De la difficulté d’aller à contre-courant
Il y a une vraie difficulté à proposer aujourd’hui une autre politique de l’enseignement supérieur et de la recherche car, en face des réformes diverses et souvent contradictoires lancées par l’actuel gouvernement, le mouvement d’opposition a été essentiellement défensif. Il y avait des revendications tout à fait légitimes, mais l’inspiration générale était plutôt « conservatrice ». Beaucoup résumaient l’affaire à « une offensive néolibérale » contre le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, implicitement crédité de toutes les qualités. Aussi, toutes les propositions qui visent à changer ce système en profondeur courent-elles le risque d’être reçues comme une trahison. Mais c’est un risque à prendre.
Pour l’autonomie des universités
Une question centrale touche au rôle de l’Etat et à l’autonomie des universités. Quelle que soit l’issue politique en 2012, je ne crois pas que la longue marche des universités françaises [2] vers l’autonomie pourra tourner court, en dépit des graves défauts de la LRU. D’abord son application est trop avancée et les établissements s’y sont déjà engagés, en dépit des discours, d’une façon qui n’est plus totalement réversible. Mais, au-delà des aspects législatifs et règlementaires, l’autonomie est un changement de culture qui n’a de sens que si les acteurs y croient. Or, dans le récent mouvement contre les réformes, beaucoup se sont crispés sur une défense excessive et très contestable du pilotage centralisé par l’Etat. Pourtant l’autonomie fut naguère une idée de gauche. Ainsi dans le rapport du Collège de France remis en 1985 au président de la République, intitulé « Propositions pour l’enseignement de l’avenir », et rédigé au nom de ses collègues par Pierre Bourdieu, on trouve un vibrant plaidoyer pour l’autonomie dans tous les ordres d’enseignement, mais spécialement dans l’enseignement supérieur[3]. Un aspect positif de l’autonomie c’est de déchirer le voile de l’égalité formelle et de forcer les acteurs à se positionner et à s’impliquer, au lieu de s’abriter derrière l’application de règlementations prétendument neutres.
Un obstacle à l’émergence de véritables universités en France, outre l’histoire institutionnelle, c’est le doute et la méfiance que suscitent leur autonomie et leur rôle d’opérateur de recherche, alors qu’il faudrait une mobilisation de toutes les énergies pour assumer cette mutation dans de bonnes conditions. Il importe donc d’affirmer la valeur positive de l’autonomie, et d’inciter les universitaires à se l’approprier. Ceci suppose à coup sûr de corriger quelques dispositions de la LRU, mais tout ne se résume pas à la loi.