Depuis plus de 20 ans, la Grande-Bretagne avait mis en oeuvre un système d’évaluation systématique et centralisé de la recherche universitaire, le Research Assessment Exercise (RAE). Il ne s’agissait pas d’une agence comme aujourd’hui l’AERES en France, mais de l’organisation tous les quatre à six ans d’une grande campagne d’évaluation de tous les départements de recherche des universités. Le RAE était mis en place, de façon très « professionnelle », par les financeurs publics (funding bodies)[1] dont les crédits de recherche aux universités étaient ensuite calculés sur la base des résultats du RAE. Ces résultats servaient aussi aux universités à déterminer leur politique. L’évaluation était faite de façon classique et indépendante par des comités d’experts sur le mode de la peer review[2]. Mais cet exercice s’avérait extrêmement lourd, aussi bien pour ceux qui le faisaient que pour les universités qui le subissaient, avec des conséquences limitées en matière de financement de la recherche. En décembre 2006, le Department of education and skills a annoncé le remplacement du RAE par le Research Excellence Framework (REF) dans lequel l’évaluation devait se faire essentiellement sur des indicateurs bibliométriques et des indicateurs de ressources contractuelles (volume des contrats publics et privés obtenus par un département). La motivation était d’alléger au maximum l’exercice d’évaluation et de le rendre plus ou moins automatique. Ce fut un véritable coup de tonnerre, comme on peut l’imaginer, ceci d’autant plus que ces nouvelles procédures introduisaient une nette coupure entre les sciences dures et les sciences humaines et sociales pour lesquelles un traitement particulier devait être envisagé.
De fait, le RAE 2008 aura été le dernier du genre, et d’ores et déjà la décision a été prise d’avoir le premier REF en 2013. Mais les britanniques se sont donnés le temps de la réflexion sur ce que seraient exactement le contenu et les procédures du REF. En 2007 une première consultation avait eu lieu sur les propositions initiales, et depuis lors on a eu de nombreuses prises de position critiques, des débats, des colloques, des études impliquant des universités pilotes[3]. Tous les échanges entre le gouvernement et les acteurs n’ont pas été de pure forme (comme c’est bien souvent le cas chez nous…) car, le 23 septembre 2009, de nouvelles propositions ont été faites qui, sur certains points, représentent un virage à 180 degrés par rapport aux propositions initiales. Elles tirent les enseignements du RAE 2008 et surtout prennent en compte les réticences des universitaires à l’égard des indicateurs bibliométriques[4]. Mais, par ailleurs, l’accent est mis, encore plus que par le passé, sur l’évaluation de l’impact économique et sociétal de la recherche, ce qui introduit d’autres controverses. Une seconde consultation aura lieu d’ici la fin de l’année sur ces nouvelles propositions.
Dans les débats qui mobilisent les milieux de recherche britanniques, on reconnaîtra bien des sujets qui agitent nos universités et dont on a eu des témoignages lors du récent conflit. C’est une raison de s’y intéresser. Une raison supplémentaire d’observer la Grande-Bretagne, c’est que son contexte institutionnel, bien qu’historiquement éloigné du nôtre, présente un aspect très instructif pour nous. En effet, la Grande-Bretagne présente ce double aspect d’avoir des universités traditionnellement très autonomes, en même temps qu’un pilotage gouvernemental très marqué. Le fonctionnement de ce système repose sur la concertation et le débat, aux antipodes de la situation française marquée par la volonté du pouvoir politique d’imposer ses décisions et, symétriquement, l’opposition des universitaires crispés sur des positions défensives.