Ce texte est le support d’un exposé que j’ai fait au séminaire de Jean-Richard Cytermann à l’EHESS, le 18.11.2010. Il synthétise et complète sur certains points plusieurs articles antérieurs.
Aujourd’hui en France, lorsqu’il est question de politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche, on n’échappe pas à « l’excellence » : campus d’excellence, pôles d’excellence, initiatives d’excellence, laboratoires d’excellence, équipements d’excellence, chaires d’excellence, prime d’excellence scientifique… Cette épidémie frappe plus largement l’Europe. Ainsi l’Allemagne a lancé une « initiative d’excellence »[1]. La citation suivante extraite du récent document de l’Union européenne intitulé « Europe 2020 Flagship Inititaive – Innovation Union » résume assez bien l’idéologie sous-jacente :
Our education systems at all levels need to be modernized. Excellence must even more become the guiding principle. We need more world-class universities, raise skill levels and attract top talent from abroad.
We need to get more innovation out of our research. Cooperation between the worlds of science and the world of business must be enhanced, obstacles removed and incentives put in place.
On y trouve une double référence : aux classements internationaux d’universités, et à la « stratégie de Lisbonne ». On peut dire que cette politique de l’excellence a véritablement démarré dans les années 2000 avec l’explosion de la mondialisation. Initialement, la stratégie de Lisbonne lancée en 2000 visait à faire de l’Union Européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Cette stratégie volontariste apparaît en échec, à strictement parler, mais elle a été réactualisée, et la politique de recherche et développement reste au centre du dispositif.
Qu’il s’agisse des palmarès internationaux ou de la stratégie de Lisbonne, on voit immédiatement l’ambigüité du concept d’excellence : s’agit-il de formation, de recherche, ou d’innovation ? Se place-t-on dans une perspective scientifique, économique, ou démocratique ? L’abus du mot excellence ne vient-il pas conjurer le sentiment de déclin de l’Europe et, pour ce qui nous concerne ici, ne vient-il pas masquer notre incapacité à avoir de « véritables universités » en France ?