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France : Liberté, Egalité, Fraternité - But not yet !

Le titre est repris d’un article paru sur un site anglosaxon, qui était consacré aux inégalités du système éducatif français. Cette formule ironique fait assez mal car elle résume une réalité qui nous saute au visage à la lecture de toutes les enquêtes internationales sur le sujet : nous avons un système profondément inégalitaire, à tous les niveaux, alors que nous nous targuons d’un idéal égalitariste. Cette question des inégalités scolaires et universitaires devrait être une priorité pour tous ceux qui veulent un changement politique. Mais la question n’est pas si simple[1].

Un cabinet canadien « Higher Education Strategy Associates » a publié un classement des différents pays du point de vue du caractère « abordable » (financièrement) et « accessible » (socialement) du système d’enseignement supérieur dans ces différents pays[2]. Le fait de produire un palmarès - un de plus - est sans doute contestable, d’autant plus que les données nationales sur ces questions sont très hétérogènes. Les auteurs reconnaissent cet état de choses, mais ils s’abritent derrière la transparence de leurs sources. Cependant l’étude fait apparaître quelques grandes tendances.

Du point de vue de l’égalité des chances (accessibility) les auteurs de l’étude introduisent un Education Equality Index (EEI) qui fait intervenir le niveau éducatif des parents des étudiants. Un score EEI élevé indique que les caractéristiques de la population étudiante sont proches de celles de la population totale, tandis qu’un score EEI faible indique que les étudiants sont davantage des fils de familles éduquées. On constate que la France est très mal classée ; elle fait beaucoup moins bien que les Pays-Bas ou la Finlande, et même que les USA dont le bon chiffre contraste avec le fait que les études universitaires y sont plutôt chères.  En résumé, en France, l’université est gratuite mais la proportion d’étudiants dont les parents ne sont pas diplômés du supérieur est plus faible que dans bien des pays.

On a affaire à un processus de sélection cumulatif qui commence à l’école primaire et au collège[3]. Pour le collège on peut se référer aux enquêtes PISA[4]. L’Ecole de la deuxième chance de Marseille organisait le 2 avril dernier une conférence, destinée aux éducateurs,  sur « les enseignements à tirer des études PISA en matière d’efficience et d’équité des systèmes éducatifs ». Cette conférence était intéressante par son caractère libre. J’y ai animé un atelier sur le thème « PISA et l’égalité des chances ». Les réflexions qui suivent en sont un écho indirect et tout à fait personnel. Observateur plus qu’acteur, j’ai été à deux reprises chargé de mission dans les établissements secondaires de Seine Saint-Denis. A la fin des années 90, j’avais eu l’occasion de visiter tous les lycées et une grande partie des collèges du département. La situation y était difficile ; elle s’est encore détériorée depuis et, avec le coup de grâce de l’assouplissement de la carte scolaire, les inégalités ont atteint un niveau inacceptable. Or, les études PISA le montrent bien, le statut économique, social et culturel collectif (de l’effectif d’élèves) des établissements a nettement plus d’impact sur la variation de performance que le profil socio-économique individuel des élèves.

Que nous apprennent les études PISA ? Les tests réalisés sur des collégiens de quinze ans, dans l’ensemble des pays de l’OCDE (et des pays partenaires) sont censés « apprécier la capacité de l’élève à comprendre et utiliser les textes littéraires et scientifiques, à les intégrer dans sa pratique et son comportement personnel et social »[5]. C’est donc toute autre chose que de vérifier que les matières des cours ont été assimilées, comme dans un examen terminal. C’est ce qui fait la grande originalité de PISA.

On parle « d’aptitudes des élèves à appréhender de façon autonome les conditions de la vie de tous les jours, grâce à leur cursus scolaire ». Les études PISA sont réalisées tous les 3 ans depuis 2000. Les résultats de la quatrième étude ont été publiés il y a quelques mois. Les réactions sont toujours restées relativement discrètes en France si on les compare avec le choc créé par PISA au Royaume-Uni ou en Allemagne. En fait les premières études PISA, peut-être parce qu’elles donnaient de la France une vision peu flatteuse, ont provoqué chez nous un torrent de critiques méthodologiques. Mais, au fil des ans, ces critiques se sont faites plus nuancées et plus constructives, ce qui montre quand même que PISA cerne une certaine réalité[6]. Bien entendu une telle étude menée dans des pays aussi différents a forcément des biais. C’est le cas notamment lorsqu’on entend mettre en parallèle les résultats des tests et les catégories socio-économiques des élèves. Mais beaucoup d’experts s’accordent pour reconnaître la très grande qualité des études PISA[7].

Une raison sans doute de l’atténuation des critiques c’est qu’au delà des résultats absolus, on a pu constater les variations de résultats. Et en matière d’égalité des chances, les performances de la France qui étaient déjà parmi les plus mauvaises de l’OCDE[8], ont continué à se détériorer. Cela veut bien dire quelque chose..

Aujourd’hui on s’accorde chez nous pour prendre en considération les études PISA et à reconnaître notamment les écarts grandissants entre les résultats des élèves des catégories économiquement et socialement favorisées et défavorisées. Mais les enseignements qu’on en tire peuvent être assez divergents. A côté de la critique de « l’élitisme républicain » à laquelle se livrent Christian Baudelot et Roger Establet, on trouve des professeurs qui, sans être réactionnaires, développent un point de vue en réaction avec le nouvel idéal de la transmission à chaque élève d’un bagage minimal pour mener sa vie dans la société[9]. Le manifeste de skhole.fr affirme ainsi : Il ne s’agit pas d’invoquer nostalgiquement un âge d’or dont nous ne pensons pas qu’il fût si idyllique d’une part, et qui d’autre part répondait à des conditions et un contexte spécifiques. Mais il ne s’agit pas non plus de renoncer à certaines exigences au prétexte de « réalisme » ou de « modernité ». On trouve sur leur site une critique méthodologique de PISA dont l’approche est jugée trop pragmatique. A propos des aptitudes que veulent mesurer les tests de PISA, ils demandent : Mais est-ce que ces aptitudes réfèrent à autre chose qu’à ce que mesurent les tests. Autrement dit, les tests de PISA sont-ils adaptés à leur objet, les capacités à jouer un rôle social et économique constructif dans une société démocratique moderne, et les capacités des sociétés à faire face aux défis du présent et du futur ? Et ils notent : La réussite d’un pays à PISA dépend principalement du développement chez le plus grand nombre d’élèves d’un potentiel académique de base, autrement dit d’un « kit de survie » intellectuelle.

Tout le monde reconnaît que la lutte contre l’échec est plus développée en Finlande que partout ailleurs ; mais certains prétendent que cela se ferait au détriment du niveau académique moyen, et que les résultats des élèves finlandais en mathématiques contrasteraient, par exemple, avec l’avis des professeurs de mathématiques de l’enseignement supérieur qui devraient retravailler des concepts qui auraient dû être maîtrisés au lycée et qui ne l’ont pas été parce qu’au lycée le temps a dû être employé à revoir de concepts qui auraient dû être acquis au collège[10]. Sans vouloir trancher cette polémique, il faut bien constater qu’on n’évite pas un débat de fond où l’on oppose lutte contre l’échec et performances académiques. Pourtant bien des pays qui ont de bons résultats globaux à PISA sont ceux aussi qui sont bons du point de vue de l’égalité des chances.

Le récent rapport du Haut Conseil de l’Education (HCE) sur le collège montre cependant qu’il y a urgence à traiter l’échec scolaire. Dans bien des villes et des quartiers le collège est devenu un lieu de tension et de désordre ; la violence scolaire et devenue un problème majeur : 70% des incidents concernent les collèges et les 5% d’établissements le plus souvent confrontés à la violence concentrent 30% des incidents. Même lorsque la situation n’est pas si dramatique, les professeurs doivent batailler pour imposer un minimum d’ordre.

Ceci pose à la fois la question du collège unique et celle du socle commun de connaissances et de compétences. S’agissant du collège unique, dès le début de son instauration il n’y a pas eu répartition indifférenciée des élèves. Les enseignants ont donné l’exemple du contournement de la carte scolaire[11]. L’assouplissement de celle-ci en 2007, s’il a eu le mérite de mettre fin à l’hypocrisie, a porté le coup de grâce à la mixité sociale. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2009, sur 254 collèges « ambition réussite », 186 avaient perdu des élèves. Les dérogations à la carte scolaire ont augmenté de 30% entre 2007 et 2008. Dans le milieu enseignant, les résistances au collège unique ont préfiguré les résistances au socle commun de connaissances et de compétences institué en 2006, rassemblant notamment des syndicats de gauche et de droite. Au-delà d’une réaction conservatrice qui peut s’expliquer par la situation privilégiée des enseignants dans le système méritocratique français[12], il y a chez les professeurs le sentiment d’une contradiction insurmontable, à vouloir concilier les principes du système scolaire français avec des objectifs théoriquement séduisants (comme le socle commun) mais dont on voit mal la concrétisation pédagogique dans un système très disciplinaire où les programmes ont été conçus dans la perspective du lycée général et des études supérieures. Comme le note le HCE, « le travail par compétences n’appartient pas à la tradition de l’enseignement secondaire ».

Le « socle commun de connaissances et de compétences », défini comme « ce que nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire sous peine de se trouver marginalisé ou handicapé »[13], est un ensemble de valeurs, de savoirs, de langages et de pratiques. On se place donc dans une logique de type PISA. Mais « le socle n’est pas tout l’enseignement qui ne saurait se résumer à en garantir la maîtrise ». On aura donc une double obligation : traiter l’intégralité du programme et, à l’intérieur de celui-ci, faire acquérir à tous les élèves la maîtrise des compétences du socle ! Cela devrait aller de pair avec la disparition progressive du redoublement dont l’inefficacité et avérée. On constate ensuite que les élèves en retard ont des résultats inférieurs aux élèves « à l’heure », mais c’est un bel exemple de prophétie auto-réalisatrice.

A ce stade le socle commun reste une notion un peu « théologique » dont la nature précise prête à interprétation. Mais surtout, la question se pose de savoir quelle pédagogie et quelle évaluation, sont appropriées en la matière. Si on lit l’ensemble des recommandations du HCE[14], on peut demeurer perplexe à l’énumération de tout ce que l’élève doit connaître et savoir faire. De fait, on ne peut donner une définition objective précise du socle. On doit entrer dans une démarche pragmatique (analogue à PISA) en rupture avec la logique des programmes et des instructions ministérielles.

Mais alors, que nous disent les études PISA sur les caractéristiques des « meilleurs pays » (ceux qui associent efficacité et équité). Tout d’abord que les systèmes d’éducation les plus performants accordent une plus grande autonomie individuelle aux établissements dans l’élaboration des programmes et des politiques d’évaluation, sans toutefois permettre nécessairement la concurrence des établissements dans le même bassin scolaire.

Déjà en 1998, le recteur Fortier dans son rapport sur les conditions de la réussite scolaire en Seine Saint-Denis, notait : « la logique des standards qui régit l’éducation nationale, entretenant les discriminations sociales au lieu de les corriger, atteint les limites de l’inacceptable ».

Lorsqu’on parcourt tous ces collèges en difficulté, à côté de professeurs découragés, on en trouve beaucoup qui sont plein d’ardeur (qui sont en tout cas plus dynamiques que les professeurs de bien des « grands lycées » parisiens) et qui souhaiteraient plus de liberté dans la lutte contre l’échec où l’importance d’une démarche individuelle n’est plus à démontrer. Il faut, bien sûr, des moyens pour réduire la taille des classes, mais là où il n’y a pas de dynamique et d’homogénéité de l’équipe pédagogique, les moyens supplémentaires ne servent à rien. Ceci suppose, outre une autonomie des établissements, une vraie reconnaissance du travail des enseignants. PISA souligne ce facteur de succès parmi les caractéristiques des « meilleurs pays ». N’en déplaise aux moralistes, on apprend beaucoup de PISA.



[1] Voir l’article « 2012 : Contribution au débat » in JFM’s Blog.
[2] Global higher education ranking : affordability and accessibility in comparative perspective (oct. 2010)
[3] Voir l’article « Le défi démocratique laisse les professeurs sans voix » in JFM’s Blog.
[4] Acronyme de « Programme International Pour le Suivi des Acquis »[5] C’est ce que PISA désigne sous le vocable de « littératie ».[6] On peut considérer que le « socle commun de connaissances et de compétences » introduit par la loi de 2005, est directement inspiré de PISA.

[7] On trouvera une analyse intéressante dans Julien Grenet : « PISA une enquête bancale ? » in La vie des idées.fr

[8] Voir l’article « Le défi démocratique laisse les professeurs sans voix » in JFM’s Blog.

[9] Voir “L’imaginaire réformateur - PISA et les politiques de l’école » sur le site skhole.fr

[10] Ibid.

[11] Une étude ministérielle datant de quelques années montrait que près de 20% des professeurs du secondaire inscrivaient leurs enfants dans un établissement public différent de celui de leur secteur géographique, soit deux fois plus que la moyenne.

[12] Voir l’article « Le défi démocratique laisse les professeurs sans voix » in JFM’s Blog.

[13] Recommandations pour le socle commun (HCE 2006)

[14] Ibid.