L’Institut d’études politiques de Grenoble (Université Pierre Mendès-France) a organisé, les 23 et 24 octobre 2008, un colloque intitulé “Politique, science et action publique - La référence à Pierre Mendès-France et les débats actuels”. On trouvera ici les diapositives d’un exposé sur “Les dilemmes du pilotage de la recherche entre les organismes, les agences et les universités” (texte développé à paraître dans les actes du colloque).
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Pour ceux qui l’auraient raté, voici le texte d’une interview donnée à l’AEF (n°101611 du 22.09.08) qui m’a valu des encouragements et quelques insultes…
“Les chercheurs se désintéressent du sort de l’université”, regrette Jean-François Méla, ancien directeur de la MSU et ancien président de Paris XIII
La “tâche historique” du CNRS dans l’organisation de la recherche universitaire en France est “terminée”, estime Jean-François Méla, ancien directeur de la MSU (mission scientifique universitaire), devenue la MSTP en 2003 avant de céder la place à l’Aeres. Pour lui, la réforme du CNRS est freinée par les réticences des chercheurs qui s’interrogent sur la mise en place de la loi LRU. Jean-François Méla a présidé l’université Paris-XIII (Paris-Nord) de 1992 à 1997. Il est aujourd’hui professeur émérite de cette université et membre du conseil scientifique de la MSH (Maison des sciences de l’homme) Paris-Nord. Il répond aux questions de l’AEF.
L’AEF: Faut-il réorganiser le CNRS?
Jean-François Méla: Le CNRS a joué un rôle capital dans la structuration de la recherche universitaire, qui était un vrai magma dans les années 1970 et 1980. Il a notamment proposé son mode d’organisation, qui était le plus performant. Mais aujourd’hui cette tâche historique est terminée. Je ne dis pas qu’il doit être supprimé, mais il faut prendre acte du fait que, depuis l’effondrement de l’URSS, aucun pays ne s’est doté d’un organisme centralisé pour organiser la recherche.
L’AEF: Mais n’est-ce pas le rôle d’un organisme comme le CNRS de coordonner la recherche au plan national?
Jean-François Méla: Le CNRS n’a jamais été capable d’avoir une politique de recherche. Il n’a pas su soutenir des disciplines nouvelles, comme l’informatique. Ce sont les universités qui ont créé les premières équipes et le CNRS a ensuite fait son marché parmi les meilleures. Un seul directeur a essayé de lui donner une vraie capacité politique [Bernard Larrouturou] mais au prix d’une réduction de son périmètre, et il a été écarté. Si les futurs instituts se concentrent sur leur fonction d’agence de moyens, ils pourraient en revanche réaliser des “coups” scientifiques.
L’AEF: La réforme voulue par le gouvernement vous semble-t-elle aller dans le bon sens?
Jean-François Méla: Avec le discours de Nicolas Sarkozy, le 28 janvier dernier (L’AEF n°90635), l’avenir du CNRS paraissait clair: il devait basculer en agence de moyens. Mais depuis, la situation est devenue plus obscure. La question aujourd’hui est de savoir ce que devient le rôle d’opérateur de recherche du CNRS. S’il est normal que des organismes nationaux distribuent des moyens, il n’est pas légitime qu’ils gèrent les laboratoires des universités. Et ce, même si cela a été utile pendant une période donnée. Une hypothèse serait que s’ouvre une période de transition, au terme de laquelle les personnels du CNRS seraient transférés aux universités, comme l’illustre le projet de création de chaires CNRS (L’AEF n°97856)
L’AEF: Une partie des chercheurs semblent pourtant très attachés au rôle d’opérateur de recherche du CNRS…
Jean-François Méla: Le projet de réforme du CNRS a suscité l’hostilité car les gens ne sont pas confiants dans le repositionnement des universités désormais autonomes. Ce climat de crainte incite les chercheurs à se replier sur des positions défensives. Prenons l’exemple du mandat de gestion unique, qui a été expérimenté à l’université de Nice. Il semble que cela fonctionne mal, mais face à cela deux attitudes sont possibles: d’une part le repli individualiste, c’est-à-dire le retour à la gestion par le CNRS; d’autre part, décider de se battre pour que cela fonctionne. Dans l’immédiat, la première solution peut convenir, mais est-ce le cas sur le long terme alors que l’on veut des universités fortes et autonomes?
L’AEF: Quelle devrait être, selon vous, l’attitude des chercheurs dans une telle période?
Jean-François Méla: Il y a quelque chose qui ne va pas. J’ai le sentiment qu’ils se désintéressent du sort de l’université. Ils ne se battent pas pour elle, et adoptent une posture de seigneurs de la guerre, qui se replient sur leurs bastions. Au contraire, les universités où la gouvernance est efficace sont celles où les scientifiques se sont fortement engagés, comme à Strasbourg.
L’AEF: Pourquoi cette inquiétude des chercheurs dans l’application de la loi LRU?
Jean-François Méla: Il s’est agi d’une réforme de gribouille. Beaucoup de gens l’avaient vu à l’époque. En effet, il n’y a pas eu de réflexion sur les niveaux de décision. Dans le système anglo-saxon, le pouvoir est partagé entre un comité exécutif, dans lequel l’État est représenté; un chancelier recruté pour ses qualités d’administrateur, mais qui n’est pas forcément un universitaire; et enfin des comités académiques. En France, la loi LRU maintient une confusion: le président est un politique, et l’État n’est pas représenté dans les conseils, ce qui l’amène à agir “par-dessus”. Enfin, le CA dispose de prérogatives exorbitantes, notamment le rôle de jury de sélection pour le recrutement des personnels. Cela se traduit par des contradictions: en théorie le président peut-être choisi à l’extérieur du CA, mais le système électoral, avec la prime majoritaire “municipale”, fait du président le chef politique de la liste arrivée en tête. Cela dit, tout ne dépend pas de la loi. La réussite de l’autonomie est notamment conditionnée par l’existence de marges de manoeuvre financières. Ainsi, la hausse du financement par projets devrait s’accompagner d’une forte hausse du prélèvement effectué par les universités sur les projets obtenus par leurs laboratoires.
L’AEF: Certains expriment la crainte d’un pilotage trop important de la recherche par le pouvoir politique. Est-ce une réalité ou un fantasme selon vous?
Jean-François Méla: Concernant l’élaboration de la stratégie nationale voulue par Valérie Pécresse (L’AEF n°100442), il me semble contradictoire de vouloir mettre les universités au centre du système et de prétendre en même temps piloter étatiquement la recherche. Cela dit, si à l’issue de la réflexion, on limite les priorités à 20, on peut d’ores et déjà en dresser la liste! Mais quand on veut la décliner en termes de projets, cela commence à être plus délicat. Comment le faire indépendamment des équipes de recherche? C’est d’autant plus difficile que l’État peut prendre des décisions étonnantes, par exemple en mettant beaucoup d’argent dans une spécialité où il y a peu de chercheurs. Cela a été le cas sous le gouvernement Jospin, lors de la crise de la “vache folle”. Des crédits importants ont été débloqués, mais nous étions bien embêtés au ministère en charge de la Recherche, car il n’y avait pas beaucoup d’équipes à qui les attribuer. Du coup, nous avons investi dans des abattoirs de luxe.
Plus de 600 directeurs de laboratoires ou membres d’instances scientifiques se sont réunis à Paris, au début de ce mois, pour exprimer leur inquiétude sur « le nouveau paysage de la Recherche qui est en train de voir le jour au travers des réformes déjà mises en place ou annoncées ». Le communiqué publié à l’issue de cette réunion[1] est mesuré et on ne peut que souscrire à la plupart des propositions qu’il avance, comme l’exigence du « respect du champ scientifique par rapport au politique », ou la demande d’un « renforcement significatif des financements de base pluriannuels alloués aux laboratoires, par rapport aux financements sur projets à court-terme, plus finalisés ». Mais on y trouve aussi l’affirmation, un peu rituelle, que « le CNRS, opérateur de recherche généraliste, pluridisciplinaire, est un garant de la recherche fondamentale », avec la conviction que toute transformation de cet organisme est condamnable. Or cette conviction est loin d’être unanimement partagée aujourd’hui par les universitaires.
En somme, le CNRS serait l’horizon indépassable de la recherche fondamentale en France. On comprend que les incertitudes qui pèsent sur l’avenir des universités autonomes plaident pour la plus grande prudence dans l’application des réformes aux organismes et, en particulier, pour qu’on ne se hâte pas de saborder le CNRS. Mais il faut quand même être capable de penser une évolution à moyen terme de nos structures de recherche et de nos universités. Or on constate que « l’aristocratie des chercheurs » s’intéresse avant tout au maintien du CNRS tel qu’il existe et du statut de chercheur permanent, et a tendance à instrumentaliser à son profit « la piétaille universitaire », sans s’impliquer véritablement dans la bataille en cours pour faire émerger de véritables universités en France.