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Combien coûte un étudiant ?

Dans un récent article j’affirmais que « la France consacre 9.000 € par étudiant (15.000 € pour un élève de grande école), ce qui nous place globalement au dessous de la moyenne de l’OCDE, loin des pays leaders (30.000 € aux Etats-Unis) ». L’un de mes lecteurs questionne cette affirmation et se demande si je ne suis pas en train de propager « a urban legend » ? Il est vrai que les chiffres divergent notablement suivant les sources que l’on consulte. C’est une bonne raison pour s’interroger sur leur validité et surtout sur leur signification.

S’agissant de comparaisons internationales, il est naturel de se référer aux études de l’OCDE. Ainsi dans sa récente publication « Regards sur l’Education 2012 », la dépense annuelle par étudiant, tous services confondus (activités de recherche non comprises) est estimée à 10.042 $ en France et à 26.313 $ aux Etats-Unis. Si l’on inclut la recherche des établissements, on aboutit à 14.642 $ pour la France, contre 29.201 $ pour les Etats-Unis. Les chiffres de dépenses de recherche par étudiant qui figurent dans les tableaux peuvent surprendre par leur faiblesse relative pour ce qui est des Etats-Unis [1] ; une raison en est que les nombreux établissements américains d’enseignement supérieur court n’ont pas d’activités de recherche. On reviendra plus loin sur les biais de ces estimations en moyenne.

Une question cruciale est celle de la méthodologie et de la définition de l’objet d’études. Dans les rapports de l’OCDE, la dépense par étudiant est obtenue en divisant la dépense globale par le nombre d’étudiants en équivalent temps plein. Dans cette dépense globale on inclut les dépenses publiques ou privées des établissements d’enseignement, tous services confondus (services éducatifs, services auxiliaires) et aussi, le plus souvent, la recherche. Les aides publiques destinées à financer les frais de subsistance des étudiants en dehors des établissements, sont exclues.

Des incertitudes planent sur la valeur des comparaisons car les quantités qui interviennent ont des définitions variables selon les pays considérés, leurs normes budgétaires, administratives…[2]. D’autre part, la durée des études supérieures n’est pas la même dans tous les pays, ce qui peut conduire à considérer, au lieu de la dépense annuelle, les dépenses cumulées sur la durée totale d’études supérieures. Mais là on rencontre des difficultés à comparer les niveaux d’études d’un pays à l’autre. Le taux de scolarisation supérieure peut également intervenir lorsqu’on divise une dépense nationale par un nombre d’étudiants[3]. Nous nous en tiendrons ici à considérer les estimations classiques de dépenses annuelles.

Le point le plus délicat touche aux dépenses de recherche. En France, les règles de la comptabilité publique font que le budget d’une université est spécifique à l’établissement et n’englobe pas les personnels ou les crédits affectés par les organismes de recherche (CNRS, INSERM,..). Même si l’OCDE prétend en tenir compte, il est difficile d’avoir des chiffres consolidés pour les budgets des établissements.  

Il est intéressant de mettre en face des indicateurs de l’OCDE les indicateurs nationaux. Dans sa présentation 2011 de « L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France » le MESR mesure de son côté la dépense intérieure d’éducation (DIE) pour l’enseignement supérieur qui est réalisée par l’Etat, les collectivités territoriales, les ménages et les entreprises, pour les établissements publics et privés. Elle inclut la recherche des universités (mais pas des organismes). Rapportée au nombre d’étudiants, la moyenne annuelle est de l’ordre de 11.000 €, allant de 10.000 € environ pour les universités à 15.000 € pour les classes préparatoires aux grandes écoles.

Dans la comparaison avec les Etats-Unis, une difficulté intervient : le système américain se caractérise par une grande hétérogénéité de ses établissements d’enseignement supérieur, alors que le système français est beaucoup plus homogène, au moins en ce qui concerne les universités.

Pour les établissements publics américains (qui accueillent 70% des étudiants) on peut se reporter aux tableaux du National Center for Education Statistics. Une distinction est faite entre les établissements « en 2 ans » et « en 4 ans » (qui accueillent globalement des effectifs comparables[4]). En 2010 la dépense moyenne par étudiant était d’environ 12.000 $ pour les premiers et de 37.000 $ pour les seconds. On trouvera d’autres détails sur le sujet dans l’étude « Trends in public Higher Education » publiée par le College Board[5].

Au-delà des moyennes

Les estimations en moyenne ne rendent pas bien compte de la réalité, qui n’est pas homogène. Même en France on peut trouver des différences considérables de dépenses par étudiant, de l’ordre de 50.000 € pour l’Ecole des Mines de Paris à moins de 7.000 € pour certaines universités[6]. La sociologue Marie Duru-Bellat estime qu’un polytechnicien coûte en réalité 15 fois plus cher qu’un étudiant inscrit en fac de Lettres[7]. Cependant la disparité entre universités proprement dites n’est pas aussi considérable qu’aux Etats-Unis où l’on a une situation très contrastée entre public et privé, entre collèges en 2 ans et universités en 4 ans.

 Donc, si l’on veut comparer la France et les Etats-Unis, il est plus significatif de comparer les situations d’établissements analogues ou de catégories d’établissements. De ce point de vue on trouvera des observations très intéressantes dans une note sur le financement de l’enseignement supérieur de Pierre-André Chiappori, économiste français et professeur à Columbia University.

 On a vu qu’aux Etats-Unis, le rapport de la dépense par étudiant dans les formations supérieures courtes et dans les formations supérieures longues est de 1 à 3. Tandis qu’en France, l’écart n’est pas significatif, et plutôt en faveur des formations courtes, si l’on se réfère à « L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France »[8]. Ainsi, si l’on compare nos IUT et BTS aux community colleges américains, on voit donc qu’ils sont plutôt bien traités. On m’objectera que les IUT et BTS comptent, en chiffres ronds, 350.000 étudiants (sur un total de 2,2 millions), tandis que les community colleges rassemblent, de façon non sélective, le tiers des étudiants américains. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas là que se situe le gap financier entre le système français et le système américain. Il concerne les institutions « en 4 ans », et spécialement les plus actives en recherche.

En 2007, le budget par étudiant, pour les institutions « en 4 ans » s’élevait en moyenne à 37 000$ pour les universités publiques, ce qui les place nettement au-dessus de la moyenne des grandes écoles françaises, et à trois fois la moyenne des universités françaises. Pour les universités privées à but non lucratif, la moyenne était de 62 000 dollars[9], et pouvait atteindre 210.000 dollars pour les universités privées « de très haut niveau de recherche ».

Une centaine d’universités américaines peuvent être considérées comme des universités « de très haut niveau de recherche »[10]. Là-dessus, pas moins des deux tiers sont publiques et accueillent 2 millions d’étudiants, auquels il faut ajouter un demi-million pour les universités privées, soit au total environ 14% des étudiants[11].

On peut aussi s’intéresser au budget par étudiant des 10 premières universités du classement de Shanghai (8 américaines et 2 britanniques). La moyenne est de 148.501 $. Cela va de 285.424 $ pour Cal Tech (2.175 étudiants), 231.125 $ pour le MIT (10.384 étudiants), 107.392$ pour Cambridge (17.398 étudiants), et 55.575 $ pour Berkeley (35.000 étudiants)[12].

En France, la variation de la dépense au sein des universités publiques est beaucoup plus réduite. Prenons l’exemple de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) qui est la deuxième université française au classement de Shanghai et qui est l’une des universités françaises qu’on pourrait qualifier « de très haut niveau de recherche ». En 2010 l’UPMC regroupait 31.000 étudiants, pour un budget de 640 M€ (dont un budget de recherche total de 410 M€, soit 220 M€ de crédits propres plus 190 M€ pour les organismes de recherche partenaires (CNRS, INSERM…)[13]. Ainsi le budget par étudiant de l’UMPC s’établissait à 14.500 € environ, et à 20.600 € en y intégrant  les montants affectés aux organismes de recherche. Pierre-André Chiappori note, à juste titre, qu’en extrapolant cet exemple, on peut admettre que, même en tenant compte des ressources apportées par les organismes, le rapport entre la dépense par étudiant des universités françaises les mieux dotées et la moyenne des universités publiques est inférieur à 2.

En guise de conclusion

Au terme de cette revue de chiffres, on voit que, si les estimations précises peuvent varier, les ordres de grandeur de coûts moyens que j’avais donnés antérieurement n’ont rien d’aberrants. Mais, il faut aller au-delà des moyennes pour comprendre où se situe le problème français. Ce n’est pas dans l’enseignement supérieur court dont le financement est plutôt correct et qui, par ailleurs, produit un taux de diplômés satisfaisant[14]. C’est dans le haut du dispositif, l’enseignement supérieur long, et spécialement les « universités de recherche ». Menacées de quasi-faillite, les universités françaises ne disposent d’aucune marge de manœuvre financière. Aux Etats-Unis, la centaine d’universités considérée plus haut ne résume pas l’enseignement supérieur américain, mais c’est une réalité de 2,5 millions d’étudiants, face à laquelle nos super-grandes écoles constituent un monde microscopique, faible en recherche, dont les moyens sont d’ailleurs loin d’être aussi considérables. Quand à nos universités en général, les ordres de grandeur des budgets par étudiant sont tels que les politiques mises en œuvre peuvent paraître dérisoires (en particulier les politiques éducatives). Les universités « de haut niveau de recherche » ne sont guère mieux traitées que les autres. D’où la tentation de concentrer les moyens sur quelques pôles, qu’on a vu s’esquisser dans la période récente. Mais, à volume constant, cette concentration des moyens existants sur quelques pôles, appauvrit de façon excessive et inconsidérée le reste du système. Les solutions à l’anglo-saxonne consistent à mobiliser massivement des financements privés (familles, entreprises, mécénat…) : frais de scolarité qui représentent de l’ordre de 20% du budget dans les universités publiques et près du double dans les universités privées ; subventions de recherche de fondations privées ; dons de particuliers qui viennent constituer un capital (endowment) plus ou moins important[15]… Ces solutions sont culturellement éloignées de nous, et présentées par beaucoup comme antidémocratiques. On peut, sans aucun doute, refuser l’idée de créer un marché de l’enseignement supérieur régulé par les frais d’inscription et la concurrence, mais ne voit pas comment accroître notablement les moyens de l’enseignement supérieur sans faire contribuer les bénéficiaires[16]. La « gratuité » de l’éducation a une grande importance symbolique chez nous, mais le système français est à la fois « gratuit », socialement sélectif et antiredistributif. Au-delà des problèmes structurels, la question du changement de dimension du financement de l’enseignement supérieur est la plus importante aujourd’hui. On peut craindre, malheureusement, qu’elle ne soit pas posée de si tôt.




[1] Les chiffres sont de 4.600 $ pour la France et de 2.888 $ pour les Etats-Unis..

[2] Ainsi, dans les documents français, on constate que la dépense affichée par étudiant fait un saut en 2006 « à cause d’une modification des règles budgétaires » liée à la LOLF…

[3] Si l’on se réfère à la note d’information 11.15 de la DEPP, le taux de scolarisation des 20-29 ans en France est inférieur à la moyenne de l’OCDE.

[4] Cependant, le taux des full time undergraduates students est nettement plus important dans les établissements « en 4 ans ».

[5] Le College Board est une organisation sans but lucratif qui a vocation à accompagner l’entrée dans l’enseignement supérieur, et met en oeuvre le test SAT pour l’admission en college.

[8] Depuis 2006 les dépenses des IUT sont intégrées aux universités mais on peut extrapoler la situation antérieure et estimer la dépense par étudiant d’IUT à plus de 11.000 €. Quant aux BTS, la dépense par étudiant est affichée à 13.800 €

[10] Research university / very high research activity (RU/VH) suivant la classification Carnegie

[12] Ibid.

[14] Cf « Illusions d’optique » in JFM’s blog

[15] Selon Pierre-André Chiappori, les revenus de l’endowment représentent 8% du budget de l’université de Chicago, 13% de celui de Columbia, 35% pour Harvard et 45% pour Yale ou Princeton.