Archive for octobre, 2008

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Les dilemmes du pilotage de la recherche entre les organismes, les agences et les universités

L’Institut d’études politiques de Grenoble (Université Pierre Mendès-France) a organisé, les 23 et 24 octobre 2008, un colloque intitulé “Politique, science et action publique - La référence à Pierre Mendès-France et les débats actuels”. On trouvera ici les diapositives d’un exposé sur “Les dilemmes du pilotage de la recherche entre les organismes, les agences et les universités” (texte développé à paraître dans les actes du colloque).

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Faut-il sauver l’agrégation ?

Martin Andler est mathématicien, professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin.

 

L’agrégation[1] a une place particulière dans notre psyche nationale : garante d’un haut niveau des professeurs de lycée, base du recrutement des professeurs de classes préparatoires, mais aussi, dans bien des disciplines, étape quasi-indispensable d’une carrière universitaire.

Cette pluralité d’objectifs mériterait déjà qu’on s’y arrête. La place des classes préparatoires et des sections de techniciens supérieurs, la présence massive de « PRAG » (professeurs agrégés) en poste dans les universités avec un service d’enseignement double de celui des enseignants-chercheurs mettent clairement en évidence qu’il y a deux voies parallèles de recrutement des enseignants de l’enseignement post-baccalauréat (autrement dit l’enseignement supérieur sous toutes ses formes) : le doctorat et l’agrégation.

On peut naturellement se poser la question de fond de savoir s’il est légitime d’employer dans l’enseignement supérieur des enseignants non chercheurs. La question mérite débat. Mon point de vue personnel est que la réponse est positive : un certain nombre d’enseignements nécessaires dans une formation universitaire peuvent être pris en charge par des enseignants à plein temps. Que d’autres pensent que la réponse doive être négative n’empêche pas que dans la réalité une partie significative des heures d’enseignement[2] dans l’enseignement supérieur est prodiguée par des enseignants non chercheurs.

Dans la plupart des autres pays, de tels enseignants non chercheurs ont leurs équivalents, mais dont le diplôme de référence est le doctorat. Pourquoi cette différence ? Est-elle une spécificité française dont nous devrions être fiers ? Si l’on souhaite donner un sens à la notion de formation par la recherche, s’il y a bien un endroit où cette compétence (avoir fait un doctorat) devrait être reconnue, c’est bien l’enseignement supérieur[3]? Paradoxe donc.

Mais pourquoi également l’agrégation joue un tel rôle dans la reconnaissance professionnelle des doctorants et candidats aux postes de maître de conférences dans un certain nombre de disciplines[4] ? C’est que la formation doctorale, dans l’état actuel des choses, pèche par sur-spécialisation. Non pas évidemment que les thèses puissent être autre choses qu’un travail spécialisé. Mais la formation n’inclut pas suffisamment la phase de formation générale large qui est nécessaire. Et en effet, une des raisons pour lesquelles ça ne se fait pas, c’est l’existence de l’agrégation.

Alors au fond, tout serait pour le mieux : là où c’est nécessaire, la formation des doctorants inclut l’agrégation et la thèse, qui sont ainsi complémentaires. Mais on oublie alors trois points essentiels :

  • l’agrégation est encore principalement un concours de recrutement de professeurs de lycées et collèges; est-ce pertinent de recruter ces professeurs dans un concours dont la légitimité symbolique réside dans son rôle dans la carrière d’universitaires ? 
  • la formation générale donnée pour la préparation à l’agrégation est basée sur une problématique scolaire qui peut être très éloignée des évolutions de la recherche ;
  • comment tenir compte des différences entre ces domaines où l’agrégation joue ce rôle privilégié, les domaines comme la physique, la chimie, la biologie, les sciences sociales où il existe une agrégation, mais qui joue un rôle négligeable dans la reconnaissance professionnelle des chercheurs, et enfin les domaines où n’existe pas d’agrégation : psychologie, informatique etc. ?

En bref, si l’agrégation n’existait pas, il faudrait inventer un substitut : une formation prédoctorale de haut niveau exigeant une compétence disciplinaire large.

La réforme en cours de la formation des maîtres change la donne. Dans la précipitation extrême où cette réforme est menée, le soulagement d’apprendre que l’agrégation serait quasiment intouchée est grand. Mais on devrait au contraire s’interroger sur ce point. En effet pourquoi maintenir deux concours de recrutement de professeurs des lycées et collèges, le CAPES et l’agrégation, qui sont maintenant au même niveau d’études : avoir validé une première année de master au moment de l’inscription, et un master complet au moment de l’oral du concours ?

La réponse est fournie par le texte de cadrage du ministère paru le 13 octobre :

L’agrégation, quant à elle, recrutera également au niveau du master des professeurs qui sont appelés à enseigner en priorité dans les classes d’examen du lycée, les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), les sections de techniciens supérieurs (STS) et le premier cycle de l’université.

On ne saurait être plus clair. Les universités récupèrent certes la responsabilité de la formation des maîtres. Mais la reconnaissance des masters recherche et du doctorat, la reconnaissance du lien enseignement-recherche en prennent un coup sévère, car officiellement l’agrégation est reconnue comme concours de recrutement pour l’ensemble des formations de niveau licence. 

La société des agrégés peut dormir tranquille : l’agrégation n’est pas menacée. Faut-il pour autant s’en féliciter ? 

 


[1]    Il s’agit ici uniquement de l’agrégation de l’enseignement secondaire, à ne pas confondre avec l’agrégation du supérieur de droit, économie, gestion ou science politique qui est la forme spécifique à ces disciplines du recrutement des professeurs d’université. Pour tout compliquer, les agrégés du secondaire utilisent la dénomination « agrégé de l’université », à surtout ne pas confondre évidemment avec les « professeurs agrégés des universités » de droit, économie etc.

[2]    Probablement de l’ordre de 30 à 40 %.

[3]    On pourrait très bien envisager que le statut de PRAG soit remplacé par un statut d’enseignant non chercheur dans l’enseignement supérieur, et que ce statut soit accessible aussi bien aux docteurs qu’aux agrégés (ou seulement aux docteurs).  

[4]    C’est le cas dans l’ensemble des disciplines « littéraires » traditionnelles : lettres, langues, histoire, philosophie… et à un bien moindre degré en mathématiques. 

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Orientations et désorientations de la stratégie de recherche et d’innovation


LA STRATEGIE NATIONALE DE RECHERCHE ET D’INNOVATION

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a donné un certain relief au lancement d’une opération (présentée en conseil des ministres le 3.09.08) qui devrait conduire, d’ici mars 2009, à la définition d’une “stratégie nationale de recherche et d’innovation”. La mise en place de cette stratégie a été recommandée par le « Conseil de modernisation des politiques publiques » qui pointe « la nécessité pour la France d’identifier des priorités de recherche au niveau national en fonction des besoins de la société, des défis scientifiques à relever, et des marchés porteurs pour les entreprises »[1].

Lancé en juillet 2007, le « Conseil de modernisation des politiques publiques » est un véritable état-major des réformes. Vingt-six équipes d’audits, composées d’auditeurs issus des inspections générales et du secteur privé, soit plus de 300 personnes, ont été constituées pour passer en revue l’ensemble des missions de l’Etat. A l’issue de cette analyse, des scénarios de réforme sont élaborés pour chaque secteur et soumis pour validation au « Conseil de modernisation des politiques publiques » qui réunit l’ensemble du gouvernement sous la présidence du président de la République. La lecture des fiches relatives à chaque ministère est très instructive car on y explicite l’idéologie sous-jacente. 

La fiche qui nous intéresse s’intitule : « Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à l’œuvre pour mieux positionner la France dans l’économie de la connaissance ». Cette politique se veut une déclinaison de la fameuse « stratégie de Lisbonne ». L’excellence universitaire et académique est envisagée comme un atout majeur des pays développés dans la compétition économique mondiale. Le renforcement des moyens (élément essentiel de la stratégie de Lisbonne, dont la concrétisation se fait attendre) reste subordonné à la modernisation des structures et des modes de fonctionnement.

S’agissant de l’opération évoquée au début, elle consistera, tous les quatre ans, à demander à des comités d’experts de faire des propositions pour établir les priorités du gouvernement en matière de recherche et d’innovation. Il s’agit notamment d’afficher les « défis » auxquels on veut répondre. Dans le document “stratégie nationale de recherche et d’innovation” on classe les défis en 4 familles : les défis sociétaux, les défis de la connaissance, les défis liés à la maîtrise des technologies nouvelles, les défis organisationnels. Cette nomenclature à la Prévert ne manque pas de laisser perplexe, tant les différentes catégories sont imbriquées. On rajoute que le nombre de défis à relever sera volontairement limité à 20 ! Dans ces conditions, on devrait pouvoir en dresser la liste sans qu’il soit besoin de réunir le ban et l’arrière-ban des experts. D’ailleurs, à quoi sert le Haut Conseil de la Science et de la Technologie ?  De fait il s’agit davantage de l’affirmation d’ambitions politiques que de stratégie de recherche.

Sur la base de ces « défis et enjeux identifiés », on mettra en place des « groupes thématiques », sans oublier - époque oblige - un « espace collaboratif sur internet »[2]. On peut supposer que les groupes thématiques seront chargés de décliner les 20 défis en objectifs de recherche, voire en programmes finalisés. C’est un exercice délicat qui comprend des aspects de prospective. Et s’agissant des innovations du futur, l’histoire est là pour nous apprendre la vanité des exercices de prospective depuis le fameux « rapport de 1937 », commandé par Roosevelt à deux ou trois cents chercheurs pour tenter de sortir de la dépression. Celui-ci a fait depuis lors l’objet de nombreuses analyses[3]. Il en ressort que les auteurs du rapport ne s’étaient pas trompés dans le domaine des innovations qui avaient déjà démarré, mais n’avaient pas vu les innovations de rupture : énergie nucléaire, laser, ordinateur, moteur à réaction, radar, antibiotiques, ni bien sûr le code génétique… Sans doute la période de temps sur laquelle porte l’opération pilotée par Mme Pécresse est-elle bien plus courte que celle de Roosevelt, mais les risques sont de même nature.

La ministre insiste sur le fait que beaucoup de pays, notamment européens, se sont lancés dans des opérations comparables. En fait les situations sont très différentes d’un pays à l’autre. Nul doute qu’une réflexion sur la stratégie de recherche et d’innovation s’impose partout. Toute la question est de savoir comment et à quel niveau elle est conduite, sur quoi elle porte et sur quoi elle débouche[4]. Paradoxalement[5] la France a une approche très dirigiste et technocratique en la matière, avec l’idée que « quelle que soit la qualité des réflexions issues de la communauté scientifique, celles-ci restent trop morcelées, parfois trop éloignées des grands enjeux socio-économiques et surtout insuffisamment coordonnées »[6]. On peut douter cependant de la méthode qui consiste à mettre autour d’une table quelques experts pendant un temps limité. Et l’on peut craindre que le résultat attendu pour mars 2009 ne soit finalement assez formel.[7]

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