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Recomposition/Décomposition de l’université parisienne

Sous le titre « le grand micmac parisien », l’Officiel de la Recherche et du Supérieur » (ORS) écrit, en date du 22 avril 2009 : « Demandez à un observateur des universités son opinion sur les politiques d’alliances à Paris. La réponse sera souvent la même : « un grand bazar ». Sommés de constituer des groupements pour l’opération Campus, qui devaient préfigurer la création de PRES, les établissements de la capitale se sont en effet engagés dans un jeu complexe d’alliances, altérées par de réguliers retournements de situation. Pour mettre de l’ordre dans l’ensemble, le ministère de l’Enseignement supérieur a même estimé nécessaire de mandater un chargé de mission, l’ex-directeur général du CNRS Bernard Larrouturou, qui organise en ce moment la concertation ».

On ne peut qu’être en accord avec la tonalité générale de ce point de vue, mais il appelle d’emblée plusieurs remarques. Tout d’abord on peut s’étonner de voir associer aussi étroitement opération Campus et création de PRES. Lors du lancement de la première vague du plan Campus, le 6 février 2008, le ministère indiquait que « l’opération Campus vise à rénover et à redynamiser les campus existants grâce à un investissement massif et ciblé, pour créer de véritables lieux de vie, fédérer les grands campus de demain et accroître leur visibilité internationale. Il s’agit aussi de répondre aux situations immobilières les plus urgentes dans le cadre d’une réflexion plus globale permettant l’optimisation du patrimoine existant ». Il s’agissait d’un appel à projets auquel pouvaient répondre conjointement plusieurs établissements, mais il s’agissait avant tout d’opérations immobilières. Celles-ci pouvaient certes venir en appui de stratégies de rapprochement, mais l’association de plusieurs universités dans un projet Campus n’avait a priori aucune raison de « préfigurer un PRES ». Il est vrai que depuis leur institution par la LOPR (2006), les PRES - constitués ou en projet - sont des « auberges espagnoles ». La loi dispose que « plusieurs établissements ou organismes de recherche ou d’enseignement supérieur et de recherche, publics ou privés (..) peuvent décider de regrouper tout ou partie de leurs activités et de leurs moyens, notamment en matière de recherche, dans un pôle de recherche et d’enseignement supérieur afin de conduire ensemble des projets d’intérêt commun ». Il s’agit, on le voit, d’une définition assez large, mais la loi prévoit parallèlement que « ces pôles peuvent être dotés de la personnalité morale, notamment sous la forme d’un groupement d’intérêt public, d’un établissement public de coopération scientifique ou d’une fondation de coopération scientifique ». Ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas simplement de mener en commun des opérations immobilières. Par ailleurs, qu’il s’agisse des PRES ou du plan Campus, l’initiative et le contenu du projet devaient revenir en principe aux établissements autonomes. Si cette philosophie a été plus ou moins respectée en province, il en va tout autrement à Paris où toute autonomie disparaît derrière la volonté planificatrice ministérielle - voire gouvernementale comme dans le cas du plateau de Saclay. Un exemple assez illustratif en a été donné par le Campus Condorcet. Il fallait trouver un moyen de financer la relocalisation de l’EHESS, que le CPER 2007-2013 ne couvrait que très partiellement. A partir de là, le ministère a conçu un projet plus ambitieux de campus de sciences humaines et sociales au nord de Paris, qui n’est plus une entreprise de « rénovation et de redynamisation des campus existants », mais une création entièrement nouvelle dont le principal problème était de savoir comment elle s’articulait avec les différentes universités partenaires. Les uns et les autres ont voulu en être dans la mesure où il y avait de l’argent à la clé, mais sans que cela soit l’expression de leurs projets propres. Ceci d’autant plus que les établissements concernés étaient déjà partenaires de projets de PRES distincts : l’EHESS était partie prenante du projet « Paris Universitas » tandis que Paris 1 était engagée dans le projet « Paris Centre Universités » et que Paris 8 et Paris 13 avaient amorcé un rapprochement dans un projet de « PRES Nord » qui figure par anticipation dans le CPER Ile de France 2007-2013. Et la question s’est effectivement posée de savoir si le projet « parachuté d’en haut » du Campus Condorcet remettait en cause les rapprochements antérieurs, ce qui montre bien le caractère embrouillé et indéterminé de toutes ces constructions.

LA CONFUSION PARISIENNE EST A SON COMBLE

Ce mode de pilotage centralisé, contraire à l’esprit initial du plan Campus et des PRES,, se retrouve à un degré supérieur à Paris Centre, avec la mission donnée à Bernard Larrouturou. Ce qui rend la situation inextricable, c’est qu’on semble vouloir articuler – tout en s’en défendant - le plan Campus avec la création de PRES alors que les deux projets de PRES préexistants ne coïncident pas avec les trois regroupements qui se sont opérés pour candidater au plan Campus de Paris intra muros, et qui sont :

  • Universités Paris 5 et Paris 7, Sciences-Po, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et Ecole des hautes études en Santé Publique (EHESP)
  • Universités Paris 2, Paris 3, Paris 4 et Paris 6
  • ENS, Collège de France, ESPCI, Observatoire, ENSCP et Muséum.

On nous dit que les deux premiers projets Campus sont « structurés par des PRES en constitution ». Tandis que le dernier regroupement n’envisage pas de PRES.

Or on avait, depuis deux ou trois ans déjà, deux « alliances » d’universités parisiennes préfigurant des PRES[1]. L’une des deux alliances, « Paris Universitas », la plus active, dispose même déjà d’un « conseil d’administration » et d’un « délégué général » Gilbert Béréziat . Rappelons quelles étaient ces deux alliances :

  • « Paris Universitas » regroupait EHESS, ENS, EPHE, Paris-Dauphine, Paris 2, Paris 3, Paris 4, Paris 6.
  • « Paris Centre Universités » regroupait Paris 1, Paris 5 et Paris 7.

Le groupement de projet Campus issu de « Paris Universitas » ne comprend pas l’EHESS et l’EPHE, déjà « servies » avec le Campus Condorcet, et on a vu récemment Paris 3 « changer de trottoir » pour s’intégrer au premier groupement pour des raisons peu claires. Les mauvaises langues disent que la présidente de cette université a été très déçue de ne pas récupérer, avant le désamiantage de Censier, une surface de 30.000 m2 à Jussieu, où malheureusement Paris 6 devra finalement reloger ses chimistes… Il faut aussi mentionner l’antagonisme de Paris 3 et de Paris 4, qui pousse Paris 3 à faire alliance avec Paris 1 pour bloquer l’utilisation de la « marque Sorbonne » par « Paris Universitas ». On voit qu’on est loin d’une grande politique universitaire… Le groupement a également exclu Paris Dauphine qui était un partenaire initial de « Paris Universitas ». Cette université souhaitait pourtant en faire partie, et s’en est d’ailleurs émue auprès du ministère. « Paris Universitas » vient d’être invitée, semble-t-il, à participer la CPU en tant que PRES. Pourtant l’alliance n’a jamais voulu s’inscrire jusqu’ici dans une stricte logique de PRES (c’est pour l’instant une simple association). Une raison prosaïque en est sans doute que l’alliance ne veut pas perdre l’EHESS et l’ENS. Quoi qu’il en soit, la prochaine AG de « Paris Universitas » devra trancher, y compris sur le sort de Dauphine.

Par ailleurs, le second groupement Campus a annoncé son intention de se constituer en un PRES « Université Paris Cité » auquel, outre Paris 3, l’université Paris 13 envisagerait de s’associer[2]. Quant à l’université Paris 1 qui ne figure pas dans le groupement, étant impliquée dans le Campus Condorcet, elle pourrait cependant revenir dans le PRES « Paris Cité » s’il faut en croire le président de Paris 7 – aujourd’hui démissionnaire – Guy Cousineau. On suppose que le premier projet « Paris Centre Universités » a été bazardé sans le dire. Ce qui n’empêchait pas le même Guy Cousineau de déclarer le 28 novembre 2008 devant des journalistes européens, que le PRES « Paris Centre Universités » pourrait être un prélude à la fusion des universités Paris 1, Paris 5 et Paris 7… Tout ceci ne contribue pas à clarifier la situation… Si l’aventure « Université Paris Cité » allait jusqu’à son terme, on aurait un ensemble assez ingérable de 150.000 étudiants, qu’on pourrait difficilement appeler un PRES ! Cette ambition mégalomaniaque – avec référence au classement de Shanghai et au « peloton de tête des établissements de l’Union Européenne et du monde » – donne la tonalité générale du projet. Plus particulièrement, il s’agit de créer un pôle universitaire « au centre de la cité, en interaction et en résonance avec ses habitants et ses activités ». Le campus ainsi constitué serait « une agora active de la vie intellectuelle à Paris ». En somme un projet « mégalo-bobo » parisien…

Si l’on rajoute aux Campus les RTRA, les pôles de compétitivité… on a un empilement de structures, à des niveaux différents, dans lesquelles les établissements s’investissent en fonction des avantages directs qu’ils espèrent en tirer. D’une manière générale en France, les PRES sont progressivement désinvestis car la valeur ajoutée qu’ils étaient susceptibles de produire n’est plus aussi évidente. Les universités strasbourgeoises s’en sont passées comme étape préliminaire à leur fusion. Les PRES sont des structures de coopération parmi d’autres[3]. En matière de recherche, c’est plutôt les RTRA qui apportent les moyens. S’agissant de la gouvernance universitaire, les PRES avaient paru offrir de nouveaux modes de gouvernance plus efficaces que les universités, mais aujourd’hui que la LRU a doté celles-ci de nouvelles compétences et de nouveaux instruments, il s’agit pour elles de se les approprier avant de songer à les mutualiser. Il faut faire vivre l’autonomie plutôt que de rêver à des « pseudo-fusions » utopiques en rajoutant une couche administrative supplémentaire.

Dans Paris Centre il reste les « petits établissements » de la montagne Sainte-Geneviève (ENS Ulm, Collège de France, Chimie ParisTech, etc.) qui ont, eux aussi, déposé un projet de campus qui ne devrait pas donner lieu à la constitution d’un PRES. Les regroupements parisiens à géométrie variable obéissent pour l’instant au plus grand opportunisme. Ces constructions sont l’affaire des dirigeants et n’apportent pas grand chose aux universitaires de base. Dans ce grand jeu de monopoly, on perd de vue la recomposition universitaire et les objectifs de stratégie scientifique. Finalement à Paris, ce sont les problèmes immobiliers (locaux de qualité, assez grands, réunifiés, cohérents…) qui semblent les problèmes essentiels. Ainsi que l’image de marque des universités sur la scène internationale. Ce dernier aspect induira inévitablement des rapprochements au moins formels entre facultés des sciences et facultés de sciences humaines et sociales. La question de la taille des ensembles universitaires est aussi souvent mise en avant, de façon complètement artificielle, pour espérer remonter dans le classement de Shanghai ! Cet argument est dérisoire lorsqu’on sait la taille des universités internationales qui sont en tête de ce classement[4]… Les déterminants des rapprochements risquent donc d’être davantage « politiques » et tactiques que stratégiques et académiques. Pour l’instant, en tout cas, la confusion est à son comble…

LA PERIPHERIE PARISIENNE ET LES PRES « TERRITORIAUX »

Les seuls véritables PRES existant en Ile de France se situent dans la périphérie et sont des PRES “territoriaux”. Le plus ancien est « Universud » qui a subi quelques variations de périmètre depuis ses débuts[5]. Ses membres fondateurs sont l’université Paris 11, l’université de Versailles Saint-Quentin (UVSQ), l’École normale supérieure de Cachan (ENSC), l’École Centrale de Paris, et l’École supérieure d’électricité (Supélec). Il y a en outre 17 membres associés à des degrés divers. Ce PRES de 50.000 étudiants a une vocation de coordination et de mise en place de projets fédératifs. Les collectivités les plus impliquées sont les conseils généraux. Le PRES doit composer avec un grand nombre de structures et d’opérations comme les RTRA (« Triangle de la Physique », « Digiteo »), les pôles de compétitivité, le plan Campus, mais aussi « l’Opération d’intérêt national du Plateau de Saclay »[6] qui tend à marginaliser le PRES faute pour celui-ci d’en avoir été le fer de lance.

Le PRES « Université Paris-Est » comprend comme membres fondateurs l’Université de Marne la Vallée, l’Université Paris 12, l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées (ENPC), le Laboratoire central des Ponts et Chaussées (LCPC) et l’Ecole supérieure d’ingénieurs en électronique et électrotechnique (ESIEE), auquel se joignent autant de membres associés dont l’INRETS. Ce PRES peut être vu comme la suite du « Polytechnicum » créé par l’Université de Marne et l’ENPC, auquel s’est jointe l’université Paris 12 après son départ du PRES « UniverSud ». Le PRES « Paris-Est » privilégie la coordination et la visibilité internationale de la recherche dans l’Est parisien, avec écoles doctorales communes, doctorat sous sceau commun, signature commune des publications, et structure commune de valorisation. L’ENPC appartient également à Paris Tech qui n’est pas un PRES à proprement parler, mais plutôt un consortium de grandes écoles. Son degré d’intégration dans Paris-Est reste cependant hypothéqué par cette double appartenance.

Dans cette même logique territoriale, on doit citer le « PRES Cergy University » qui n’est pour l’instant qu’une association regroupant autour de la seule Université de Cergy-Pontoise une dizaine d’écoles publiques ou privées. Ce regroupement assez lâche établit entre ses membres un début de coopération sur la recherche et les écoles doctorales. Il trouve son unité dans son inscription territoriale dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, et dans un partenariat institutionnel fort avec la Communauté d’agglomération et le Conseil général du Val d’Oise.

Pour terminer ce tour d’horizon, il faut mentionner le projet de « PRES Nord » qui était allé assez loin dans sa constitution puisqu’une convention constitutive avait été soumise aux conseils d’administration des établissements en 2007. Ce « PRES » comptait comme membres fondateurs l’Université Paris 8, l’Université Paris 13, le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et l’Institut Supérieur de Mécanique de Paris (SUPMECA). Diverses autres institutions avaient manifesté leur intention d’en devenir membres associés, et il se déclarait ouvert aux « collectivités et entreprises directement engagées dans des projets communs avec les établissements du PRES ». Ce projet qui s’inscrivait fortement dans le territoire nord parisien était très soutenu – y compris financièrement - par la Communauté d’agglomération Plaine-Commune et le Conseil Général de Seine Saint-Denis. Par ailleurs, comme il est rappelé plus haut, il avait été acté et financé par anticipation – sous le sigle « PRES Nord » – dans le CPER Ile de France 2007-2013. Cependant ce projet a été d’abord gelé, puis quasiment abandonné, par la volonté du nouveau président de Paris 13 élu à la fin de 2007. On retrouve ici le rôle décisif joué par les dirigeants d’universités dans les processus de rapprochement et de recomposition universitaire. Il est vrai que la nouvelle orientation présidentielle s’appuyait sur des préventions de Paris 13 vis-à-vis de Paris 8, qui trouvaient d’ailleurs leurs contreparties en sens inverse. Mais les difficultés relationnelles entre Paris 8 et Paris 13, qui renvoient à des cultures d’établissement différentes, ne sont pas plus importantes que celles qui existent entre certains partenaires des PRES de Paris intra-muros (que l’on pense à « l’abîme » qui sépare Paris 4 et Paris 6). Les relations entre les universités Paris 8 et Paris 13, bien qu’implantées à 2 km de distance, étaient restées quasiment inexistantes jusqu’à une date assez récente. Elles se sont beaucoup développées après la création de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord (MSHPN) qui associe les deux universités avec le CNRS. Et le positionnement réciproque de ces deux universités si proches dans leur environnement commun est incontournable. Paris 8 de son côté semble s’être rapprochée de Paris 10-Nanterre. Mais on peut être sceptique sur l’avenir d’une éventuelle super-faculté de Lettres Sciences Humaines et Sociales, Paris 8 – Paris 10. La crise actuelle montre à quel point l’option française des « universités » de Sciences Humaines et Sociales est désastreuse.

Le président de Paris 13 semble avoir choisi l’option de raccrocher son université au PRES « Université Paris Cité ». Ce schéma de « PRES en pétale » avait été préconisé naguère, sans grand succès, par le vice-président chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche de la Région Ile de France. Il n’a été jusqu’ici retenu par aucune autre université périphérique. Il mérite qu’on s’y arrête, même si l’extrême confusion qui règne actuellement à Paris-Centre suffit à disqualifier cette option. En effet, ce modèle de « PRES en pétale » renvoie à une conception de la recomposition de l’université parisienne, qui est loin d’être politiquement neutre.

QUELQUES IDEES SIMPLES

Si l’on pense que les universités et les écoles d’Ile de France doivent se regrouper en plusieurs ensembles, il faut être capable de dire pourquoi et comment. Pour simplifier, parlons de ces regroupements comme des PRES, quel que soit leur statut exact. Et donnons quelques idées simples.

1) On ne peut pas définir un PRES par les collaborations scientifiques entre ses membres. En effet, en Ile de France, tous les établissements ont établi, ou ont vocation à établir, entre eux des projets collaboratifs. Certes l’existence de relations scientifiques fortes entre deux établissements pourrait justifier un rapprochement dans le cadre d’un PRES, mais le caractère privilégié de la relation entre deux établissements dépend beaucoup de la sous-discipline considérée. On peut constater d’ailleurs que les relations existantes ne respectent pas les limites des PRES : ainsi, Paris 11 a, en sciences, beaucoup de relations avec Paris 6 et 7 ; pour citer un exemple périphérique particulier, le laboratoire des lasers de Paris 13 a une relation forte avec le laboratoire de l’Institut d’optique de Palaiseau ; quant aux mathématiques, elles fonctionnent en réseau sur l’ensemble de l’Ile de France. Tandis qu’en sens inverse les relations entre, par exemple, Paris 5 et Paris 7 qui sont dans le même futur PRES, sont faibles. Et un point fort du PRES Paris Universitas est le rapprochement de Paris 4 et de Paris 6, qui s’inscrit en dehors de toute collaboration disciplinaire.

2) Une étude datant de quelques années sur la mobilité étudiante en cours d’études[7] entre établissements, est également instructive. Cette mobilité, relativement forte, intéresse globalement environ 10% des étudiants, mais jusqu’à 30% pour le passage du deuxième en troisième cycle. Cependant 15% seulement de ces migrations se font entre établissements appartenant à un même PRES (effectif ou en projet). Ce faible niveau d’intégration interne se double d’une diversité des réseaux externes des établissements d’un même PRES. Les logiques de construction des PRES ne correspondent donc que très partiellement aux logiques de filières que les mobilités étudiantes ont pu révéler.

3) Les seuls véritables PRES existant en Ile de France sont des « PRES territoriaux » qui sont des réalités géographiques et « politiques » tout autant qu’académiques. Ces PRES peuvent être scientifiquement hétérogènes, mais trouvent leur raison d’être par la position commune qu’occupent leurs composantes dans un territoire et un environnement donnés, et par leurs rapports aux collectivités et aux entreprises de ce territoire. A titre d’exemple, les liens qui se sont établis entre l’Université de Marne la Vallée et l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, autour de la ville et des transports, de la mécanique et du génie civil…, résultent de leur proximité territoriale ; cette proximité a engendré des relations scientifiques originales qui n’auraient pas existé si l’ENPC avait eu son implantation de l’autre côté de Paris. C’est aussi cette logique territoriale qui a poussé l’université Paris 12 à abandonner le PRES Universud pour rejoindre Paris Est. Un intérêt des ces PRES territoriaux est qu’ils sont pluridisciplinaires puisqu’ils regroupent l’ensemble des ressources universitaires d’un territoire.

4) En dehors de cette logique territoriale, la logique pluridisciplinaire est probablement l’une des plus pertinentes. Il faut, en effet, résorber l’isolement des facultés de sciences humaines et de sciences sociales, qui constitue une triste exception française. De ce point de vue, on ne peut qu’encourager les rapprochements entre disciplines à Paris intra muros, même s’ils sont au départ un peu formels. C’est un enjeu considérable de réintégrer les sciences humaines et sociales dans une perspective d’ensemble de la formation universitaire. On attend aujourd’hui des universités qu’elles répondent plus étroitement aux besoins de l’économie et qu’elles contribuent plus directement aux processus d’innovation. Ce faisant, on a tendance à privilégier les formations scientifiques et techniques au détriment des sciences humaines et sociales[8]. C’est une vision réductrice de la relation entre les universités et l’économie, et c’est un contresens majeur sur le rôle des universités, qui est beaucoup plus large[9]. Celles-ci ne sont pas des entreprises qui fournissent un produit bien défini, selon un processus de production standardisé. Beaucoup des qualités appréciées dans la « société de la connaissance » (esprit d’entreprise, capacité managériale, leadership, vision, travail en équipe, adaptabilité, application concrète de compétences techniques) ne sont d’ailleurs pas des caractéristiques premières, mais dérivent de qualités plus fondamentales qui résultent d’une formation générale dans un contexte pluridisciplinaire..

5) La logique qui voudrait constituer a priori des ensembles de grande taille pour accroître leur visibilité internationale, n’est pas pertinente au-delà d’un certain seuil. Les exemples internationaux sont là pour nous le rappeler. Il y a également l’idée qu’un grand ensemble universitaire aura un poids important de négociation vis-à-vis des pouvoirs publics. Mais cet argument n’a de sens que s’il existe dans ce grand ensemble une communauté d’objectifs et d’intérêts ou une cohérence des stratégies universitaires qui ont peu de chances d’exister dans un grand ensemble hétérogène.

6) La logique de « PRES en pétale » reviendrait à faire des universités périphériques des appendices des universités centrales, qui se définiraient soit par leur fonction de « collège universitaire », soit par une extrême spécialisation, soit encore, comme certains l’ont suggéré pour les universités implantées en milieu populaire, comme « laboratoires de réflexion et d’innovation pédagogique pour les autres universités ». Cela reviendrait à tirer un trait sur la politique ambitieuse qui avait consisté à implanter de véritables universités dans les zones périphériques ou les villes nouvelles. Cette ambition demande un volontarisme et un effort financier important de la part de l’Etat, ce qui n’a pas souvent été le cas. Ce serait donc une solution de facilité et d’économie, d’y renoncer. Cela correspondrait assez bien aux options de « rationalisation » prônées par le pouvoir actuel. Bernard Belloc, conseiller du président de la République, participant à la séance de clôture d’un colloque « Diversité et Enseignement supérieur » au Sénat, le 9 mars 2009, déclarait : « Pourquoi ne pas imaginer que des universités parisiennes puissent, dans certaines filières, notamment droit et médecine, accueillir davantage de jeunes issus de Seine-et-Marne, Val-de-Marne et Seine-Saint-Denis, qui ont de très bons résultats scolaires mais se trouvent enfermés dans ces territoires ? ». Cette déclaration injustement dévalorisante pour les universités de l’académie de Créteil, lui a valu une protestation indignée des présidents[10]. Bernard Belloc s’est excusé, mais sa déclaration n’était pas anecdotique. Si l’on suivait cette orientation, on serait perdant aussi bien du point de vue de la démocratisation de l’enseignement supérieur que de l’aménagement du territoire. Pour une université comme Paris 13, cela reviendrait à une véritable liquidation du « projet démocratique » sur laquelle elle a été fondée. Au contraire les logiques territoriales doivent être encouragées à la périphérie parisienne, ce qui n’exclut pas que les universités concernées choisissent des créneaux originaux et que leur projet ne soit pas simplement le décalque de ce qui se fait dans les grandes universités de Paris-Centre. Mais il faut maintenir une fluidité suffisante dans le dispositif universitaire parisien de façon que la réussite la plus haute – y compris dans les filières générales - ne soit pas l’apanage de certaines universités socialement privilégiées, comme c’est déjà le cas pour les classes préparatoires et les grandes écoles. En particulier, sans faire obstacle à la mobilité, il faut offrir localement à la jeunesse populaire des conditions de réussite qu’elle ne trouve pas toujours en allant « au centre ». Il faut faire reconnaître un modèle dans lequel la valorisation des ressources humaines issues des couches populaires et de l’immigration peut se concilier avec la recherche d’un haut niveau scientifique.

EN GUISE DE CONCLUSION

Il est raisonnable de privilégier des logiques de cohérence immobilière et de rapprochement interdisciplinaire à Paris intra-muros, et des logiques plus territoriales à la périphérie. Il restera à assurer une cohérence d’ensemble. Mais cette cohérence ne peut pas être une relation de vassalité de la périphérie par rapport au centre. Ce pourrait être une organisation fédérative souple, comparable à celle de l’Université de Londres (The University of London), dans laquelle on donnerait à des ensembles universitaires variés, ayant chacun leur équilibre propre, la capacité de vivre leur autonomie.



[1] Ces deux « PRES » possèdent chacun leur site web, plus ou moins tenu à jour pour « Paris Universitas » , à l’abandon pour « Paris Centre Universités »

[2] Le CA de Paris 13 a autorisé le président à engager des négociations en ce sens. Cette décision obtenue un peu à la sauvette (traitée en « questions diverses » au CA) suscite de vives oppositions internes.

[4] Harvard a 20.000 étudiants, Stanford 15.000, le MIT 10.000…

[5] Il ne reste plus que trois des cinq membres fondateurs du projet initial.

[8] Il n’est pas étonnant, dans ce contexte utilitariste, que les sciences humaines et sociales se sentent menacées et réagissent avec une violence que l’on ne trouve pas dans les universités scientifiques.