UNE REFORME CENTRALISATRICE
L’une des dispositions phares de la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 est la création d’une « Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » (AERES) qui est une autorité administrative indépendante à laquelle on attribue une mission quasiment universelle d’évaluation. Elle est chargée d’évaluer les universités et organismes de recherche, les unités de recherche, les formations et les diplômes, et même de valider les procédures d’évaluation des personnels des établissements et organismes. Elle prend ainsi la place du Comité national d’évaluation (CNE), du Comité national d’évaluation de la recherche (CNER), de la Mission scientifique technique et pédagogique (MSTP) et, en partie, du Comité National de la recherche scientifique (CoCNRS).
Une pareille agence n’existe dans aucun autre pays, et l’on peut s’interroger sur les raisons d’une telle concentration. Il est vrai que c’est une caractéristique - assez paradoxale - de la réforme actuelle de prôner d’un côté la décentralisation universitaire et, de l’autre, de mettre en place des instances de pilotage plutôt « jacobines »…
Le thème de l’évaluation a mis du temps à émerger en France, comme le remarque Jean-Yves Mérindol dans un intéressant article historique[1], dans les années 80 sous l’influence de personnalités comme Laurent Schwartz qui fut l’inspirateur et le premier président du CNE. L’évaluation des unités de recherche est arrivée dans les universités via le CNRS et la politique d’association. Ceci explique l’amertume du CoCNRS de se voir aujourd’hui dépouillé de cette évaluation qu’il a contribué à vulgariser. La loi prévoit bien que l’AERES puisse la lui déléguer pour ce qui est du CNRS, mais ce serait un peu contradictoire avec la conception d’une agence unique. La réforme aurait certes pu confier au Comité National de la Recherche Scientifique la mission d’évaluer toutes les unités de recherche, en le détachant du CNRS et en lui donnant une mission enfin conforme à son titre « historique ». Cette solution - au demeurant difficile à mettre en œuvre - n’a pas été retenue[2].
On est passé d’une situation où l’évaluation était émiettée et parcellaire à une autre où elle se voudrait unifiée et totalisante. En confiant brutalement à une unique agence cette tâche immense, on la condamnait à improviser et on ne pouvait espérer qu’elle produise des évaluations fines en toutes circonstances. Mais surtout, par cette globalité qu’on prétendait donner à l’entreprise d’évaluation, on escamotait les questions de fond sur la nature, les objectifs et les conséquences de l’évaluation - ou plutôt des évaluations.
Disons tout de suite que les réflexions que nous livrons ici ne se veulent pas une critique de l’action des acteurs de l’AERES qui ont fait ce qu’ils ont pu. De plus, l’agence a utilisé au mieux l’indépendance que lui donne la loi pour impulser une réflexion sur sa propre activité[3]. Elle s’est attachée à promouvoir une transparence nouvelle des résultats de l’évaluation scientifique, et n’a pas cherché à cacher les appréciations critiques que ses activités ont pu susciter[4]. Cependant on a le sentiment d’un certain flottement des orientations derrière le détail des procédures. C’est que les questions de fond demeurent… C’est là-dessus que porte avant tout notre réflexion, et si l’AERES est souvent citée, c’est dans le souci de rester concret et actuel.
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