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La réorganisation du CNRS - Commentaire de textes

LE COUP D’ENVOI DE LA REFORME

Pour le CNRS le véritable coup d’envoi de la réforme a été le discours du président de la République du 28 janvier 2008[1]. Rappelons-en les passages les plus significatifs :

« La première grande orientation, c’est de mettre l’Université au centre de notre dispositif de recherche. (..) Il faut le faire parce que les systèmes de recherche les plus performants du monde sont construits sur la force des universités et non pas sur leurs faiblesses. (..)
Alors, en contrepartie de cela il y aura la réforme. La réforme, cela va impliquer d’abord une chose très difficile qui est de redéfinir les missions des organismes. Déchargés du poids d’une partie de la gestion administrative et financière, bientôt confiée aux universités, déchargés de l’évaluation, confiée à l’Agence pour l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, les organismes devenus agences de moyens davantage qu’opérateurs, mettront en œuvre la politique scientifique qu’au nom des français, le Gouvernement et le Parlement leur auront confiée.
Les organismes pourront ainsi, en étroite concertation avec l’Agence Nationale de la Recherche, se consacrer pleinement à leur véritable mission, le pilotage des recherches menées dans les universités, qu’il s’agisse de la sélection, de l’animation ou de la coordination des meilleurs projets. A terme, les organismes ne devraient conserver en propre que les activités qui gagnent à être organisées et coordonnées au niveau national. Je pense aux grands moyens de calcul, aux grands équipements et aux grandes plateformes technologiques, mais aussi aux programmes qui requièrent un regroupement de nos forces et une coordination nationale, comme le font déjà certains instituts au sein des organismes de recherche, je pense notamment à ce que fait le CNRS. Toutes les autres activités ont vocation à se développer dans les laboratoires universitaires, dans un esprit de loyale et de fructueuse compétition.
Je souhaite que les responsables de nos organismes de recherche fassent rapidement connaître à Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche comment ils accompagneront nos meilleures universités vers leur autonomie et le développement de leurs missions de recherche.
»

A la suite de ce discours qui avait le mérite de la clarté, on pouvait s’attendre à une mise en œuvre progressive mais sans ambiguïté de la politique qui était ainsi tracée. Le moins qu’on puise dire est que cette mise en œuvre reste floue et s’entoure d’un luxe de circonlocutions qui s’explique notamment par les oppositions que cette réforme suscite chez les chercheurs et, plus largement, dans les unités mixtes de recherche du CNRS dont les directeurs n’ont pas tardé à se constituer en groupe de pression, face au désarroi perceptible de la direction de l’organisme. Il faut reconnaître que les débuts d’application de la LRU, avec les élections souvent chaotiques des conseils d’administration qui se sont déroulées depuis le mois de février, ont suscité quelques appréhensions sur le fonctionnement futur des universités et sur leur capacité à devenir rapidement des opérateurs de recherche à part entière.

UNE MISE EN ŒUVRE LABORIEUSE

Pour suivre le fil des instructions officielles, mentionnons d’abord la brève feuille de route que la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a donnée à la Présidente du CNRS le 27 février 2008[2]. S’agissant de l’organisation interne de l’organisme, le passage essentiel mérite d’être cité :

« Afin d’améliorer la lisibilité et la prévisibilité de l’action du CNRS, vous réfléchirez à l’opportunité de substituer aux départements scientifiques actuels une structuration en grands instituts nationaux de recherche, dans l’esprit de l’INSU ou de l’IN2P3, favorisant les coopérations entre les divers acteurs et constituant un ensemble réactif placé sous la responsabilité de la direction générale du CNRS. Cette nouvelle structuration de l’établissement devra permettre une coordination à l’échelle nationale de la politique scientifique menée dans les laboratoires financés par le CNRS et une mise en cohérence de leurs demandes de moyens.
Vous appuierez votre politique scientifique sur l’évaluation de l’ensemble des unités mixtes ou propres du CNRS par l’AERES. Ceci vous conduira à repenser les missions de vos instances d’évaluation et à les articuler avec celles de l’AERES et du Conseil National des Universités.»

Ces instructions assez laconiques sur les nouvelles structures du CNRS laissent un peu perplexe. Il n’est plus fait explicitement référence à « la redéfinition des missions de l’organisme » appelé à devenir « agence de moyens davantage qu’opérateur », et chargé du « pilotage des recherches menées dans les universités »[3]. On a le sentiment qu’il s’agit plutôt « d’améliorer l’action du CNRS » tel qu’il existe, sur des points tels que sa « lisibilité », sa « prévisibilité », sa « réactivité » et la « coordination à l’échelle nationale de sa politique scientifique ». Ces objectifs justifient-ils à eux seuls que l’on bouleverse la structure de l’organisme ? On peut se poser la question. Ceci d’autant plus que les exemples d’instituts qui sont cités ne sont pas très éclairants pour les secteurs qui ne gèrent pas de grands équipements ou des moyens lourds. Au minimum, les critiques implicites de l’action du CNRS mériteraient d’être explicitées afin que l’on puisse apprécier en quoi la substitution de ces futurs instituts aux départements scientifiques est susceptible de changer la donne.

Dans leur message du 17 mars 2008[4], la présidente et le directeur général du CNRS s’efforcent de donner un contenu à la feuille de route ministérielle. Ils se replacent clairement dans la perspective tracée par le président de la République dont ils rappellent les principes. Dans cette perspective, « les universités françaises sont appelées à jouer un rôle équivalent à celui des universités étrangères ». Le CNRS doit avoir « un rôle national de support à une recherche d’excellence, et contribuer notablement à la structuration en réseaux de la recherche au plan national ».

S’agissant de l’organisation interne du CNRS, le message explicite l’instruction ministérielle sur la création d’instituts, en reprenant les exemples de l’IN2P3 et de l’INSU qui ont « des fonctions conjuguées d’opérateur et d’agence de programmation, ainsi qu’une autonomie de fonctionnement supérieure à celles des départements scientifiques ». L’accent est mis sur « la gestion de programmes à l’échelle nationale et internationale ». Un autre exemple est donné : le département Environnement et Développement Durable (EDD) créé par le CNRS il y a 2 ans sur le modèle d’institut. Cet exemple est intéressant car « il est surtout une agence de moyens, en crédits et en postes, au profit de nombreux laboratoires gérés par d’autres départements. (..) C’est ce mode de fonctionnement, assurant la multi et interdisciplinarité sur le terrain qui pourrait être étendu aux autres disciplines à travers la création d’instituts. Nous n’envisageons pas, avec des instituts, de découpage disciplinaire fondamentalement différent de celui existant actuellement ».

La vision qui est proposée là a l’avantage de la cohérence, mais elle trouve cette cohérence dans le rôle d’agence de moyens de l’organisme, beaucoup plus que dans celui d’opérateur. On voit bien que tout devient beaucoup plus clair si l’on accepte la logique de basculement du CNRS de son rôle d’opérateur dans celui d’agence de moyens au profit de nombreux laboratoires universitaires.

Mais cette évolution, qui en tout état de cause ne pourrait être que très progressive, en accompagnement de l’autonomie des universités, rencontre l’opposition frontale d’une majorité de chercheurs et d’un grand nombre de directeurs d’unités mixtes.

UNE REORGANISATION CONTESTEE PAR LES ACTEURS

Cette opposition s’est manifestée publiquement dès le 4 mars 2008 avec l’organisation d’une réunion nationale des directeurs d’unités au Collège de France. Cette réunion élargie aux membres d’instances scientifiques, s’est accompagnée en parallèle d’une petite manifestation devant le ministère de la Recherche. Elle n’était pas exempte d’ambiguïté, car les participants n’avaient pas tous les mêmes objectifs. La direction du CNRS a préféré prendre la chose positivement, alors que le caractère « basiste » du mouvement la mettait de fait en porte-à-faux. Depuis lors, le « comité des directeurs d’unités » a adopté une démarche plus « élitiste » pour élaborer un long texte qui est actuellement proposé à la signature des directeurs d’unités et de fédérations de recherche[5].

Ce texte qui s’intitule « A propos de la réforme de la recherche » traite essentiellement du CNRS et très peu des universités. C’est l’un des travers des mouvements en cours qui sont principalement préoccupés de « limiter les dégâts » dans la réforme du CNRS, et assez peu sensibles à l’enjeu considérable que représente l’émergence de véritables universités en France. Nous y reviendrons plus loin.

Le texte des directeurs d’unités adopte « une démarche pragmatique qui ne rejette pas a priori les dispositions annoncées par les pouvoirs publics ». Il se démarque ainsi nettement de l’opposition plus politique de l’association SLR. Le texte contient nombre de réflexions et de propositions intéressantes sur l’autonomie du scientifique par rapport au politique, sur les contrats ANR, sur l’équilibre entre dotations de base des laboratoires et financements sur projet, sur les grandes écoles, sur la gestion des laboratoires, sur les carrières scientifiques… Cependant il se focalise sur les missions et l’organisation du CNRS, ne se contentant pas d’avancer des orientations mais proposant des modalités de fonctionnement extrêmement détaillées (se substituant ainsi quelque peu aux instances régulières de l’organisme…).

Sur le fond, on pourrait caricaturer la position des directeurs d’unités en disant que, pour eux, « il faut que tout change pour que tout reste comme avant » :

« Les organismes de recherche nationaux structurent la recherche française grâce à leurs réseaux de laboratoires. Leur dimension, leur richesse humaine et leur expérience scientifique leur permettent de penser la stratégie à court et long terme, de coordonner la distribution de moyens sur le territoire national, d’organiser des réseaux nationaux et internationaux. Ils sont à même de par leur étendue thématique de réagir rapidement aux thématiques émergentes et de favoriser la recherche aux interfaces des disciplines, la pluridisciplinarité. (..) Nous mettons en garde contre l’erreur qui consisterait à transformer les organismes, CNRS notamment, en agence de moyens privant la recherche française de ses piliers indispensables ».

Avec une vision aussi idyllique, on se demande bien pourquoi il faudrait réformer le système de recherche… Cette vision est d’ailleurs un peu contradictoire avec l’affirmation « qu’on ne rejette pas a priori les dispositions annoncées par les pouvoirs publics ».

LES DEUX TUTELLES

La vision prévalente est celle d’une « percolation entre le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui se réalise principalement grâce aux UMR » avec « une tutelle nationale EPST » et « une tutelle locale (université, grande école, voire PRES à terme) ».

Notons, en passant, que les UMR ne constituent que 45% des unités de recherche labellisées[6], et guère plus de 20% en SHS où l’on compte nombre d’excellentes unités non associées au CNRS. De plus on serait tenté d’affirmer, comme il est écrit dans le rapport d’Aubert[7] :

« La constitution d’UMR ne prend son sens que dans la mesure où chacun des partenaires, organismes et universités, apporte des moyens significatifs à l’unité. On ne peut pas parler d’UMR quand l’apport des partenaires se limite à un label et parfois à des moyens symboliques. »

La théorie des deux « tutelles » mérite d’être discutée dans ce contexte. Le vocable « tutelle » est d’ailleurs abondamment utilisé sans que son sens ne soit vraiment précisé. Acceptons la définition qui en est donnée dans le rapport d’Aubert :

« Par tutelle, il faut entendre « responsabilité scientifique », se traduisant notamment par le choix du directeur d’unité, la responsabilité de l’animation scientifique et la validation du programme scientifique de l’unité, notamment à l’occasion du contrat quadriennal ».

Il est clair alors qu’une dualité de « tutelles » ne se conçoit que dans un partenariat réellement équilibré[8], mais pas dans l’action de pilotage que le CNRS peut exercer sur la recherche universitaire par le support en hommes et en crédits qu’il apporte à la meilleure recherche. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire que la NSF, qui pourtant pilote la recherche américaine, a la « tutelle » des laboratoires de Harvard ou de Berkeley… Si nous insistons là-dessus, c’est que cette question conditionne l’organisation que l’on peut envisager pour le CNRS.

LES FAMEUX INSTITUTS

S’agissant des fameux instituts introduits dans la feuille de route ministérielle, leur nature et leur organisation restent extrêmement floues. De fait il est difficile de concevoir l’organisation d’un institut qui soit à la fois un opérateur de recherche et une agence de moyens, dans des secteurs où la gestion de grands équipements ne cimente pas la structure. Le texte des directeurs d’unités cherche à dépasser ce dilemme en proposant des instituts organisés suivant deux dimensions, disciplinaire (verticale) et interdisciplinaire (horizontale). On parle de « départements scientifiques rénovés dotés d’un capacité d’intervention stratégique » avec une organisation interne assez complexe (conseil scientifique et conseil stratégique) et une articulation assez lourde entre directions des instituts, direction du CNRS, comité national, partenaires externes… Disons le tout net, cette « usine à gaz » n’est pas très convaincante.

Le périmètre des instituts n’est pas évoqué. Certes le périmètre précis d’un institut mérite réflexion, mais on voit bien qu’il y a au départ un choix de formules, assez bien illustré par le débat qui s’est engagé dans la communauté des mathématiciens, à la demande du département MPPU [9]. Grosso modo, pour les mathématiques, on a le choix entre deux formules :

  • Un institut des mathématiques et de leurs interactions (avec toutes les sciences).

  • Un institut où les mathématiques sont regroupées avec d’autres sciences dures.

Dans le second cas, la question se pose de savoir avec quelles disciplines il faut regrouper les mathématiques. Elles l’ont été jusqu’ici avec la physique. Elles pourraient l’être avec l’informatique et les STIC (compte tenu de l’importance prises par les mathématiques discrètes, la logique, le traitement de l’image, la compression de données, la protection de l’information,…). Mais les interactions avec l’économie et la finance sont également importantes. Celles avec la biologie et les sciences sociales, moins avancées, sont en plein développement. Sans parler des contacts directs avec l’industrie, via le calcul scientifique et la modélisation. De fait aucun regroupement n’est satisfaisant. Ajoutons que les mathématiques ont toujours joui d’une grande autonomie dans leur département de rattachement. La coexistence de plusieurs disciplines dans un même département ou un même institut n’assure pas automatiquement l’essor de l’interdisciplinarité.

La première formule est a priori plus séduisante. Elle peut s’inspirer de l’exemple du département EDD mis en avant par la présidente du CNRS. L’action d’un tel institut se conçoit assez bien alors comme une action transversale aux laboratoires universitaires. Le CNRS continuant à promouvoir la qualité de base de ces laboratoires (normes de qualité, moyens humains et matériels), garantie que les actions interdisciplinaires qu’il animera puissent « s’y greffer sans problème »[10]. Cette formule s’inscrit naturellement dans une perspective stratégique où les universités deviennent opérateurs à part entière de leurs laboratoires, et où le CNRS exerce une action de pilotage de la recherche de type NSF.

La difficulté à imaginer les futurs instituts vient du rôle pluriel que le CNRS devra jouer dans l’immédiat, en attendant que les universités se soient positionnées au « centre du dispositif de recherche ». Il devra être à la fois opérateur et agence de moyens. Aujourd’hui, chaque communauté scientifique réfléchit à la façon de « perdre le moins de plumes possibles » dans l’aventure. La question semble être : « quelle serait la moins mauvaise solution pour nous? » plutôt que « quelle est notre vision d’avenir ? ». Beaucoup redoutent l’évolution qui tend à reporter sur les universités le rôle d’opérateur, compte tenu du caractère encore instable de leur nouvelle gouvernance. Et de fait, beaucoup déploient une stratégie défensive pour entraver au maximum cette évolution. Pourtant c’est elle qui donne tout son sens à la transformation organisationnelle envisagée pour le CNRS, et ce serait une erreur stratégique majeure de ne pas travailler à l’établissement entre nos universités et le CNRS, d’un équilibre comparable à celui qui existe entre les universités américaines et la NSF. On ne peut pas vivre éternellement avec un système qui rappelle (de loin) l’académie des sciences soviétique…

EN GUISE DE CONCLUSION

Au fond, pour schématiser, il y a deux attitudes : l’une qui consiste à parier sur l’enlisement de la réforme universitaire et à freiner des quatre fers pour ralentir toute évolution ; l’autre qui consiste à se mobiliser pour assurer à terme le succès de l’autonomie des universités, en acceptant ses conséquences sur le CNRS, tout en ménageant les indispensables transitions. Sans doute conviendrait-il de faire des choix plus clairs et plus audacieux en ce sens.

 


[1] Discours du président de la République lors de la cérémonie en l’honneur du prix Nobel Albert Fert (28 janvier 2008)
[2] Lettre de mission de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à la présidente du CNRS (27 février 2008).
[3] Discours du président de la république (28 janvier 2008)
[4] Message de la présidente et du directeur général du CNRS (17 mars 2008).
[5] « A propos de la réforme de la recherche ». Texte de synthèse rédigé par un groupe composé de la délégation de directeurs d’unités.
[6] Les UMR rassemblent cependant une légère majorité des enseignants chercheurs répertoriés dans des unités labellisés.
[7] « Vers un partenariat renouvelé entre organismes de recherche, universités et grandes écoles ». Rapport remis par François d’Aubert à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
[8] Certains membres de la commission d’Aubert ont d’ailleurs proposé de remplacer « tutelles de l’unité » par « établissements fondateurs ». C’est une idée intéressante.
[9] “Les mathématiques au CNRS” par Jean-Marc Gambaudo et François Blanchard (MPPU). Ce texte répond à une demande de la direction du département MPPU de réfléchir à la création possible d’un « Institut de Mathématiques du CNRS ».
[10] Ibid.