Imprimer cet article Imprimer cet article

Autonomie et classification des universités

INTRODUCTION

Le passage d’un pilotage centralisé à une autonomie réelle des universités, va mettre fin à la fiction de leur équivalence. En dépit de la loi qui leur donne à toutes le même statut et les mêmes missions, les universités se sont déjà considérablement diversifiées en profitant notamment de « leurs rentes de situation » et en biaisant parfois avec la loi. En particulier, elles sont dans des situations extrêmement diverses, s’agissant de la recherche et de la relation aux organismes.

Historiquement le développement de la recherche s’est fait autour des organismes, avec le rôle structurant majeur du CNRS. Celui-ci a investi de façon importante sur un nombre limité de campus universitaires. Douze établissements ont la moitié de tous les chercheurs du CNRS. Une vingtaine d’universités collectent la moitié des ressources globales de recherche.

A l’autre extrême on trouve des établissements dont la création a été tellement subordonnée à l’accueil de nouveaux d’étudiants, avec des moyens limités, dans un contexte régional ou local particulier, qu’ils sont avant tout des instruments de formation, avec très peu de recherche compétitive.

On trouve toutes les situations intermédiaires, avec notamment des universités de taille moyenne qui ont su favoriser le développement de quelques très bons laboratoires en leur sein, tout en se montrant actives dans la promotion sociale supérieure et la formation professionnalisante.

Il est certain que l’autonomie croissante des universités va encore diversifier le paysage, comme cela se produit dans tous les pays du monde. C’est cette diversité qui est évoquée, pour la première fois avec franchise dans le rapport Goulard[1] qui propose en conséquence une classification des universités.

Cette classification prétend s’inspirer de la « classification Carnegie » aux USA. En réalité, outre qu’elle est assez sommaire, elle ne se base pas sur des critères objectifs clairs comme la « classification Carnegie ». Elle apparaît ambiguë dans sa conception et dans son ambition.

Aucune classification n’est innocente par les hiérarchies sous-jacentes qu’elle induit. Au moment où la diversité des universités va devenir une donnée de l’enseignement supérieur français, il convient de ne pas figer les situations à partir d’analyses peu rigoureuses, et d’éviter ainsi d’établir entre les universités françaises une hiérarchie sociale immuable comparable à celle de nos grandes écoles.

Il paraît bon de rappeler en quoi consiste la « classification Carnegie » et quels sont ses critères. On examinera ensuite les problèmes que pose une adaptation de cette classification à la situation française, telle que l’envisage le rapport Goulard.

CLASSIFICATION CARNEGIE

Cette classification introduite en 1973 a été revue périodiquement dans ses principes et ses catégories. En 2005 la « classification de base » a été complétée par une série de classifications parallèles permettant d’appréhender les institutions selon plusieurs dimensions. Les différentes classifications se fondent sur des critères quantitatifs précis. Nous nous en tiendrons à la « classification de base » qui a été elle-même un peu modifiée en 2005.

Classification de base

Elle comprend essentiellement les catégories suivantes :

1- Universités délivrant le doctorat (Doctorate-granting universities)

Ce sont les universités qui délivrent au moins 20 doctorats. Elles sont classées en 3 sous-catégories suivant le niveau de leur activité de recherche. Ceci prend en compte le volume global des crédits de recherche et les crédits moyens par tête[2]. On distingue ainsi

- Research Universities (very high research activity)

- Research Universities (high research activity)

- Doctoral/ Research universities

2- Universités délivrant le master (Master’s colleges and universities)

Cette catégorie comprend les institutions qui délivrent au moins 50 masters (mais moins de 20 doctorats). Elles sont classées en 3 sous-catégories suivant la taille de leurs cursus de master. On distingue

- Master’s Colleges and Universities (larger programs)

Au moins 200 diplômes de master.

- Master’s Colleges and Universities (medium programs)

Entre 100 et 200 diplômes de master.

- Master’s Colleges and Universities (smaller programs)

Moins de 100 diplômes de master.

3- Universités délivrant la licence (Baccalaureate colleges)

Elles comprennent les institutions qui délivrent la licence (bachelor’s degree) à au moins 10% des étudiants, mais qui décernent moins de 50 diplômes de master et moins de 20 doctorats.

4- Centres universitaires courts (Associate’s colleges)

Ceci comprend les institutions qui délivrent la licence à moins de 10% de leurs étudiants. Ces institutions sont réparties en un grand nombre de sous-catégories suivant leurs caractéristiques géographiques, leur caractère public ou privé,…

5- Institutions spécialisées (Special focus institutions)

Cette catégorie rassemble les écoles qui délivrent des diplômes de tout niveau dans un domaine très spécialisé (Santé, Ingénierie, Technologie, Commerce, Arts, Droit,,…)

classification du rapport Goulard

Il est difficile d’adapter directement la classification Carnegie à la France dans la mesure où la structuration des universités n’est pas la même.

Le rapport Goulard se propose « d’appliquer la typologie « Carnegie » au système français, c’est à dire en classant les universités en fonction du nombre de thèses soutenues annuellement ». Ce n’est là qu’un des critères de la classification Carnegie, mais il est déjà difficile à adapter tel quel. En effet toutes les universités françaises délivrent le doctorat et la limite de 20 thèses n’écarterait qu’une dizaine d’universités.

Il est proposé de faire 3 catégories, suivant des critères peu précis :

- « Universités intensives en recherche »

Ces universités sont « caractérisées par une recherche de niveau international dans un large spectre disciplinaire ». Ceci renvoie plutôt à une notion de « ranking », contrairement à la classification Carnegie qui ne fait pas intervenir de notion d’évaluation. Le critère quantitatif qui est indiqué dans le rapport Goulard - entre 350 et 800 thèses - est assez fantaisiste car les chiffres de thèses retenus proviennent de l’agrégation de plusieurs universités qui demeurent autonomes, en dépit d’une volonté plus ou moins affirmée de rapprochement dans des PRES dont le degré d’intégration reste assez faible pour l’instant[3]. Il faudrait s’entendre sur ce qu’est une université avant de fixer des normes.

- « Universités moyennes »

Ces universités ont « certains laboratoires reconnus au plan international mais dans un nombre relativement restreint de disciplines ». Ceci renvoie à une notion de valeur scientifique « moyenne », mais aussi à une diversité disciplinaire qui dépend de la nature (pluridisciplinaire ou non) de l’établissement[4]. « Ces universités produisent entre 100 et 200 thèses par an ». Ici encore on peut faire les mêmes critiques que précédemment sur les agrégations arbitraires qui sont faites[5].

- Universités « de proximité » (dites « comprehensive universities » dans la classification Carnegie[6]).

Ce sont des universités de taille plus réduite, « dont les performances dans le domaine de la recherche sont plus modestes ». Elles participent à « un maillage fin du territoire national du point de vue de l’enseignement supérieur ». Il s’agit là d’une notion assez différente de la catégorie « université délivrant les masters » de la classification Carnegie, même si, évidemment, il peut y avoir une relation entre les deux.

UNE CLASSIFICATION DISCUTABLE

La classification proposée obéit à une méthodologie assez floue. Elle mélange des critères structurels et fonctionnels à des jugements sur la qualité de la recherche, des arguments de taille à des considérations d’aménagement du territoire… Comme, de plus, les ensembles universitaires qu’on prend en considération sont eux-mêmes flous et artificiels, le résultat est forcément très « idéologique ».

Il est important de distinguer, comme le fait la fondation Carnegie, une classification structurelle et fonctionnelle des universités, d’un « ranking » implicite. Même s’il est vrai, par exemple, qu’il y a une corrélation entre le volume des crédits de recherche d’un établissement et sa position dans la compétition mondiale.

Il faut des critères précis sur des types d’universités « normalisées ». Là réside peut-être la principale difficulté pour classer les universités françaises, tellement leur hétérogénéité se laisse mal décrire dans les catégories internationales. Comment situer, l’une par rapport à l’autre, une université pluridisciplinaire et une faculté déguisée en université, une université possédant de nombreux départements d’IUT et une autre qui en est dépourvue ? Sans doute les regroupements à venir vont-ils normaliser le paysage. Mais il ne faudra pas confondre une vague fédération d’établissements autonomes avec une véritable université ayant une unité de gouvernance. Tant que les universités françaises ne seront pas « normalisées », il sera bien difficile de les classer suivant la méthode Carnegie. Mieux vaudrait alors adopter des catégories qui collent à la réalité, même si celles-ci se prêtent moins bien à une hiérarchisation forcée.

La préoccupation du rapport Goulard est de faire apparaître ce que l’on cache d’habitude, savoir la grande diversité des universités françaises, et d’essayer à partir de là de dessiner un paysage futur contrasté. Mais il faut être extrêmement prudent dans l’établissement d’une classification. En effet, les tiers l’interprètent souvent comme un indicateur de ce qui est jugé important et significatif. Elle induit une hiérarchie sociale implicite. Les établissements tirent d’ailleurs eux-mêmes profit des classifications dans une stratégie « commerciale » de « construction de marque ».

On peut réfléchir à l’évolution des universités françaises vers plus de diversité de situations, vers des vocations différenciées,… Mais il est urgent d’attendre avant de figer une classification.


 

[1] L’enseignement supérieur en France - Etat de lieux et propositions. (Mai 2007).
[2] Ces données proviennent des rapports de la NSF.
[3] Les regroupements Paris 2 3 6 9 ou Paris 1 5 7 sont sans doute des évolutions intéressantes à suivre, mais on est loin d’une fusion des universités. Parler d’une thèse de Paris 2 3 6 9 n’a pas beaucoup de sens.
[4] La catégorie « université moyenne » est peu pertinente pour une « grande université de SHS » comme, par exemple, Paris 10-Nanterre.
[5] Ainsi il paraît un peu artificiel de regrouper Paris 12 avec Marne la Vallée et l’ENPC, même si l’idée de ce rapprochement doit être encouragée.
[6] En réalité cette catégorie qui existait dans la classification Carnegie initiale de 1973, a disparu depuis lors au profit de la catégorie « Universités délivrant le master » (Master’s colleges and universities).