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Quelques propositions sur la structure et la gouvernance des nouvelles universités

Depuis une vingtaine d’années, les établissements d’enseignement supérieur sont engagés[1], sous des formes diverses, dans des rapprochements institutionnels, tant en France qu’à l’étranger (Belgique, Ecosse, Allemagne, Chine …).

Ces rapprochements, qu’il s’agisse de fusions (pour la France : Strasbourg, Aix-Marseille, Lorraine, Bordeaux en cours), de la création de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) ou d’autres dispositifs, concernant aujourd’hui la majorité des universités, posent des questions institutionnelles nouvelles et on en va examiner certaines ici. Je ne traite pas de thèmes importants comme la nature de la mission de service public de ces universités, de la définition des diplômes nationaux, des droits d’inscription, des rapports universités/organismes de recherche ou autres sujets largement indépendants du thème spécifique abordé ici. Nous n’abordons pas non plus, sauf incidemment, les défauts de la loi LRU en matière d’élection et de gouvernance.

L’objectif de ce texte est surtout de réfléchir à certaines des questions particulières posées par la création de nouveaux ensembles universitaires, c’est-à-dire[2] de nouvelles universités. Mais certaines de ces questions, dont l’articulation entre démocratie et composition des instances, sont de portée un peu plus générale.

1-Les rapprochements. Contrairement à ce que certains affirment, l’idée de fusion entre universités n’est pas venue d’une impulsion de l’État soucieux de RGPP ou du post-LRU. En particulier, cette loi, qui ne traite en rien de ce sujet parce qu’il n’était pas alors à l’agenda gouvernemental, n’a pas facilité ces rapprochements, bien au contraire, tant ses dispositifs de gouvernance sont alors inadaptés. La fusion strasbourgeoise, discutée depuis 2001 et réalisée à la fin 2008, les débats autour du pacte sur la recherche et la publication en 2006 de la loi créant les PRES, la montée en puissance de l’échelon régional comme enjeu de programmation stratégique, le lancement du plan campus et surtout des Idex, ont poussé plusieurs grands sites à aborder le nouveau thème des rapprochements, voire des fusions, entre établissements.

Les raisons principales de ces évolutions sont : la nécessité d’arriver à une taille critique[3] internationalement visible ; l’absurdité de découpages disciplinaires datant de 40 ans[4] entre universités d’une même aire urbaine ; l’importance de plus en plus nette de la territorialisation de l’enseignement supérieur. S’ajoutent sur certains sites (c’est le cas en Île-de-France, à Lyon et à Toulouse pour citer les cas les plus importants) la volonté de grandes écoles et d’universités de passer à des partenariats plus stratégiques. Enfin il arrive que des organismes de recherche cherchent à définir de nouvelles relations avec ces nouveaux ensembles universitaires, allant au delà de la démarche contractuelle qui s’est imposée depuis une quinzaine d’années. L’appel d’offre Idex a conduit les responsables de ces projets, engagés dans un double mouvement d’accélération et d’approfondissement des collaborations (sur un site), et de compétition plus acharnée (entre sites) à proposer, faute de dispositions réglementaires adéquates, des montages institutionnels délicats, souvent peu convaincants en matière d’efficacité et toujours critiquables en matière de collégialité ou de représentation des acteurs de terrain.

La mise en place des PRES, formule appréciée des collectivités locales heureuses d’avoir une vision intégrée - avec une simplification du jeu d’acteurs - de la politique universitaire, n’a pas conduit aux évolutions importantes espérées par les promoteurs de ce type de collaboration. Il est vrai que la loi LRU, donnant aux établissements des capacités d’action dont les PRES n’ont pas disposé, a limité l’intérêt de ceux-ci et que le lancement des Idex les a encore affaibli. Mais, probable conséquence du caractère resserré et non collégial des instances de direction des PRES, ceux-ci, à de rares exceptions près, ont été perçus par les personnels comme des dispositifs bureaucratiques lointains, voire dangereux.

Rappelons que les PRES « peuvent être dotés de la personnalité morale » (c’est le cas de la vingtaine qui existent), « notamment » sous la forme de GIP, de FCS et d’EPCS. Les PRES ont tous choisi, bon gré mal gré, le statut d’EPCS.  La loi est rédigée d’une façon telle qu’il semble que les EPCS sont forcément des PRES. A noter que deux d’entre eux (ParisTech et Agreenium) ne comportent pas d’université fondatrice et que plusieurs établissements sont fondateurs de plusieurs PRES (Université Versailles St Quentin, Ecole des Ponts, Ecole des Arts et Métiers, Chimie Paris, ESPCI, Agro Paris). Les évolutions en cours de ce paysage donnent à penser qu’on va multiplier ces doubles appartenances et même parfois passer à des géométries encore plus compliquées (c’est déjà le cas des Arts et Métiers et d’autres écoles présentes sur plusieurs sites).

2-Les solutions actuelles et les questions soulevées. Dans les cas les plus « simples », ces rapprochements aboutissent à des fusions dans une nouvelle université dont la gouvernance est celle, telle que définie par la loi LRU, des autres universités (Strasbourg, Aix-Marseille, même orientation à Bordeaux). Les défauts de la gouvernance de la loi LRU sont alors augmentés par la grande taille de ces nouveaux établissements. Un CA aussi resserré, comportant un nombre aussi restreint de représentants des personnels, donne un poids excessif à ceux qui ont été élus, d’autant que la prime à la liste majoritaire écrase les minoritaires. La gouvernance n’en n’est pas plus efficace pour autant et un président qui cherche à s’appuyer sur le dynamisme de la communauté universitaire, et donc aussi à l’encourager, doit mettre en place de nombreuses commissions ad hoc, qui n’ont pas toutes la légitimité d’organes statutaires bien définis.

Ces fusions conduisent à un grand nombre de composantes internes (38 facultés ou instituts à l’Université de Strasbourg, 21 au sein d’Aix-Marseille Université, qui a aussi de nombreux services communs à vocation scientifique ou pédagogique) dont on sait qu’elles ont souvent un problème de positionnement vis-à-vis de leur université, et réciproquement. L’organisation interne des universités (est-ce que les UFR, telles qu’elles sont définies dans la loi, sont pertinentes ?) est un chantier à ouvrir, mais nous n’allons pas plus en parler ici.

Dans le cas de l’université de Lorraine, les inquiétudes des grandes écoles qui composaient l’Institut national polytechnique, minoritaires dans l’ensemble fusionné, ont conduit à choisir la formule du grand établissement. En effet dans ce cas, les statuts, largement dérogatoires aux règles applicables aux universités, font l’objet d’un décret en Conseil d’Etat. Leur modification en est ainsi rendue difficile,  garantissant ainsi que les équilibres de pouvoir issus des négociations de la fusion ne puissent trop facilement être remises en cause ultérieurement par une majorité, même confortable, au sein du CA. Autrement dit, le choix paradoxal a été ici de refuser, via la formule du grand établissement[5], la trop grande liberté de changement statutaire ouverte aux universités, et renforcée par la loi LRU.

Outre Bordeaux, où la fusion est en cours, il est probable que d’autres fusions, en nombre limité (moins de 4 ou 5 sites sont concernés dont peut-être Grenoble, Lille, Montpellier et Rennes)  se réaliseront.

Cette formule, qui a le mérite de la simplicité, n’est guère adaptée pour les plus grandes métropoles (Lyon-Saint Etienne, Saclay, une bonne part des ensembles de Paris-Centre, Toulouse). Elle sera difficile à utiliser pour organiser les universités « régionales » évoquées ici ou là. Pour ces sites, les questions à traiter relèvent de plusieurs logiques croisées : fusion de certains établissements (mais pas de tous) ; mise en commun sous le mode fédéral (certains souhaitent en rester à un mode confédéral) d’activités et de stratégies d’établissements[6] gardant leur personnalité morale; rôle direct des organismes de recherche dans la gouvernance de ces nouvelles universités.

On peut défendre l’idée qu’il n’est pas acceptable de constituer de nouvelles universités regroupant des établissements gardant, pour certains d’entre eux, une personnalité morale et juridique autonome. Il est bien entendu plus simple d’éviter, quand on le peut, les complications apportées par la superposition d’établissements publics. Mais une solution aussi radicale limitera dans les faits les rapprochements entre écoles et universités : les écoles qui ont une forte image nationale et internationale et des soutiens conséquents de milieux professionnels[7] ne vont pas accepter de perdre l’autonomie financière et la personnalité morale. C’est une question que le législateur a déjà traitée en introduisant en 1984 (article 43 de la loi Savary, devenu, avec quelques variantes, l’article 719-10 du Code de l’Education) la possibilité du « rattachement » d’un établissement d’enseignement supérieur à un ou plusieurs autres. C’est depuis 1989 la situation des IEP de province (hors celui de Strasbourg qui est un institut interne de l’université), de plusieurs écoles d’ingénieurs et de commerce, notamment d’écoles publiques dépendant de ministères « techniques » (agriculture, culture), ou d’écoles privées ou consulaires. Enfin, l’université de Haute Alsace vient d’être rattachée à l’université de Strasbourg, seul exemple d’une université rattachée à une autre.

Le rattachement se fait sur la base d’une convention qui précise le rôle de chacun et qui indique ainsi les compétences relevant du niveau central et celles qui sont exercées par l’établissement rattaché. Il n’y a aucune formule obligée et, si ces conventions peuvent ne porter que sur des points pratiques, visant surtout à des mises en commun de services administratifs ou logistiques, ce qui a été le cas en général pendant une vingtaine d’années, on peut aussi décider de traiter au niveau central de sujets stratégiques de formation, de recherche, d’action internationale ou de valorisation concernant aussi l’établissement rattaché. De ce point de vue, l’expérience des PRES, même si elle est limitée, ouvre de nouvelles pistes pour utiliser de façon plus ambitieuse l’article 719-10.

Cette formule juridique, qui a le mérite de la souplesse, connaît un renouveau depuis quelques années, notamment à cause de l’intérêt des ministères de l’agriculture et de la culture. Elle mérite d’être plus utilisée par d’autres ministères, y compris par le MESR. Elle est actuellement explorée par plusieurs écoles privées, dont les missions sont de service public, qui cherchent à se rapprocher d’autres écoles ou d’universités.

Elle pose cependant le problème de l’articulation entre les décisions des CA de l’établissement central et de ceux des établissements rattachés. Un établissement rattaché ne devrait pas avoir systématiquement le même type de représentation interne qu’une UFR ou qu’une école intégrée. Je crois utile de rendre possible[8], mais pas obligatoire, par délibération statutaire qui peut être couplée à la demande de rattachement, la présence du responsable (directeur ou président) de l’établissement rattaché dans le CA de l’établissement central : une telle disposition faciliterait d’autres rattachements, ce qui permettrait aux universités d’être attractives vis-à-vis d’écoles qui restent encore méfiantes. Le modèle universitaire, ainsi rénové, y gagnerait en généralité, ce qui accélérerait le mouvement faisant des universités l’axe central, mais pas exclusif, de l’organisation de l’enseignement supérieur en France.

Les propositions faites dans le cadre des Idex, s’inscrivant dans le dispositif législatif et réglementaire actuel, montrent la difficulté de l’exercice dès lors qu’il faut coupler de nombreux établissements. La formule « Établissement public de coopération scientifique » (EPCS) présente des avantages statutaires et juridiques (délivrance des diplômes par l’EPCS, fondateurs pouvant être de statuts très variés). C’est ce qui explique qu’elle ait souvent été proposée, faute de mieux, pour les nouvelles universités que les projets d’Idex doivent permettre de constituer. 

Les délégations obligatoires de compétence des EPCS sont les suivantes (Art. 344-4 du code de la recherche): équipements partagés, coordination des activités des écoles doctorales, valorisation de la recherche, promotion internationale. Le CA est composé de membres relevant de six catégories : représentants des établissements fondateurs ; personnalités qualifiées désignés par eux ; représentants d’entreprises et de collectivités ; d’associations ou de membres associés ; représentants des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs ; représentants des autres personnels ; représentants des étudiants. Rien n’est dit dans la réglementation sur d’éventuelles composantes internes des EPCS (facultés, départements, laboratoires, écoles internes). C’est logique puisque les EPCS sont conçus comme des systèmes de collaboration, et pas comme dispositif support d’une université globale. Dans les cas les plus avancés, les structures « remontées » au niveau du PRES sont les écoles doctorales et une modification législative récente, du 13 décembre 2010, donne le droit aux PRES d’obtenir des habilitations à délivrer des diplômes nationaux.

Si les EPCS - PRES peuvent constituer un cadre efficace pour des collaborations limitées, ce cadre n’est pas suffisant pour donner aux ensembles naissants les capacités d’action et la qualité de décision dont ont besoin aujourd’hui les universités. Second défaut : l’association des personnels et des étudiants à la gouvernance y est faible et mal pensée.

4-Démocratie et collégialité. La façon dont est organisée l’association des étudiants et des personnels, et en particulier des enseignants-chercheurs, aux processus de décision dans les universités justifie d’un bref rappel historique. L’idée de participation, l’un des piliers des lois sur l’enseignement supérieur depuis 1968, s’est statutairement traduite par l’élection de représentants des personnels, initialement principalement des professeurs, et des étudiants dans les instances, notamment dans le conseil d’administration. Il s’agit d’une représentation organisée sur un mode corporatiste, collèges par collèges (en général quatre : les professeurs d’universités et assimilés ; les autres enseignants et enseignants-chercheurs ; les autres personnels ; les étudiants). Ces modalités électorales s’éloignent grandement de celles de la démocratie politique où, depuis l’abolition du suffrage censitaire, tous les citoyens sont traités de façon identique, avec une possibilité ouverte à tous de gouverner. Les différences des statuts des personnels structurent profondément en France le rapport de chacune de ces catégories à l’université. La réelle différence entre démocratie et collégialité, trop souvent négligée,  doit être l’un des fils conducteur de l’analyse des diverses façons d’associer les personnels et les étudiants aux choix de leur établissement.

La loi de 1968, préparée par Edgar Faure, a donné la personnalité morale et juridique aux universités, établissements publics dotés d’un Conseil d’administration. Cette loi a aussi défini le rôle et la composition du Conseil scientifique, conçu comme un contre-pouvoir des professeurs face au CA, notamment pour éviter que les décisions en matière de recherche ne puissent être discutées par les maîtres-assistants[9] ou des étudiants de troisième cycle. La loi de 1984, due à Alain Savary, a maintenu le CS, mais en élargissant sa composition, et a créé le Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire (CEVU), instance qui permet d’associer un plus grand nombre d’étudiants aux consultations universitaires. Il n’en reste pas moins surprenant que les questions de recherche et de formation soient traitées dans deux conseils différents, alors même que l’un des piliers des universités est le couplage formation / recherche, visant à ce que les progrès des connaissances soient intégrés dans la formation. Ceci n’aide pas à penser les inévitables tensions entre les besoins de la recherche et ceux de la formation. Les avis de CS et CEVU, qui ont parfois sur ces questions des points de vue divergents, par exemple parce qu’ils ont des majorités opposées, ne sont alors guère utiles pour le CA et l’exécutif.

La création d’universités regroupant des établissements gardant leur personnalité morale, par exemple d’universités constituées sur la base d’une région ou d’un grand site, nécessite un système de gouvernance nouveau: le mécanisme actuel, renforcé par la loi LRU, confiant au seul CA la totalité des compétences ne permet pas de traiter simultanément la question de la représentation des établissements fondateurs et celle de la prise en compte des avis des personnels et des étudiants, donc aussi de leur représentation.

C’est donc ce point que l’on va traiter dans la suite en faisant des propositions précises dans la partie 5. Mais il est utile à ce stade de faire un détour pour présenter des éléments de comparaison venant d’autres institutions.

4-Quelques comparaisons. Les assemblées intercommunales sont issues, sur la base d’une représentation traduisant l’importance démographique de chaque commune, des conseils municipaux. Elles sont nombreuses, comptant parfois plus de 100 membres, et se réunissent en général une fois par mois. Un bureau plus restreint, autour de 30 membres, qui a la possibilité de prendre des décisions sur des points de portée limitée, donne un avis sur les projets de délibération soumis au conseil communautaire.

Les Sénats académiques des universités américaines[10], et de quelques autres dans le monde, sont l’un des organes importants de la « shared governance »,   ou gouvernance partagée, au cœur de l’équilibre des pouvoirs de ces établissements, souvent publics. Il s’agit de contrebalancer le grand pouvoir d’un conseil restreint et décisif (Board), dont les missions sont analogues à celles des CA de nos universités, par la prise en compte de l’avis du corps enseignant ou d’autres membres de la communauté universitaire. Le Sénat a compétence directe sur les aspects les plus académiques (conditions d’admission des étudiants, liste des enseignements, nomination des enseignants) et donne un avis sur les grands sujets (dont le budget). Il concerne tous les enseignants, de tous statuts, ce qui implique parfois plus de 15 000 personnes, mais aussi parfois les autres personnels et les étudiants. Une Assemblée réunissant des élus et divers responsables, comportant entre 50 et 80 personnes, est l’organe délibérant du Sénat. En sont issues de nombreuses commissions chargées d’instruire de façon détaillée les points que doit traiter le Sénat. L’Assemblée se réunit au moins une fois par an. Le Conseil Académique, exécutif du Sénat, se réunit une fois par mois et rassemble entre 20 et 30 personnes, dont les responsables des commissions les plus importantes issues du Sénat. Les commissions de l’université chargées d’examiner les points qui seront soumis aux décisions du CA comportent presque toujours des membres du Sénat. Le président et le vice-président du Sénat sont membres du CA, mais avec voix consultative. Ce système de gouvernance partagé est très formalisé, indiquant ce qui relève du Sénat, du CA, des Facultés ou départements. Les avis du Sénat, longuement préparés via des navettes entre le Sénat, le Board et l’exécutif de l’université, sont publiés. L’ensemble de ce dispositif, qui n’est pas sans rapport avec la façon dont fonctionnent les deux assemblées et l’administration de l’Etat fédéral américain, consomme beaucoup de temps et n’est pas conçu pour que les décisions importantes et non consensuelles puissent se prendre facilement et rapidement. Il est basé, à l’opposé de la culture française du débat oral, sur une culture de l’échange écrit. L’efficience de ce système repose sur la conviction, en général partagée entre les membres du board et du Sénat, que le temps pris pour trouver un consensus entre ces deux instances est positif pour l’université.

Dernier exemple, relevant cette fois-ci du service public de la recherche. Les conseils d’administration des organismes de recherche ont des élus représentants des personnels de ces organismes, mais en nombre limité (6 élus pour 18 membres au CEA, 4 pour 21 membres au CNRS, 4 pour 27 membres à l’INRA). Mais il existe en général à côté de cette instance d’autres conseils ou commissions qui sont très majoritairement composées d’élus du personnel et qui ont un rôle décisif, pas seulement consultatif, sur certains points de la vie scientifique. L’exemple le plus connu est le Comité National de la Recherche Scientifique, placé auprès du CNRS, dont le rôle est très important en matière de création ou renouvellement des unités de recherche ou de recrutement des personnels. On a ici  aussi une forme de « gouvernance partagée » organisée à l’échelle nationale, largement différente du système de gouvernance des universités.

5-Des propositions. Les exemples donnés ci-dessus ont ceci en commun que la vie démocratique passe par des instances de taille importante (plusieurs dizaines de membres) tenant des réunions fréquentes (souvent une fois par mois au moins) et longues.

On propose ici des modifications du Code de l’Education permettant de proposer aux établissements deux variantes dans leur mode d’organisation interne. La variante A est un aménagement de la situation actuelle, les différences portant sur le mode d’élection au CA et, éventuellement, sur le nombre et les missions des conseils consultatifs (CS et CEVU).

La variante B, plus novatrice, s’inspire de la « shared governance » et de l’intercommunalité, hybridée à la pratique française du bicamérisme.

Variante A : Le Conseil d’administration reste majoritairement composé d’élus représentant les personnels et les étudiants. On peut imaginer l’ouverture de plusieurs options pour les conseils consultatifs : soit, comme aujourd’hui, un CS et un CEVU ; soit un seul conseil regroupant les missions du CS et du CEVU (recherche, formation, vie étudiante) ; soit deux conseils ou commissions traitant pour l’un des questions scientifiques et pédagogiques, pour l’autre des questions de vie étudiante.

Dans tous ces cas, il faut mettre fin au système actuel, hérité de la loi LRU, de la prime majoritaire dans les élections au CA : l’absurdité et les effets délétères de cette prime ne sont que trop patents.

Variante B : Ce nouveau système est basé sur deux assemblées de nature différente, conseil d’administration / Sénat,  dont les pouvoirs sont articulés.

Le conseil d’administration qui pourrait comprendre entre quinze et trente membres, serait composé du président de l’université, président de ce Conseil, de représentants de collectivités territoriales, d’entreprises, de représentants d’autres établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur et de personnalités qualifiées. Des élus des personnels et des étudiants y siègeraient, mais en nombre restreint comme c’est le cas actuellement pour les organismes nationaux de recherche. Le rôle de ce CA est de délibérer sur les décisions essentielles. Le bureau issu du Sénat siègerait avec voix consultative dans ce CA, ce qui permettrait d’échanger en tenant compte des avis du Sénat. Dans le cas où l’université résulte d’un regroupement d’établissements publics d’enseignement supérieur (universités et écoles) avec, le cas échéant, participation directe d’organismes de recherche, ces établissements pourraient être directement  représentés dans ce CA par leur président ou directeur.

Le Sénat Académique, qui pourrait comporter autour de 50 à 100 membres, serait principalement (au moins les deux tiers) composé de représentants élus[11] par les trois collèges[12] évoqués plus haut : enseignants et chercheurs[13],  autres personnels et étudiants. Il devrait y avoir d’autres membres nommés ès qualités (les responsables, eux-mêmes élus, des principales structures internes académiques). Le Sénat aurait à se réunir au moins une fois par an. Il élirait un Conseil académique qui aurait à se réunir au moins 6 fois par an et un bureau qui participerait avec voix consultative au CA.

Le Sénat aurait à faire des propositions sur les sujets académiques (exemples à compléter : les ouvertures et reconduction de formations, les processus d’évaluation de leur qualité, les laboratoires de recherche…) et le CA ne pourrait prendre, en première instance sur ces sujets, une décision contraire à ces propositions. En cas de désaccord, une procédure paritaire serait enclenchée, analogue des CMP des assemblées parlementaires. En cas de désaccord persistant, le CA aurait le dernier mot et prendrait la décision, sous réserve que le Sénat, en séance plénière, ne s’y oppose pas avec une majorité qualifiée (par exemple de 60  % de ses membres). Une variante serait de donner la possibilité au Sénat ou au CA de recourir, en cas de désaccord persistant, à un référendum auprès de tous les personnels et/ou étudiants avec des règles couplant la participation et le résultat des votes.

Le Sénat serait obligatoirement consulté sur le budget, les politiques d’investissement, la vie étudiante, les orientations en recherche et en formation, et d’autres sujets à préciser. Il aurait à s’organiser en commissions rendant des rapports écrits et publics. Il bénéficierait de moyens de l’université pour son fonctionnement (secrétariat, site web, possibilité de recourir à des expertises extérieures).

Le Sénat[14] aurait donc l’essentiel des champs d’intervention du CEVU et du CS réunis, mais avec un pouvoir plus grand que ces deux instances puisque d’une part, il pourrait forcer le CA à une négociation et à la reprise des textes proposés avant la décision finale et que d’autre part, il serait consulté sur des points qui échappent au CEVU et CS.

Désignation du président : Le président d’université serait élu par le CA, après appel à candidature. Les candidatures soumises au vote du CA doivent avoir obtenu un double aval préalable : celle d’un comité de sélection mis en place par le CA et celle du Sénat. Le président devrait être choisi parmi les personnes ayant vocation à enseigner. Ce qui élargit le vivier usuel, sans pour autant basculer vers un président sans compétences académiques.

5- Les universités fédérant des établissements gardant leur personnalité morale. La mise en place d’une université de ce type nécessitera la signature d’une convention entre établissements fondateurs[15]. Cette convention devra être approuvée par le décret qui donne officiellement naissance à cette nouvelle université. Le découpage en facultés, ou unités, ou instituts, ou écoles, ou …., sera traité dans les statuts de l’université. La façon dont ces composantes internes interagissent avec les membres fondateurs de l’université sera précisée pour partie (sur les principes) dans la convention initiale constituant l’université, et pour partie via les délibérations qui seront prises par les instances de l’université. Des règles de protection de certains des intérêts vitaux des établissements membres pourront y être envisagées, mais il ne peut s’agir de règles d’unanimité. L’avis du Sénat pourrait être requis quand un établissement souhaite faire jouer l’une de ces règles.

Contractualisation : Les contrats à établir avec les pouvoirs publics (l’Etat ou les collectivités territoriales) seraient passés par l’université, et pas par chacun de ses établissements fondateurs. Ils pourraient bien entendu comporter des clauses concernant plus particulièrement tel ou tel de ces établissements, mais dans le cadre de la stratégie d’ensemble de l’université. Il n’y aurait plus de contrat, au sens actuel, entre l’université et ceux des organismes nationaux de recherche qui choisissent d’être membre fondateur de l’université : le contrat serait remplacé par un plan d’action impliquant ces organismes[16], validé par les instances de l’université, où ils sont présents.

Il reste de nombreux autres points de détail à traiter, qui feront surgir de nombreuses questions, voire des difficultés. Un débat approfondi est donc nécessaire avant des décisions à prendre à la fin 2012 ou au début 2013.

 


[1] Ce type de question a déjà été abordé lors de la mise en place en 1991, sous le ministère Jospin, des « pôles universitaires européens ». Ce type de collaboration, qui a volontairement écarté l’Ile-de-France, a concerné dans un premier temps Strasbourg, Grenoble, Lille, Montpellier et Toulouse. S’y sont ajoutés plus tard Bordeaux, Lyon et Nancy. L’idée d’en créer un pour la bi-métropole Nantes-Rennes n’a pas abouti.

[2] On verra que l’on ne propose pas de créer une nouvelle catégorie d’établissements publics, ou une nouvelle typologie des EPSCP (Etablissements Publics Scientifiques, Culturels et Professionnels) mais d’adapter les règles applicables aux universités. C’est en effet cette terminologie, internationalement connue, qui est adaptée à ces nouveaux ensembles.

[3] La notion de taille critique est surtout liée à la recherche, ce qui devrait conduire à comparer les effectifs d’enseignants plutôt que d’étudiants. On sait que quelques universités américaines de grande réputation ont peu d’étudiants (moins de 15 000, voire moins de 10 000). Mais ce constat doit être nuancé : ces universités, peu nombreuses, qui ont des laboratoires de qualité peuvent rassembler de très nombreux personnels; il y a des universités prestigieuses américaines – il s’agit souvent d’universités d’Etat multi campus - qui ont entre 80 000 et 500 000 étudiants ; la plupart des universités importantes dans le monde ont des effectifs étudiants de plusieurs dizaines de milliers ; les systèmes français et européens (hors Royaume Uni) qui sont essentiellement non sélectifs conduisent à des effectifs étudiants importants au niveau licence ou « undergraduate ».

[4] La création des universités modernes, dotées d’une personnalité juridique et d’une autonomie scientifique et pédagogique, date de 1968. C’est entre 1968 et 1970 que se sont réalisés dans les métropoles les plus importantes les partitions/regroupements des anciennes facultés.

[5] Il faudra clarifier les rapports entre la typologie des statuts des établissements, et deux sujets qui font régulièrement polémique: les droits d’inscription et la sélection des étudiants pour les diplômes nationaux. Comme le montrent les deux cas particuliers et médiatisés de Dauphine et de Science Po Paris, qui ne sont d’ailleurs pas réellement des grands établissements, mais certainement pas des établissements comme les autres, la politique menée depuis 10 ans a installé une confusion entre « grand établissement » et « on peut faire ce qu’on veut, en violation des règles usuelles ». Même s’il est vrai que le statut de grand établissement ne donne pas le droit fixer librement les droits d’inscription dans les diplômes nationaux,  il ne faut pas encourager la dissémination à l’infini de ce statut de « grand établissement », qui ne devrait concerner que des établissements dont la mission de service public est totalement spécifique.

[6] Il peut y avoir jusqu’à 20 établissements concernés, privés et publics, relevant souvent pour ces derniers de ministères différents.

[7] Les universités se sont engagées dans la mise en place de fondations. Ces dernières apportent aux donateurs qui soutiennent ces universités de la visibilité, mais aussi une certaine autonomie dans l’usage des dotations qu’ils fournissent. Les universités, qui ont bien compris ici l’importance de savoir créer des dispositifs spécifiques pour ce type de soutien, doivent aussi en veiller à ne pas briser des relations de confiance entre écoles  intégrées ou rattachées et milieux professionnels.

[8] Ce qui nécessite une modification des dispositions du Code de l’Education provenant de la loi LRU.

[9] La discussion parlementaire sur ce point a été très vive. La proposition d’Edgar Faure de laisser aux universités autonomes le soin de décider de la composition du Conseil scientifique, acceptée par le Sénat, a été repoussée par l’Assemblée Nationale, plus conservatrice en la matière. La décision de la commission mixte paritaire a été d’accepter, mais avec très peu de sièges, les maîtres-assistants (les actuels maîtres de conférences) et de refuser les étudiants en doctorat.

[10] Pour éviter les exemples canoniques des grandes universités, on suggère de consulter les règles du Sénat Académique de la San Francisco State University (29 000 étudiants, 1 600 enseignants et 1 600 autre personnels, pas classée par l’ARWU- Shanghaï).

http://www.sfsu.edu/~senate/about/bill.html 

[11] L’élection doit se faire via un scrutin proportionnel. Il n’y a ici aucune raison de devoir dégager une majorité écrasante, d’où serait issu un exécutif. Tout au contraire, il est important que les avis minoritaires puissent être exprimés et écoutés.

[12] On peut imaginer d’autres collèges, par exemple une représentation des anciens élèves.

[13] Une étude juridique plus précise est nécessaire pour savoir s’il y a lieu de distinguer, pour des raisons législatives ou constitutionnelles, les professeurs des autres catégories d’enseignants. Les dernières décisions en la matière du Conseil constitutionnel laissent à penser que ce n’est pas obligatoire.

[14] Il y a une parenté entre le Sénat et la Commission médicale d’établissement des hôpitaux (CME). Les différences essentielles sont que le Sénat ne représenterait pas que les corps enseignants, alors que la CME ne représente que les médecins, internes et sage-femmes ; que les pouvoirs du Sénat sont plus étendus que ceux de la CME et que l’exécutif des universités resterait pris en charge par des universitaires, ou au moins des personnes « ayant vocation à enseigner ».

[15] Ces conventions peuvent, une fois l’université en question créée, être celles qui organisent le rattachement d’un établissement à un autre, tel qu’il est prévu dans l’Art. 719-10, ex Art. 43, du Code de l’Éducation, que l’on a présenté plus haut.

[16] Ce point mériterait un développement autonome. D’autant que les points de vue des organismes qui ont réfléchi à ces questions sont actuellement très divergents.