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Pres et Idex : Farces et attrapes

La restructuration des universités d’Ile de France au sein de plusieurs pôles d’enseignement supérieur et de recherche (PRES), s’avérait dès le départ comme une opération délicate, beaucoup plus délicate que pour les universités de province qui ont une inscription territoriale incontestable et sont le plus souvent complémentaires sur un même site. Et comment opérer ces regroupements dans le respect de l’autonomie nouvelle des universités ? Le pouvoir politique a cru pouvoir s’en tirer en installant des mécanismes incitatifs, qu’ils s’appellent « Plan Campus » ou « Initiatives d’excellence ». Ces dispositifs ont hérité de toutes les tares de la planification bureaucratique où les modus operandi prennent le pas sur les raisons de fond. C’est en évaluant les chances d’avoir de l’argent en commun que les acteurs se sont rapprochés et ont élaboré des projets collaboratifs avec, bien souvent, l’aide de cabinets de conseil en stratégie. S’intégrer dans des groupes gagnants, s’adapter aux cahiers des charges, ont tenu lieu d’orientation. Le phénomène s’est encore aggravé avec les Initiatives d’excellence (IDEX) dans le cadre des Investissements d’avenir (« Grand emprunt »). Les procédures d’évaluation mises en place ont accentué ces travers jusqu’à ce que l’affaire tourne aujourd’hui à la farce, poussant les acteurs à des « péchés contre l’esprit ». Nous allons en donner des exemples à partir de quelques lectures édifiantes, le but n’étant pas de se payer la tête de quelques malheureux collègues, mais de montrer le niveau d’absurdité auquel nous sommes parvenus…

Ainsi, dans une lettre que Sylvie Faucheux, présidente de l’Université de Versailles Saint-Quentin (UVSQ) adresse à ses administrés à l’occasion de la rentrée universitaire, elle les informe de la constitution en cours d’un PRES « Paris Grand-Ouest » avec l’université de Cergy-Pontoise, plus diverses écoles d’architecture, de paysage et d’arts, des écoles d’ingénieurs… Le lecteur qui n’a pas tout suivi ces derniers temps peut être surpris car l’UVSQ était membre fondateur du PRES UniverSud Paris avec l’université Paris Sud. Mais Mme la présidente nous précise que « le PRES UniverSud Paris s’efface pour laisser la place à l’ensemble plus vaste de « l’Université Paris-Saclay » qu’il a largement permis de construire ». Voilà un PRES qui n’aura pas duré longtemps ! Quand à cette « Université Paris-Saclay », il ne faut pas se laisser abuser par le sigle : ce n’est pas une université mais un projet d’IDEX « dont l’UVSQ est la deuxième force scientifique devant des grandes écoles et organismes aussi prestigieux que la CNRS, le CEA, l’INRIA, l’Ecole Polytechnique, Centrale, l’ENS de Cachan… ». Diable ! Mais alors que va faire l’UVSQ à Cergy ? Mme la présidente nous dit que « force est de constater qu’aujourd’hui, seule une partie de nos compétences sont concernées par le périmètre d’excellence retenu par le projet d’IDEX « Université Paris-Saclay » ». On imagine que chacun des partenaires de l’IDEX pourrait en dire autant. Mais, ajoute-t-elle, « il me paraît également important que notre assise territoriale soit renforcée. Ce sont ces raisons qui m’ont amenée à réfléchir à un rapprochement avec l’université de Cergy-Pontoise ». (Ca me rappelle le farfelu qui proposait de prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer…). D’où le projet de PRES avec Cergy. Mais « il ne s’agit pas de choisir entre « l’Université Paris-Saclay » dont nous sommes résolument membres fondateurs, et la création du PRES « Université Paris Grand-Ouest ». Les deux sont non seulement possibles, mais surtout indispensables pour l’avenir de notre université ». Restons-en là ! L’argumentation est assez « abracadabrantesque ». On peut se demander pourquoi une université pluridisciplinaire de taille moyenne qui vient d’ailleurs d’entrer en 2010 dans l’élite des 500 premiers établissements du classement de Shanghai, se contorsionne dans ces PRES improbables. De mauvaises langues murmurent que Sylvie Faucheux qui n’est pas rééligible pour un nouveau mandat à la tête de l’UVSQ, aimerait bien devenir présidente du PRES « Paris Grand-Ouest ». Voilà au moins une bonne raison !

Passons au PRES « Sorbonne Paris-Cité » (SPC) qui regroupe notamment les universités Paris 3, Paris 5, Paris7, Paris 13 et Sciences Po. Dans une récente interview Axel Kahn, président de Paris 5, explique : « L’idée de départ était que notre université, la plus reconnue dans le domaine médical tant par le classement de Shanghai[1] que par les résultats à l’examen classant national de ses étudiants, se rapproche d’une université de sciences reconnue pour former une grande université pluridisciplinaire ». Puis il y a eu le plan Campus qui a conduit à des rapprochements de circonstance moins évidents, comme avec Sciences Po qui est devenu, de fait, leader du projet « Sorbonne Paris-Cité ». Axel Kahn fait silence sur les autres partenaires, comme Paris 3 ou Paris 13 qui, visiblement, comptent pour du beurre. Ce PRES est un mastodonte de 120.000 étudiants et de plus de 5.000 enseignants chercheurs ou chercheurs, dont on imagine mal la gouvernance dans le respect des traditions de la « démocratie universitaire » (les assemblées générales pourront toujours se faire au Stade de France !). Cependant le projet d’IDEX déposé lors du premier appel à projet, a été retoqué car « le principe moteur des initiatives d’excellence est la transformation de l’ensemble des structures associées en un établissement unique ». Qu’à cela ne tienne ! Le nouveau projet d’IDEX consistera dans la création d’une “université unifiée ” dans laquelle se fondra le PRES. Le mastodonte deviendrait cette « université unifiée » à partir de 2016. Ainsi, nous dit Axel Kahn, « nous arriverions à la 43ème place du classement de Shanghai ». Ah, si « Sorbonne Paris-Cité » avait 240.000 étudiants, elle talonnerait certainement Harvard !

Mais c’est quoi une université unifiée ? Dans une lettre aux membres de son CA, Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris 13, les rassure. « Université unifiée ne veut pas dire fusion : il n’est pas question de se fondre dans un ensemble sans âme de 120.000 étudiants. Au contraire, l’esprit de coopération et respect mutuel qui a animé notre association continuera d’exister et de prospérer ». Là ça devient subtil ! On nous explique : Unifiée veut dire que « tout étudiant du PRES aura accès à l’ensemble de la carte de formations de l’université unifiée et aura, en cas de succès, un diplôme au nom de SPC, ce qui lui donnera une exceptionnelle lisibilité, tant auprès des employeurs qu’au niveau international ». Unifiée signifie aussi que « nous rechercherons toutes les synergies possibles entre nos forces de recherche et que nous comblerons les manques que nous aurons identifiés ». Ah, si ce n’est que ça l’unification, le mot est un peu galvaudé ! Le lecteur y perd son latin. Mais voici une formule qui devrait l’aider à comprendre : « Le projet d’université unifiée se place d’emblée dans une dialectique féconde entre un pilotage confédéral et la préservation des libertés académiques qui laisse toute sa place à l’initiative individuelle ou collective ». Cette théologie devrait plaire aux cardinaux qui distribuent l’argent des initiatives d’excellence.

L’appel à projets IDEX des investissements d’avenir, doté de 7,7 Mds €, se propose de faire émerger en France 5 à 10 pôles pluridisciplinaires d’excellence d’enseignement supérieur et de recherche de rang mondial. Le texte de l’appel à projets ne définit pas, à proprement parler, la structure des pôles et la forme de leur gouvernance.  Mais le jury international[2] réuni pour évaluer les projets parle de « leur capacité à atteindre les objectifs fixés par l’appel à projets et à devenir, chacun, au cours des 10 prochaines années une institution universitaire unifiée de rang mondial »[3]. Suivez mon regard jusqu’à Shanghai ! Si vous ne me suivez pas, sachez que le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) a invité, en juillet dernier, l’équipe de l’université Jiao Tong qui a initié et pilote le classement de Shanghai, pour lui faire visiter 4 PRES prétendument fusionnels qui pourraient espérer compter chacun pour une seule université dans le classement de Shanghai. En particulier le PRES (sic) « Paris Sciences et Lettres » (PSL).

Tout le monde a eu les yeux braqués sur PSL, seul PRES parisien gagnant du premier tirage du super loto des IDEX. PSL est une fondation de coopération scientifique regroupant 5 membres fondateurs : Ecole Normale Supérieure (ENS), Collège de France, Ecole Supérieure de Physique et Chimie Industrielle (ESPCI) et Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Paris (ENSCP). Ces deux derniers établissements font d’ailleurs déjà partie du pseudo-PRES « Paris Tech » et l’ENSCP est un établissement rattaché à Paris 6 ! Mais quoi ! Abondance de biens ne nuit jamais ! Le problème, c’est que ces établissements réputés n’existent guère comme universités (et encore moins comme une seule université), mais vivent plutôt en symbiose avec les universités scientifiques parisiennes. D’où la difficulté de décompter les vrais étudiants inscrits dans leurs cursus (guère plus de 2.000) ou leurs thésards (pas plus d’un millier de doctorants hébergés dans ces établissements qui ne délivrent pas la thèse). On ne doute pas que les partenaires de ce PRES nain aient entre eux de multiples et excellentes collaborations, comme d’ailleurs avec les universités voisines[4] mais lorsqu’on nous dit que « l’ambition de la fondation est de constituer un campus unifié » on doute que cela aille bien plus loin que les relations de proximité actuelles. C’est encore plus vrai de l’IDEX qui élargit le PRES à 11 partenaires supplémentaires allant de l’Université Paris-Dauphine au Conservatoire national d’art dramatique, en passant par l’Ecole des beaux arts. D’ailleurs les partenaires prennent soin de distinguer le PRES PSL de l’IDEX PSL* qui est l’entité qui a gagné le gros lot du « Grand emprunt », et dont la « gouvernance resserrée » est une sacrée usine à gaz. Quand à croire que l’ensemble des structures associées va se transformer en un « établissement universitaire unifié » il faudrait être d’une grande naïveté. C’est pourtant ce qui est affirmé dans l’annonce des résultats des IDEX sur le portail du gouvernement. Dans ce contexte il est cocasse d’entendre Mme Canto-Sperber, directrice de l’ENS, déclarer avec sa superbe coutumière dans la video de présentation de la fondation PSL : « Il n’y a aucune raison que l’ENS appartienne à un groupement universitaire particulier » et « Nous ne savons pas ce que c’est qu’un PRES ». Quand au Collège de France, il faudrait peut-être se souvenir qu’il ne délivre pas de diplômes et qu’il avait été créé jadis pour échapper aux sorbonnards !

A l’occasion de la visite de la délégation chinoise, le MESR a commandé une simulation qui prend en compte, non pas les universités ou les écoles isolées, mais les PRES[5]. Ainsi le campus Plateau de Saclay (dans sa partie enseignement supérieur) atteindrait la 19ème place, l’IDEX PSL* la 30ème, le PRES « Sorbonne universités » (Paris2, Paris 4, Paris 6…) la 33ème et, comme nous l’avons déjà mentionné, le PRES SPC la 43ème… Mais les chinois (têtus comme des mules) en restent à leurs critères où un établissement n’est pris en compte que s’il existe en tant que tel au plan juridique, en termes de gouvernance et de politique scientifique. (Un participant à la visite de la délégation me confie qu’ils se sont fait engueuler par la noblesse de PSL pour leur étroitesse d’esprit à leur encontre…). On souhaite bien du plaisir aux collègues de Jiao Tong à décider par eux-mêmes s’ils doivent considérer PSL ou PSL*, s’il est raisonnable d’ajouter Paris Sud à Polytechnique dans le campus de Saclay, s’il faut étendre ce campus jusqu’à Cergy pour des raisons de connexité via l’UVSQ, etc. Il était infiniment plus facile, autrefois, de déterminer le sexe des anges !

La politique de distribution de crédits incitatifs importants dans le cadre du « Grand Emprunt » a rendu folles les équipes dirigeantes des universités. Gagner un milliard d’euros ! L’occasion est trop belle ! Même si seuls les intérêts annuels, d’un montant de 40 millions, sont utilisables ; c’est quand même le budget d’une université moyenne. Les délais de réponse à l’appel d’offres sont courts et le cahier des charges contraignant. Les dossiers sont élaborés en tout petit comité, de façon peu démocratique. Tel président s’en excuse auprès de ses collègues mais les supplie d’accepter car, sinon, « ce sont les autres qui auront l’argent ». Pas étonnant que les résultats soient un peu une loterie, qu’il s’agisse d’IDEX, de LABEX, ou d’EQUIPEX !

Des querelles de chiffonniers éclatent. Dans un communiqué publié le 15 août 2011, Jean-Charles Pomerol, président de l’université Pierre et Marie Curie (UPMC), dénonce « les efforts du ministère qui, aux frais du contribuable français, a reçu en grandes pompes l’équipe de Jiao Tong en espérant leur faire prendre PSL pour une université. C’est tout de même choquant de constater que les étudiants les plus subventionnés de France, de l’ordre de sept fois plus que les étudiants de l’UPMC utilisent en plus, avec la complicité du ministère, l’argent du contribuable pour essayer d’évincer les universités de la tête du classement ». Il rappelle que «lorsque le jeune médaillé Fields Ngo Bau Chô est arrivé en France, il est bienheureux qu’une université, l’UPMC, l’ait inscrit et lui ait donné ses premiers cours, car il n’avait pas passé de concours [de l’ENS] ». C’est un point qui chagrine d’autant plus le président Pomerol que, par l’effet de cette médaille Fields, l’UPMC a dû céder à Paris Sud la première place des universités françaises dans le classement de Shanghaï. En effet Ngo Bau Chô était en poste à Orsay quand il a reçu sa distinction. J’ai été déçu que Axel Kahn n’ait pas réagi, lui-aussi, pour signaler que Ngo Bau Chô avait passé 7 ans comme chercheur à Paris 13 (une université du PRES SPC) où il avait obtenu son habilitation et réalisé l’essentiel des travaux qui lui ont valu la médaille Fields ! Pour revenir à l’UPMC, on peut comprendre l’énervement de son président quand il voit PSL retenu par le jury des IDEX alors que le projet du PRES « Sorbonne Universités » est retoqué. En effet, on peut faire beaucoup de remarques sur ce PRES qui n’est qu’une confédération assez lâche de Paris 2, Paris 4 et Paris 6, mais au moins ce projet n’est-il pas une entourloupe de premier ordre comme peut l’être PSL ou PSL*.

Si vous m’avez suivi tandis que je brossais ce panorama, et si vous êtes un observateur indépendant, vous ne pouvez pas ne pas être catastrophé par ce paysage de ruines intellectuelles. Je parlais plus haut de « pêché contre l’esprit » devant tant d’incohérences, d’à-peu-près et de faux-semblants. Si le pouvoir politique change de mains au printemps prochain, il faudrait y mettre bon ordre, mais comment ? Il sera bien compliqué de revenir purement et simplement sur les engagements pris au titre des initiatives d’excellence. Mais il ne sera pas interdit d’y réintroduire un peu de rigueur intellectuelle. La réflexion est ouverte.

 


[1] Paris 5 est 151ème au classement de l’Academic Ranking of World Universities (ARWU). Elle est la première université française dans le classement thématique « médecine et pharmacie » de l’ARWU (51ème rang mondial).

[2] Il faut dire quand même que l’homme fort de ce « jury international » est Philippe Gillet, ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse, aujourd’hui à l’Ecole Polytechnique de Lausanne, et (quelle coïncidence !) le président du jury est lui-même professeur dans ce même établissement…

[3] Voir par exemple http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid56778/trois-premieres-initiatives-d-excellence-selectionnees.html#jury

[4] L’ENS et l’Université Paris 6 ont par exemple 16 laboratoires communs.

[5] http://www.educpros.fr/detail-article/h/5e5732e48a/a/la-logique-du-classement-de-shanghai-decryptee.html