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Parcoursup : incertitudes et perspectives

 

Dans une note confidentielle adressée le 4 juin à l’Elysée par les trois économistes qui ont inspiré le programme d’Emmanuel Macron[1], on peut lire :

 « Faute d’un nécessaire accroissement de la dotation budgétaire de l’enseignement supérieur et de la recherche, le risque est aujourd’hui que Parcoursup soit perçu comme une pure gestion de la pénurie en période d’afflux démographique ».

Dans un texte publié par Terra Nova, intitulé « Le choc démographique dans l’enseignement supérieur » cette évolution est bien mise en évidence. On attend une augmentation supérieure à 30.000 étudiants en 2018 puis encore en 2019. Si on prend pour base la situation actuelle, pour les seuls effectifs de licence il y aurait une augmentation d’étudiants de première année de 12% l’an prochain.

Comme le notait récemment Thomas Piketty[2], on a eu une diminution de 5 à 6 milliards par an de « l’impôt sur la fortune », ce qui représente près de la moitié du budget de l’enseignement supérieur. Et comme, parallèlement, il y a eu une augmentation de 20% du nombre d’étudiants, le budget par étudiant a baissé de 10% ! D’un côté on a des filières sélectives bien dotées (classes préparatoires et grandes écoles) et de l’autre des universités dans lesquelles il faudrait investir massivement.

 

C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier les controverses relatives à Parcoursup. Il a été annoncé à de multiples reprises que le code source de Parcoursup serait entièrement rendu public. Pour l’instant on est en pleine opacité. On a un système de sélection prétendument universel (à la française) dont les critères et l’application dépendent beaucoup des situations locales. On assiste à la transposition dans l’enseignement supérieur des travers de la concurrence entre lycées. Il est impossible de réaliser une évaluation nationale au travers d’évaluations locales dont les conditions varient beaucoup d’un établissement à l’autre, d’une région à l’autre.  De plus, ce système soi-disant concurrentiel est régulé géographiquement par l’autorité rectorale. Ainsi, par exemple, l’affectation d’étudiants dans l’UFR de Chimie de l’université Paris-Diderot est limitée par l’autorité rectorale à 3% de bacheliers de la périphérie parisienne, alors qu’ils étaient 40% l’an dernier[3] !

 

On voit se dessiner une différence fondamentale de situation entre les premiers cycles « à capacité d’accueil limitée » qui sont sélectifs, et les formations non-sélectives dont les universités gouvernent l’accès en édictant des règles (oui, oui si,…) que chaque établissement définira à sa manière. Il est, bien sûr, trop tôt pour en tirer des enseignements. Mais, sachant que 40% des étudiants de premier cycle terminaient en échec dans les circuits classiques, on peut se demander comment cette histoire finira. Il est d’ailleurs assez étonnant de ne pas voir davantage de manifestations de rébellion parmi les étudiants ou futurs étudiants. Il est vrai que le pouvoir politique joue « la montre ».

Deux grands types de parcours se dessinent : aux étudiants pas trop éloignés du niveau requis, les universités proposeront un tutorat pour rattraper leur retard ; pour les élèves les plus en difficulté, on se dirigera vers des cursus en quatre ans (qui ont la faveur de nombreux établissements).[4]

 

Par ailleurs on a une grande différence de situations entre les filières sélectives et les autres dont le recrutement est passablement aléatoire. On prétend traiter tous les cas dans un système qui se veut jacobin, alors que la différenciation des établissements continue de progresser. C’est un paradoxe typiquement français que le nouveau système favorise.

 

Il est intéressant de se référer aux déclarations d’Emmanuel Macron pendant la campagne électorale[5]. Le projet était d’aller vers la création de nouvelles universités pleinement autonomes définissant librement leur politique de recrutement (sans recourir au CNU) et leurs spécialités, avec une grande souplesse dans l’organisation et la composition des instances dirigeantes. On allait surmonter la distinction entre grandes écoles et universités comme le formulait de son côté Thierry Coulhon : « Surmonter l’archaïque opposition entre grandes écoles et universités à la française (..) et construire à partir d’elles ce que dans le monde entier on appelle des universités »[6].La création de ces nouvelles universités devait constituer un des axes prioritaires de la politique de réforme de l’Etat. L’échec du rassemblement des établissements de Paris-Sud dans une même université a montré que ce n’était pas si simple. Il reste des objectifs affichés comme la revalorisation de la formation professionnelle, l’augmentation de l’offre de filières courtes professionnalisantes et de la formation tout au long de la vie… La question est de savoir comment tous ces objectifs vont se décliner dans la perspective de Parcoursup.

Par rapport aux USA, par exemple, on a une unicité formelle des institutions. Mais comment concilier cette unicité avec la pluralité des politiques et des statuts qui se dessinent aujourd’hui ?

 

Il est clair que les élèves de banlieue n’ont pas les mêmes chances que les autres. Avant le bac, les deux-tiers environ des élèves de terminale ont reçu une proposition d’admission dans le supérieur. Mais les deux-tiers d’une classe terminale du lycée Paul Eluard de Saint-Denis, ou du lycée de Stains, n’avaient reçu aucune proposition ! Les chiffres affluent de différentes sources mais aucun tableau général objectif ne peut être présenté, même si les tendances sont claires. 

 

Le dispositif aboutira à l’instauration d’universités à bonne réputation et d’autres à la réputation plus discutable. C’est la transposition dans l’enseignement supérieur des travers de la concurrence entre lycées, au delà d’une sectorisation de plus en plus formelle. Pour un même premier cycle universitaire on peut observer des « attendus » exagérément différents d’une université à l’autre. On va vers un classement des universités selon leur réputation, au delà de Parcoursup.

 

Quels sont les scenarios possibles ?

L’arbitraire de ce système est considérable. Il sera biaisé socialement.

Pour l’instant l’évolution qui se dessine est difficile à évaluer. Il y a encore trop d’indéterminations. Le tableau sera plus clair à la rentrée. Mais, au delà, ce qui sera plus déterminant c’est l’évolution des taux d’échec à la fin de la première année, et le sort qui sera fait aux gagnants et aux perdants du premier cycle.

 


[1]Voir Le Monde du 10 et 11 juin 2018

[2]On peut se référer à l’émission de télévision « On n’est pas couchés » du 28 avril dernier à laquelle il était invité.

[4]On pourra lire avec intérêt un texte de Bruno Magliulo intitulé« Le ciel s’assombrit au dessus de la plateforme Parcoursup »