Imprimer cet article Imprimer cet article

Vive l’université ! Pour sourire un peu

Yannick Vallée est professeur à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, et a été président de cette université.

Imaginons que la modulation des services se mette en place dans une université autonome. Je dis bien, imaginons… Que se passerait-il alors ?

 

Le président élu de l’université en informe son conseil d’administration. Il précise que, en accord avec les principes de la loi LRU, il demandera au conseil scientifique et au conseil de la vie universitaire d’étudier le dossier. Le conseil d’administration accepte cette proposition de bon sens.

 

Les membres de ces deux conseils, consultés par le président, trouvent qu’il s’agit là d’un dossier important et complexe. Pas question de trancher à la va-vite. Le président propose de consulter les diverses communautés disciplinaires (les UFR) afin qu’elles puissent faire remonter leurs visions. Le bon sens universitaire l’emportant, l’idée de cette consultation est entérinée. Le président propose alors une « lettre de cadrage », un courrier envoyé à chaque UFR, rappelant les termes de la loi et du décret d’application, et précisant les grands axes sur lesquels il souhaite faire avancer l’université à cette occasion, par exemple : respect des communautés disciplinaires dans le cadre de la politique d’établissement, élaboration de grandes lignes applicables à tous, discussion au cas par cas avec chaque enseignant sur un contrat à quatre ans, aide aux plus jeunes collègues. Le débat est là plus âpre. « De quel droit le président s’autorise-t-il à encadrer les contributions! » disent certains. Le président rappelle que la loi (celle de 84 le faisait déjà) précise qu’il dirige l’université. « Il est de mon devoir de garantir que les discussions ne partent pas dans tous les sens”. Et il finit par un vibrant “sur une telle question, nous ne pouvons pas nous permettre un manque d’efficacité ! » qui emporte l’adhésion majoritaire des conseils.

 

Les UFR se mettent au travail. Le président ayant pris la précaution de fixer une date butoir pour la remontée des propositions, il obtient des documents dans des délais raisonnables (une semaine après la date butoir). Malgré la lettre de cadrage, tout cela est plutôt disparate. Une UFR se refuse à entrer dans le débat (tout le monde reste à l’équivalent de 128 heures de cours), une autre ne retourne qu’une liste de décharges d’enseignement en expliquant que décidément tout le monde enseigne trop, une troisième demande que les services d’enseignement soient établis par son directeur plutôt que par le président d’université, etc.

 

L’équipe présidentielle fait une synthèse des remontées et la transmet au conseil scientifique et au CEVU. Il se trouve alors plusieurs élus pour exiger d’avoir les documents originaux émanant des UFR. « On nous cache la réalité ! ». Le président, penaud, accède à la demande. La vie universitaire suit son cours, certes peu compréhensible de l’extérieur, mais parfois raisonnablement efficace. Débats, contre-débats, menaces de boycott, courrier outré d’un syndicat étudiant vexé de ne pas être consulté directement.

 

Finalement, sans trop l’avouer, tout le monde trouve que la note de synthèse du président n’était pas si mauvaise. Le conseil scientifique insiste toutefois pour que les directeurs de laboratoires soient consultés. Le président accepte l’idée (ce d’autant plus que son vice-président recherche la lui a déjà glissée). Réunion des directeurs de laboratoires.

 

Retour au conseil d’administration. Les élus étudiants rappellent le courrier qu’ils ont fait parvenir à la présidence, s’étonnent de ne pas avoir eu de réponse. Le président s’excuse : il est débordé de travail. Les personnels administratifs exigent que la question des heures d’ouverture de la bibliothèque universitaire soit réexaminée. Le président concède (on sent dans le ton de sa voix qu’il n’y croit pas) que ce n’est pas sans lien avec la question de la modulation de service des enseignants, mais repousse la question à un CA ultérieur.

 

Un professeur professe que si on aide spécifiquement les maîtres de conférences nouvellement nommés, il faudrait aussi décharger les nouveaux professeurs, à un moment où leur carrière recherche marque un point d’inflexion. Un maître de conférences ne comprend pas pourquoi son UFR a pris une position ultra-libérale. Le président répond qu’il aurait mieux valu qu’il en discute lors du débat interne à l’UFR, et ironise (inutilement) sur l’adjectif « libéral » utilisé, selon ses dires, à tort et à travers. L’ambiance monte. D’autant plus qu’un industriel nommé au CA (et qui représente plus ou moins le MEDEF) demande que l’investissement dans les relations université entreprise soit bien mieux reconnu. Le président prend sur lui de proposer un texte consensuel pour le prochain CA (non, pas celui où seront discutées les heures d’ouverture de la bibliothèque).

 

Réunion des vice-présidents. Que faire ? Le VP recherche trouve que l’accent est insuffisamment mis sur l’excellence (sous entendu, en recherche) ; le VP formation défend les collègues qui sans être « excellents, comme tu dis ! » rendent quand même bien des services à l’université ; quant au VP relations internationales, il est absent (en déplacement au Népal). Le président (troisième café) sent sa tension monter. Son secrétaire général tente de le calmer, « mon cher président… », mais l’agent comptable rappelle que le budget des heures complémentaires n’est pas élastique à l’infini. Le président : « c’est quand même moi l’ordonnateur des dépenses dans cette université ! ».

 

Nouveau CEVU, nouveau conseil scientifique. Troisième CA sur la question. Un texte est prêt. Il a reçu un avis favorable du conseil scientifique, plus mitigé du CEVU. Une majorité des directeurs d’UFR, bon gré mal gré, l’a accepté. « C’est un texte libéral ! » « C’est un texte mou ! » « Où sont reconnues les activités à l’international ? » (Tiens, le VP RI est revenu du Népal. En aparté le président lui fait remarquer qu’il fait partie de l’équipe présidentielle et qu’il est prié de la boucler).

 

La vie universitaire suit son cours… Et un jour (il y a galette des rois après le CA, mais ça n’a rien à voir), le CA entérine un texte qui fait la fierté de toute l’université. Les grandes règles sont clairement énoncées, les cas particuliers envisagés, les jeunes favorisés, les anciens motivés, la recherche excellente, la formation adossée à la recherche et les relations avec le Népal prioritaires.

 

En dehors, personne n’y comprend rien. Le journal local titre « Accord inespéré à l’université ». Le recteur croit bon de donner son avis. Bien sûr, trois mois plus tard, un professeur (sans doute grincheux) maintient qu’il n’a jamais été consulté, et qu’il l’avait bien dit et que ça ne pouvait pas marcher.

 

Pourtant, ça marche. La démocratie universitaire, étonnante, pesante, ennuyeuse, changeante, incompréhensible, a abouti à un texte renforçant l’autonomie et la qualité de l’université. Un camarade syndiqué glisse au président « et dire qu’on pensait qu’on en n’était pas capable et qu’on demandait mille garanties au ministre. On s’en est tiré. Superbe travail collectif ! ». Le président pense que quand même, tout ça c’est grâce à lui. Tout le monde est content. Vive l’université !