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Parcoursup et les inégalités

 

Nous voici au début d’une nouvelle année universitaire qui verra la concrétisation d’une réforme des universités en gestation depuis un an. Bien malin qui peut dire ce qu’il en sera un an après. Les modalités de la réforme « Parcoursup » restent assez floues. Cette opacité va de pair avec les inégalités de notre système d’enseignement supérieur.

 

On réaffirme le droit pour tout bachelier d’accéder à l’enseignement supérieur. Mais il n’y a pas d’algorithme universel d’affectation, avec un secteur sélectif enkysté hors de l’université. Pourtant, par rapport aux USA, on a une unité formelle des institutions. Mais comment concilier cette unicité avec la pluralité des politiques et des statuts qui se dessine aujourd’hui ? La réforme repose sur des vagues de proposition faites aux candidats à l’enseignement supérieur. 

 

On va reporter d’au moins un an l’élaboration d’un système d’inscription plus acceptable. On complique le processus, ce qui ne va pas vers plus d’égalité, mais traduit la hiérarchie sociale des différentes filières. On légitime une sélection selon des pratiques assez discutables. On transpose dans l’enseignement supérieur les travers de la concurrence entre lycées.

 Cette politique s’inscrit dans le programme électoral tel qu’il a été présenté par Emmanuel Macron pendant les élections[1] :« Les universités définiront librement leur politique de recrutement des étudiants et leurs spécialités » (..) « Elles jouiront d’une autonomie pédagogique qui leur permettra de déployer librement leur offre de formation, à condition d’offrir une palette suffisamment large de filières et d’orientations ».

 

Dans une note confidentielle adressée à l’Elysée le 4 juin 2018, trois économistes qui ont inspiré le programme d’Emmanuel Macron affirment[2] :« Faute d’un accroissement de la dotation de l’enseignement supérieur, Parcoursup est une pure gestion de la pénurie en période d’afflux démographique ». Dans Le Monde du 5 juin 2018, le sociologue Pierre Merle, spécialiste des politiques éducatives, intitule un article : « Parcoursup, un retour en arrière de deux siècles ». Il souligne que parmi les candidats encore en attente, « les bacheliers des filières technologiques et professionnelles sont sur-représentés ». (..) « Sans le savoir, des candidats ont formulé des demandes d’affectation dans des filières où leur chance était quasi-nulle ». (..) « Pour sélectionner des candidats, inférer du classement des établissements des différences de compétences entre les élèves est statistiquement aberrant ». 

 

En Ile de France, le nouveau système hiérarchise les universités et favorise les bacheliers parisiens. Les élèves de banlieue n’ont pas les mêmes chances que les autres. C’est ce que dit, par exemple, le directeur de l’UFR de Chimie de l’université Paris-Diderot. Alors que les 2/3 des élèves de terminale d’Ile de France avaient reçu une proposition, 63% d’une classe de terminale de Stains n’en avaient reçu aucune et c’était le cas pour 71% d’un lycée professionnel en Seine Saint-Denis. On assiste à la transposition dans l’enseignement supérieur des travers de la concurrence entre lycées.

 

L’augmentation des effectifs en 2018 et 2019 sera importante. Et plus les filières sont sélectives, plus la fermeture sociale sera forte. On peut douter qu’une procédure décentralisée soit la mieux adaptée pour gérer un problème d’affectation rendu aussi complexe par le volume d’élèves impliqués. Il faudrait utiliser les données accumulées les années précédentes (vœux des candidats, priorités des établissements, places disponibles).

 

Ce que dit la ministre Frédérique Vidal [3]ne nous donne qu’un cadre quantitatif général : 

40% des étudiants obtiennent leur licence en 3 ou 4 ans. 810.000 se sont inscrits sur Parcoursup. Les filières sélectives concentrent 68% des vœux. On propose 19.000 places de plus dans les filières les plus attractives. Il y aura 26% d’étudiants de plus pour l’entrée en IUT, et 15,5% en BTS. 19.000 places sont réservées aux boursiers… 

On réaffirme le droit de tout bachelier d’accéder à l’enseignement supérieur. Le bac est le seul passeport formel. Mais tout se joue dans les procédures. 

 

La réforme Parcoursup est menée trop vite. En Ile de France ce système est désormais bloqué. La vraie question reste : comment mettre fin à ce taux d’échec de 60% en première année d’université ? Pour les étudiants pas trop éloignés du niveau requis, on peut envisager un tutorat avec quelques cours pour rattraper leur retard. Pour les étudiants plus en difficulté on se dirige vers des cursus de licence en 4 ans. Si certaines universités ont préféré ne pas proposer cette nouvelle option, pour des raisons de moyens, d’autres plus nombreuses s’y sont lancées avec une partie de leurs licences. Les universités proposeront différentes formules.

 

Dans un colloque intitulé « Quel enseignement supérieur pour la France en 2020 » Sybille Reichert (chancelière de l’université Friedrich Alexander d’Erlangen Nuremberg) déclarait : « En France, on a une tension entre l’idée de l’excellence, de l’élite, et l’idée de l’éducation universelle et de l’égalité des chances. On voit peu de passerelles entre le système général et la formation des élites ».[4]

Le système français a ce paradoxe de prétendre à l’unité et de présenter une séparation nette entre l’élitisme et la formation pour la masse.

 

Dans Le Monde du 19.10.2018 on peut lire :

Une note du ministère prend en compte les vœux d’étude de 562.000 candidats admis au bac et ayant formulé au moins un vœu sur la plateforme. 58% des candidats avaient reçu au moins une proposition d’admission : 71% des bacheliers de la filière générale, 50% de la filière technologique, 45% de la filière professionnelle, ont reçu une réponse dès le premier jour sur Parcoursup. A la fin de la procédure, 94,4% avaient reçu une proposition et 79% des candidats ont accepté cette proposition tandis que 15,5% ont préféré démissionner alors qu’ils avaient reçu une proposition positive.

Sur Parcoursup les candidats n’étaient pas invités à hiérarchiser leurs vœux. Il est difficile de savoir si la proposition reçue correspondait à celle qu’ils préféraient.

La licence universitaire représente 41% des propositions acceptées. Plus de 11% des autres propositions acceptées portent sur les DUT, 23% en BTS et 8% en classes préparatoires. Des moyennes proches de celles de 2017.

 

Année test pour les remises à niveau à l’université :

Quelque 145.000 propositions de parcours d’accompagnement ont été envoyées aux étudiants sur Parcoursup. Si certaines universités ont préféré ne pas proposer cette nouvelle option, plus de la moitié des universités ont développé des parcours « oui si ». La ministre Frédérique Vidal a fait état de 650 initiatives d’accompagnement. A Nanterre, derrière les 25.000 propositions « oui si » émises sur Parcoursup, 1600 étudiants se sont inscrits, soit un quart de la promotion de première année (ailleurs, le plus souvent, ils représentent moins de 10% des effectifs). L’ajout de cours de méthodologie constitue le cœur des dispositifs mis en place.

Le premier bilan de Parcoursup reflète des disparités selon les filières des candidats et les universités. Finalement 79% des bacheliers ont accepté une proposition d’admission. 68% des répondants sont satisfaits de leur choix final et 27% ont accepté un vœu par dépit.

 

En conclusion : La situation est assez embrouillée, à la fois dans les principes et dans la mise en œuvre de la réforme. Nous regarderons avec intérêt ses péripéties dans la variété des situations que nous avons évoquées. Sans perdre de vue les questions d’inégalités…