Je ne crois pas que la longue marche des universités françaises vers l’autonomie pourra tourner court, en dépit de graves défauts de la LRU. D’abord son application est trop avancée et les établissements s’y sont déjà engagés, en dépit des discours, d’une façon qui n’est plus totalement réversible. La LRU est entrée dans les mœurs, souvent à l’initiative ou avec l’appui des présidents qui la combattaient le plus.
Je suis de ceux qui pensent qu’il faut l’infléchir sur un certain nombre de points, mais faut-il, pour cela, changer la loi ? S’agissant d’autonomie, tout n’est pas dans la loi. Ceci est vrai dans tous les pays. Au-delà des dispositions législatives et règlementaires, l’autonomie est une culture[1]. En France, tout changement législatif donne lieu à de vives protestations. Indépendamment de la légitimité éventuelle de ces protestations, on a un blocage du dialogue et on tombe dans une logique du tout ou rien. Aujourd’hui une refonte radicale de la LRU désorienterait les établissements. A l’opposé, on a l’exemple de changements profonds qui n’ont pas fait l’objet d’une législation nouvelle, comme par exemple l’introduction du contrat d’établissement. Dans cette approche, tout n’est pas fixé d’avance ; on se contente d’ouvrir des portes, et le processus qu’on a initié acquiert progressivement ses règles. C’est cependant bien différent de la pratique hypocrite en usage aujourd’hui qui consiste à prétendre ne pas changer les règles, mais à tolérer que les plus malins s’en affranchissent[2].
Il faudrait déterminer ce qui, dans la LRU, doit être modifié de façon directive et uniforme, et ce qui pourrait être proposé à une modulation de la part des acteurs. Sur bien des points, on pourrait ouvrir des possibilités que les universités seraient libres de saisir ou pas. Le choix entre ces deux procédures est évidemment conditionné par des considérations politiques.
Les universités n’ont pas disposé d’un temps suffisant « d’appropriation » de l’autonomie accordée par la LRU. Il y a d’abord eu un grand mouvement de refus des réformes, de la part des enseignants chercheurs, qui s’est focalisé sur les questions de statuts : on ne peut pas nier certaines contradictions objectives qu’il y a entre un statut de la fonction publique et l’autonomie. Il y a eu par ailleurs une avalanche de projets qui relèvent davantage de la planification centralisée que de l’autonomie : Plan campus, RTRA, PRES, Initiatives d’excellence[3]… Les comportements que ces projets ont engendrés n’ont guère contribué à développer la culture d’autonomie. Les réponses aux appels d’offre ont été élaborées par de petits groupes, par-dessus les départements et les conseils élus ; ceci d’autant plus que les périmètres des projets pouvaient être assez artificiels, et que leurs cahiers des charges pouvaient paraître assez étrangers à la vie scientifique des entités concernées, et déconcerter bien des universitaires. Bien souvent les établissements ont fait appel à des consultants privés pour répondre aux appels d’offre. Ajoutons que les procédures de sélection des projets ont accentué le caractère décalé de ces opérations par rapport à la réalité scientifique et institutionnelle. Les experts étrangers ne possédaient peut-être pas une connaissance suffisante du contexte universitaire national.
Les statuts des PRES, des EPCS[4]… sont souvent bien artificiels aussi, quand ce ne sont pas des « usines à gaz »[5]. Lorsqu’il s’agit de fusion, la difficulté est de respecter tout ce qui fait la vie réelle des universités existantes. Lorsqu’il s’agit de PRES, d’EPCS ou même de fondations de coopération scientifique, la question se pose de l’équilibre entre les structures de gouvernance confédérale, les dispositifs de mutualisation, et la vie propre des universités partenaires dotées de leur nouvelle gouvernance. En tout cas, les projets fédératifs ont eu l’effet d’anesthésier le mouvement vers l’autonomie à l’intérieur des universités.
Il y a ce paradoxe d’une loi qui prétend instaurer l’autonomie des universités et, tout de suite après, l’accumulation d’obstacles à cette autonomie, et les freins de toute nature mis à son exercice. Une autonomie sans marges de manœuvre budgétaires n’a pas beaucoup de portée. En attendant que les universités rassemblent d’hypothétiques fonds privés (cela prend du temps : des universités comme Harvard ont mis des années à accumuler leur endowment), la masse salariale transférée aux établissements est calculée de façon si contrainte que certains se trouvent déjà en difficulté.