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MSH Paris Nord - Péripéties d’une aventure

L’inauguration du bâtiment de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord (MSHPN) aura lieu le 14 avril prochain au terme d’une aventure de plus de 15 ans, ce qui n’exclut pas de nouveaux rebondissements et quelques menaces, comme on le verra.

Le plan « Université du troisième millénaire » (U3M) élaboré à la fin du siècle dernier, dessinait un développement universitaire ambitieux des SHS au nord de Paris, dont le projet « Campus Condorcet » est aujourd’hui la dernière version. Ce plan prévoyait notamment une MSH à vocation « Arts, Sciences et Technologie » sur le pôle de développement de La Plaine Saint-Denis. Ce projet restait alors assez vague, tant en ce qui concernait son contenu scientifique que son implantation et son financement. Le contrat de plan 2000-2006 mentionnait une « MSH Plaine Saint-Denis » pour un montant très modeste de 30 MF et une « plateforme technologique arts sciences et technologie » pour 15 MF auquel devait s’ajouter 35 MF au titre du « développement économique ». Il n’était pas précisé que les deux projets seraient couplés et il fut un temps question d’implanter la plateforme à la Cité des Sciences de La Villette.

En 1999 je fus chargé par le préfet de Région et les recteurs de Paris et Créteil d’une « mission de concertation et de coordination des différents acteurs impliqués dans la réalisation du contrat de plan nord francilien et du démarrage de la MSH Nord-Francilienne ». Je pris contact avec un certain nombre de chercheurs et d’équipes des universités Paris 8 et Paris 13 pour distinguer ceux qui seraient le plus susceptibles de contribuer au démarrage de ce projet dont le champ scientifique se trouva quelque peu élargi. Sur la base de ces contacts exploratoires, la « Mission Scientifique Universitaire » (MSU) du ministère de la recherche que dirigeait alors Maurice Garden, très engagé dans l’essor des MSH, lançât le projet sur deux axes : l’un sur les « Industries culturelles et les arts[1] », l’autre sur « Santé et société », ces deux axes associant principalement (mais pas seulement) Paris 8, Paris 13 et le CNRS.  L’objectif de la plateforme technologique étant de mettre en réseau et en synergie des équipements, des moyens pédagogiques et des ressources scientifiques dans le domaine des arts numériques et de leurs applications aux industries culturelles à destination des entreprises concernées, elle fut couplée à la MSH.

Pierre Moeglin, professeur en Sciences de la Communication à Paris 13, fut désigné  comme chef de projet et rendit un rapport extrêmement documenté, avec la collaboration de Didier Fassin, alors professeur de sociologie à l’UFR médicale de Bobigny, pour l’axe « Santé et société ». Ce remarquable rapport qui reçut l’avis favorable de tous les acteurs concernés a servi de base à la réalisation du projet scientifique. Deux nouveaux axes seront plus tard ajoutés au projet initial : « Mondialisation, régulation, innovation » (en 2008) et « Penser la ville contemporaine » (en 2010). En 2000 je fus amené à prendre la direction de la MSU et, à ce titre, je continuai à suivre ce projet, ce que je ferai encore quelques années après comme chargé de mission du recteur de Créteil.

Il s’est agi de donner à la MSHPN une assise matérielle et scientifique solide, alors que le plan U3M ne faisait qu’esquisser une ambition générale financée a minima par le CPER. Un point essentiel fut l’adhésion pleine et entière de la communauté d’agglomération « Plaine Commune » qui cèdera gratuitement un terrain d’une superficie d’environ 10.000 m2, remarquablement situé, en  proximité immédiate de l’actuelle station de métro « Front Populaire ». Il faut souligner que cette cession généreuse ne fut pas un simple acte administratif. Les élus furent séduits par le projet scientifique que le rapport Moeglin avait dessiné. Ils étaient d’autant plus séduits que, s’agissant des entreprises qui relèvent des industries culturelles et des arts, et des prestations appliquées aux environnements virtuels, les trois quarts du potentiel national des domaines concernés sont rassemblés dans le secteur géographique de La Plaine Saint-Denis au sens large, incluant notamment la Cité du cinéma. Sous l’égide du recteur de Créteil, il fallut ensuite constituer un « tour de table » pour financer le futur bâtiment de la MSH. Outre l’Etat, financeur principal au titre du CPER, et Plaine Commune dont on a déjà parlé, il y eut la Région IDF, le département de Seine Saint-Denis, le CNRS et l’INSERM. Un premier programme immobilier fut lancé en 2003, d’une surface utile de 6.700 m2. Le « tour de table » initial fut complété par une dotation de l’Etat au CPER 2007-2013. Le montant global de l’opération se montait alors à 29,5 M€ (dont 5,1 M€ d’équipement). Mais, s’agissant du financement comme de la construction, de nombreuses péripéties (sur lesquelles je passerai) ont émaillé la phase finale, ce qui explique le délai de livraison du bâtiment…

Sans attendre la réalisation immobilière définitive, il fut décidé, dès l’année 2001, de préfigurer la MSHPN, avec comme directeur Pierre Moeglin, dans des locaux loués de 1.600 m2 à La Plaine Saint-Denis, en face de la Halle Montjoie, avec un budget de fonctionnement et quelques emplois. C’est dans ce cadre un peu étriqué que le projet scientifique a pu se concrétiser, dans le cadre d’une UMS (unité mixte de service) devenue aujourd’hui une USR (unité de service et de recherche) associant le CNRS et les universités Paris 8 et Paris 13. Il ne s’agissait pas d’installer, à proprement parler, des laboratoires à la MSH mais d’héberger, pour des durées allant d’une à trois années, des programmes labellisés sur un axe de recherche de la MSH, choisis sur appels d’offres annuels par son conseil scientifique constitué de membres extérieurs et présidé par Maurice Godelier. La MSHPN est une MSH « de nouvelle génération » qui a vocation à fédérer des ressources scientifiques locales sur des thématiques bien choisies, mais aussi à être, sur ces thématiques, le pôle d’un réseau régional et national, disposant d’une visibilité internationale.[2]

En dépit de son implantation provisoire, la MSH a considérablement développé ses activités et affirmé son excellence. Il suffit de se reporter aux deux évaluations exceptionnellement favorables de l’AERES[3] (aucune autre MSH n’en a eu de semblable). La MSH soutient aujourd’hui plus de 60 programmes qui sont suivis par l’équipe des coordinateurs d’axes et de thèmes. Outre 8 revues en ligne et 5 revues imprimées, elle accueille deux Labex issus de la MSH, ICCA (Industries culturelles et création artistique), porté par Paris 13, et Arts-H2H (Arts et médiations humaines) porté par Paris 8, ainsi qu’un Erasmus Mundus en Sciences économiques (le seul en Ile de France) « Economic policies in the age of globalisation ». Elle accueille également l’IDEFI Creatic porté par une cinquantaine de partenaires dont « Plaine Commune ». Elle cristallise autour d’elle tout un écosystème (Cap Digital, Pôle Média Grand Paris…). La présence de la MSH et son fonctionnement réellement interdisciplinaire sont considérés comme stratégiques pour le futur campus Condorcet (dont la MSHPN est le premier bâtiment). L’engagement constant de toutes les collectivités est un signe de l’importance de la MSH pour son environnement social, économique et culturel.

J’ai dit que j’avais supervisé le lancement de la MSHPN lorsque je dirigeais la MSU. Lorsqu’il avait fallu désigner un support logistique de l’opération et un maître d’ouvrage de la construction à venir, nous avions le choix entre l’université Paris 8 et l’université Paris 13. Pour des raisons techniques nous avons choisi Paris 13. Mais il ne s’agissait pas de donner à Paris 13 la tutelle scientifique de l’opération, qui fut partagée entre P8, P13 et le CNRS, avec création d’une USR. Il est donc tout à fait anormal de voir aujourd’hui Paris 13 prétendre disposer du nouveau bâtiment. Si le bâtiment appartient (pour le moment) à Paris 13, il n’a été construit qu’en fonction du projet scientifique de la MSH et à la faveur d’engagements financiers lourds (Etat, Conseil Régional, Conseil Général, Plaine Commune pour le terrain…) qui lui étaient destinés. Il n’y eut, à ce moment-là, aucune ambigüité sur la destination du futur bâtiment. Ainsi la convention conclue avec Plaine commune pour l’acquisition du terrain précise que sa subvention est accordée « sous la condition absolue suivante : le terrain acquis pour accueillir la Maison des Sciences de l’Homme et la plateforme technologique « Arts, Sciences et Technologies » devra rester affecté à cet usage pour une proportion supérieure à 70% de sa surface pendant une durée de 30 ans ». On peut admettre que des partenaires de la MSHPN soient hébergés dans le bâtiment. Ce sera le cas, mais un « découpage en appartements » avec changement de destination des locaux est inacceptable. C’est pourtant ce que l’université Paris 13 a tenté de faire, arguant de difficultés financières. Mais outre que le chiffrage des coûts de fonctionnement a été fait jusqu’ici « au doigt mouillé », on ne peut subordonner l’avenir de ce beau projet aux problèmes financiers temporaires que connaissent les universités et la recherche.

L’attribution d’une part importante du nouveau bâtiment à l’EHESP (Ecole des hautes études en Santé publique, localisée à Rennes) est un véritable coup de force. D’autant plus que les arguments scientifiques et matériels sont faibles. Certes on peut envisager quelques complémentarités d’équipes entre l’EHESP et l’axe « Santé et Société » de la MSH. Mais ceci ne justifie guère l’attribution de tout un étage du bâtiment, auquel s’ajoute l’usage d’autres locaux. Un représentant de l’EHESP, entendu par le conseil scientifique de la MSH en décembre 2013, a très honnêtement fait état de besoins d’hébergement modestes pour les chercheurs en SHS de l’Ecole (de l’ordre de 30 postes de travail). Et s’il s’agit de consacrer l’espace obtenu à l’accueil d’étudiants, on est dans une toute autre logique que celle qui a guidé le projet de la MSHPN depuis le début. De plus l’EHESP n’a pas été correctement informée des coûts de cette relocalisation.

Un accord très défavorable à la MSH a été plus ou moins imposé par le ministère le 19 décembre dernier, pour des raisons qui tiennent plus aux relations diplomatiques existant avec la CPU (que préside le président de Paris 13) qu’à une logique scientifique.  On constate après coup qu’il s’agit d’un véritable  détournement d’usage du nouveau bâtiment de la MSHPN, en arguant que celle-ci serait en déclin et n’aurait plus besoin des locaux qui avaient été programmés de longue date pour elle. A la limite, le transfert de la MSHPN dans ses nouveaux locaux se traduirait par une réduction à la portion congrue alors que son développement est incontestable et que sa qualité est reconnue par les évaluateurs. On a bien vu que c’est en réalité une véritable tentative de dépossession. Ceci est devenu parfaitement clair lorsque, à la faveur de l’occupation des nouveaux locaux, l’administration de Paris 13 a voulu, sans aucune concertation avec les autres partenaires, débaptiser le nouveau bâtiment de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord (c’est ainsi qu’il est désigné dans tous les courriers officiels) pour lui donner le nom de l’avenue George Sand qui le borde !

C’est dans ce contexte un peu conflictuel que la MSHPN va intégrer ses nouveaux locaux. On peut considérer que le compromis sur l’occupation du bâtiment est assez inique et en contradiction avec la convention entre l’Etat et Plaine Commune. Mais l’esprit de compromis peut quand même l’emporter si l’on sort de cette logique de « holdup » sur un bâtiment construit pour la MSH, qu’on voudrait même débaptiser. Le seul mérite de l’accord qui a été conclu, même s’il est injuste, peut être que l’offensive s’arrête et que la MSHPN puisse se sentir chez elle. Je ne doute pas qu’alors la dynamique scientifique l’emportera sur des considérations immobilières assez prosaïques.

 


[1] dans les domaines de l’image et de l’informatique musicale

[2] A ce sujet on pourra lire avec intérêt le texte « Le génie des lieux » rédigé par Pierre Moeglin.

[3] Voir notamment le rapport 2013