Excellence est un mot qu’on entend souvent aujourd’hui à propos des universités et de la recherche, ce qui n’aurait rien d’anormal si l’excellence n’était pas si étroitement subordonnée à l’idée de classement. Il faut être les mieux classés ! L’objectif du Conseil Européen de Lisbonne était de faire de l’Union Européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Et la conclusion qu’on en a tirée, c’est qu’il nous faudrait pour cela un petit nombre « d’universités d’excellence » (world class universities). L’excellence impliquerait donc une politique de concentration des meilleurs et de séparation des « moins bien classés ».
APRES LE “PAQUET FISCAL”, LE “PAQUET UNIVERSITAIRE”
L’idée centrale est qu’il faut réserver l’argent à un petit nombre de pôles et de projets. Le corollaire en est qu’on va instituer une stricte hiérarchie entre les universités dont la plupart vont se retrouver déclassées a priori. Sans doute a-t-on raison de dénoncer le saupoudrage des crédits. Mais le saupoudrage est souvent une conséquence de l’insuffisance globale de financement lorsqu’on ne veut rien sacrifier. Et la question est bien de savoir s’il est rationnel et juste de sacrifier tout ce qui n’est pas « classé dans l’excellence ».
UNE POLITIQUE CONTESTABLE
Tout d’abord, cette politique est contestable d’un simple point de vue économique. On peut citer, en contrepoint, le lancement par Barak Obama, en juillet 2009, d’un plan ambitieux de 12 milliards de dollars sur 10 ans, en faveur des community colleges. Ces institutions d’enseignement supérieur en deux ans ont été parfois comparées à nos IUT et nos BTS, mais elles rassemblent, de façon non sélective, 6 millions d’étudiants[2] (soit le tiers des étudiants américains) alors que les IUT en comptent, en chiffres ronds, 100.000 et les BTS 200.000. Donc, si on voulait établir une équivalence démographique, cette population des community colleges correspondrait aussi à une grande partie de nos étudiants de licence. Quoi qu’il en soit, voici ce que dit Barak Obama à l’occasion du lancement de son plan : « In an increasing competitive world economy,
UN CAS D’ECOLE : L’UNIVERSITE PARIS 13
Pour sortir des généralités, prenons l’exemple d’une université, Paris 13, que je connais bien pour l’avoir présidée, et qui est menacée de liquidation dans le processus actuel. La création de l’université Paris 13, à la suite des évènements de 1968 a représenté une innovation audacieuse, même si elle n’était pas explicitement assumée par le pouvoir politique d’alors. Avec l’université de Créteil, elle a été l’une des deux premières universités franciliennes réellement pluridisciplinaires. Mais surtout, cette implantation signifiait la présence, dans une banlieue populaire, d’une université à part entière qui contribuerait à la promotion supérieure des populations locales et au développement économique de leur territoire, dans un contexte de recherche de niveau international. Cette dernière option, ambitieuse, devait donner à ses missions une assurance de qualité que l’on ne trouve pas dans les simples « collèges universitaires ». Même si l’on considère que cette ambition aurait pu être mieux assumée si de vrais moyens lui en avaient été donnés, Paris 13 a su développer à côté de ses importants IUT et de ses formations professionnelles, des laboratoires de haut niveau.
« On peut craindre que l’intégration de Paris 13 au PRES n’accroisse la force centripète qui tend à vider la périphérie de ses meilleurs étudiants. (…) Il est certain que l’éloignement géographique de Paris 13 par rapport aux implantations des six [autres partenaires] réduirait l’identité géographique du PRES et limiterait beaucoup la réalité des synergies et des interactions entre étudiants et entre enseignants. (…) Paris 13 apporterait peu de spécialités nouvelles à l’offre de formations du PRES ; la lisibilité de cette offre serait diminuée, et donner de la cohérence à la carte des formations du Pôle serait très difficile. (…) Par ailleurs il faut être conscient qu’inclure Paris 5, Paris 7 et Paris 13 dans le même PRES rend impossible la construction à Paris et en périphérie proche d’un troisième PRES incluant des formations universitaires en sciences exactes et en médecine ».
Bernard Larrouturou en conclut qu’il n’est pas raisonnable que Paris 13 soit membre fondateur du PRES Université Paris Cité, mais il propose (puisque le président y tient…) qu’elle soit membre associé, ajoutant ainsi une touche d’humiliation supplémentaire pour les cocus de cette course à l’excellence.
L’exemple de Paris 13 pose la question : à côté de grandes « universités de recherche » (c’est-à-dire où sont concentrés des milliers de chercheurs CNRS ou INSERM) est-il possible de maintenir et de dynamiser des universités moyennes implantées en milieu populaire qui soient autre chose que des collèges universitaires ou des IUT. L’enjeu démocratique est de taille, à Paris notamment, où « au-delà du périphérique, c’est l’Amérique »[14], c’est-à-dire où l’on trouve une extraordinaire vitalité de la jeunesse et un potentiel humain qui ne peut s’exprimer dans les voies de la réussite scolaire et universitaire classique. Remarquons en passant que dans la floraison actuelle de classements qui se prétendent « multidimensionnels » je n’en ai guère vu dont les critères cherchent à apprécier les réponses apportées par les universités aux enjeux démocratiques[15].
AU DELA DE NOS FRONTIERES
Si l’on regarde vers l’étranger, beaucoup de pays se sont lancés dans cette course à l’excellence, mais la situation est assez contrastée. L’Allemagne a affiché une politique de pôles d’excellence, mais dans un contexte de décentralisation de l’enseignement supérieur. En Grande Bretagne où le Research Assessment Exercise a poussé les universités - réellement autonomes - à jouer la carte du resserrement de leurs activités (en abandonnant les moins bien évaluées)[16], des voix se font entendre aujourd’hui pour mettre en garde contre l’affaiblissement scientifique moyen qui peut en résulter.
Un rapport rédigé par Jamil Salmi, chargé de l’enseignement supérieur à la Banque mondiale, intitulé « Le défi d’établir des universités de rang mondial » souligne les dangers de cette course à l’excellence pour les pays émergents[17]. Ceux-ci sélectionnent quelques universités pour les lancer dans la compétition au risque d’accroître les inégalités et de dépouiller les universités locales déjà démunies[18]. L’une des raisons invoquées pour cette course à l’excellence est le développement de l’économie de la connaissance. Mais l’auteur du rapport remarque à juste titre que les économies scandinaves marchent très bien alors que ces pays n’ont aucune université « de rang mondial ». En Allemagne les fachhochschulen jouent un rôle très important dans l’économie, mais ne figurent dans aucun classement international. Il plaide pour une prise en compte du système d’enseignement supérieur dans son ensemble avec toute la diversité d’institutions qui en font la diversité et la richesse. L’ambition de l’enseignement supérieur ne se réduit pas à l’innovation qui via la recherche produira des brevets ; c’est aussi et peut-être surtout la formation de jeunes qualifiés. On retrouve, dans un tout autre contexte, l’inspiration du plan de Barak Obama évoqué plus haut, ce qui renforce l’intérêt de cette réflexion.
On peut seulement regretter que trop de nos collègues, focalisés sur leurs problèmes de statuts et de services, ne s’en préoccupent pas davantage…
[2] Il est envisagé que leur nombre augmente de 5 millions dans les dix ans de la durée du plan.
[3] Depuis dix ans la composition sociale des classes préparatoires reste relativement stable, avec 60% des élèves issus des catégories socioprofessionnelles favorisées (cf Philippe Jacqué. Le Monde du 04.09.09)
[4] Voir Jean-Yves Mérindol, « Boursiers et grandes écoles » in JFM’s blog.
[5] Pierre Veltz, « Faut-il sauver les grandes écoles ? ». Les Presses de Science Po (2007).
[6] Voir aussi Christian Baudelot et Roger Establet, « L’élitisme républicain ». La république des Idées, Edition du Seuil (2009)
[7] A titre d’exemple, l’université Rutgers réserve des places en troisième année aux étudiants des community colleges ; même à Harvard, les deux tiers des étudiants sont des « étudiants aidés » dont la moitié sous forme de bourses.
[8] Eric Maurin “Le ghetto français ». La République des Idées, Editions du Seuil (2004)
[9] Pour illustrer mon propos : le mathématicien franco-vietnamien Ngô Bao Châu, aujourd’hui à Princeton, dont les travaux remarquables font de lui un favori pour une médaille Fields 2010, a commencé sa carrière post-doctorale comme chargé de recherche dans le laboratoire de mathématiques de l’université Paris 13 à Villetaneuse, de 1998 à 2004, date à laquelle il a reçu le prix Clay.
[10] Nombre de ces petites équipes de recherche clinique sont d’ailleurs déjà relativement marginalisées dans le dispositif actuel de la recherche biomédicale, dominé par l’organisation INSERM, même si un effort réel a été fait dans leur direction.
[11] Sans l’approbation, non plus, de la communauté d’agglomération Plaine Commune sur le territoire de laquelle sont implantées Paris 13 (CHU de Bobigny mis à part), Paris 8 et le futur Campus Condorcet.
[12] On pourra lire avec intérêt et amusement le tableau cruel qu’en fait, avec son agressivité humoristique coutumière, Gilbert Béréziat délégué général de l’association Paris Universitas concurrente de Paris Cité.
[13] La MSH Paris Nord est une UMS associant le CNRS aux universités Paris 8 et Paris 13.
[14] Cette formule est reprise du titre original d’un intéressant article du journaliste Serge Michel paru dans la page Débats du Monde du 29 avril 2006.
[15] Dans le champ économique, il y a bien pourtant des agences de notation sociale.
[17] Ce sujet a été évoqué lors de la dernière conférence internationale de l’UNESCO sur l’enseignement supérieur.
[18] Ainsi la Malaisie a sélectionné 4 universités qui ont beaucoup plus de moyens que les autres.