élaboré des projets collaboratifs avec, bien souvent, l’aide de cabinets de conseil en stratégie. S’intégrer dans des groupes gagnants, s’adapter aux cahiers des charges, ont tenu lieu d’orientation. Le phénomène s’est encore aggravé avec les Initiatives d’excellence (IDEX) dans le cadre des Investissements d’avenir (« Grand emprunt »). Les procédures d’évaluation mises en place ont accentué ces travers jusqu’à ce que l’affaire tourne aujourd’hui à la farce, poussant les acteurs à des « péchés contre l’esprit ». Nous allons en donner des exemples à partir de quelques lectures édifiantes, le but n’étant pas de se payer la tête de quelques malheureux collègues, mais de montrer le niveau d’absurdité auquel nous sommes parvenus…
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Les idées qui suivent s’adressent d’abord à ceux qui souhaitent un changement politique en 2012. Que les autres me pardonnent ; ils y trouveront quand même matière à réflexion. Le programme de la social-démocratie française pour l’enseignement supérieur et la recherche est encore si incertain, les éléments qu’on en connaît paraissent si contradictoires, qu’il n’est pas inutile de lancer des bouteilles à la mer…[1]
De la difficulté d’aller à contre-courant
Il y a une vraie difficulté à proposer aujourd’hui une autre politique de l’enseignement supérieur et de la recherche car, en face des réformes diverses et souvent contradictoires lancées par l’actuel gouvernement, le mouvement d’opposition a été essentiellement défensif. Il y avait des revendications tout à fait légitimes, mais l’inspiration générale était plutôt « conservatrice ». Beaucoup résumaient l’affaire à « une offensive néolibérale » contre le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, implicitement crédité de toutes les qualités. Aussi, toutes les propositions qui visent à changer ce système en profondeur courent-elles le risque d’être reçues comme une trahison. Mais c’est un risque à prendre.
Pour l’autonomie des universités
Une question centrale touche au rôle de l’Etat et à l’autonomie des universités. Quelle que soit l’issue politique en 2012, je ne crois pas que la longue marche des universités françaises [2] vers l’autonomie pourra tourner court, en dépit des graves défauts de la LRU. D’abord son application est trop avancée et les établissements s’y sont déjà engagés, en dépit des discours, d’une façon qui n’est plus totalement réversible. Mais, au-delà des aspects législatifs et règlementaires, l’autonomie est un changement de culture qui n’a de sens que si les acteurs y croient. Or, dans le récent mouvement contre les réformes, beaucoup se sont crispés sur une défense excessive et très contestable du pilotage centralisé par l’Etat. Pourtant l’autonomie fut naguère une idée de gauche. Ainsi dans le rapport du Collège de France remis en 1985 au président de la République, intitulé « Propositions pour l’enseignement de l’avenir », et rédigé au nom de ses collègues par Pierre Bourdieu, on trouve un vibrant plaidoyer pour l’autonomie dans tous les ordres d’enseignement, mais spécialement dans l’enseignement supérieur[3]. Un aspect positif de l’autonomie c’est de déchirer le voile de l’égalité formelle et de forcer les acteurs à se positionner et à s’impliquer, au lieu de s’abriter derrière l’application de règlementations prétendument neutres.
Un obstacle à l’émergence de véritables universités en France, outre l’histoire institutionnelle, c’est le doute et la méfiance que suscitent leur autonomie et leur rôle d’opérateur de recherche, alors qu’il faudrait une mobilisation de toutes les énergies pour assumer cette mutation dans de bonnes conditions. Il importe donc d’affirmer la valeur positive de l’autonomie, et d’inciter les universitaires à se l’approprier. Ceci suppose à coup sûr de corriger quelques dispositions de la LRU, mais tout ne se résume pas à la loi.
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Les Presses universitaires de Grenoble viennent de publier sous ce titre un volume issu d’un colloque qui plaçait les débats actuels sous la référence à Pierre Mendès-France. On y trouvera notamment le texte développé de la conférence que j’avais donnée alors et que j’avais suscinctement présentée ici.