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Quel gouvernement pour les universités ?

S’il est un point sur lequel la LRU est une vraie débacle, c’est la gouvernance qu’elle a instituée dans les universités. Je l’avais souligné dès le début, puis discuté dans plusieurs articles. Mais aujourd’hui la seconde vague d’élections des conseils d’administration et des présidents ne laisse plus aucun doute. Je conseille de lire la chronique détaillée qu’en tient Pierre Dubois dans son blog. Le système instable de la prime majoritaire[1] a fait encore plus de dégâts que la première fois, avec notamment une hécatombe de présidents sortants rééligibles.

Dans son discours de Nancy François Hollande a déclaré sobrement : « La loi LRU devra être réformée. Nous la remplacerons par une loi-cadre, et nous ferons précéder cette loi d’Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche pour que le dialogue, l’écoute, le respect, la considération retrouvent leur droit ». Il a rajouté : « Il ne s’agit pas de revenir sur le principe d’autonomie. C’est un principe porté par la gauche » (ce que j’ai soutenu ici depuis longtemps). « Il s’agit de revenir sur la façon dont elle a été mise en œuvre. Nous savons dans quelle direction il nous faut avancer : celle d’une gouvernance plus collégiale et plus démocratique, qui permette le respect des libertés académiques ». La formulation est assez floue, mais la volonté est affirmée d’ouvrir le débat sur le gouvernement des universités. Le pouvoir actuel, pour sa part, préfère tourner la difficulté en noyant les universités dans des superstructures (Pres, Idex…) dont la gouvernance n’a plus rien à voir avec la collégialité universitaire[2]. On ne pourra pas réformer la LRU sans toucher au reste.

Je ne chercherai pas à prédire ici ce que serait la politique du gouvernement de François Hollande[3], mais plutôt à nourrir un débat sur la gouvernance des universités, qui n’est pas encore ouvert sur la place publique (sans doute de crainte de voir apparaître de sérieuses divergences à gauche).

On trouvera pas mal d’universitaires et de chercheurs qui campent sur une position de retour au statu quo ante LRU, en invoquant la « démocratie universitaire ». Il faut s’entendre sur ce terme dans la mesure où l’université n’appartient pas aux universitaires. Dans le passé, il s’est plutôt agi d’une forme de « syndicalisme » au sein d’une institution largement pilotée par l’Etat, où le conseil d’administration ressemblait davantage à un comité d’entreprise qu’à un véritable conseil exécutif[4]. L’autorité du président tenait surtout au fait qu’il était l’interlocuteur unique du pouvoir central et le négociateur avec lui de toutes les affaires importantes. Cette situation n’est plus tenable lorsqu’on donne une plus large autonomie aux universités. Quels que soient le sens et la portée que l’on donne au mot autonomie, les universités deviennent aujourd’hui décisionnaires sur beaucoup de sujets qui étaient jusque là des affaires réservées au pouvoir central ou à des comités nationaux. Et, là-dessus, il n’y aura pas de retour en arrière.

Dans le passé (avant la LRU) beaucoup ont déploré que l’université soit mal gouvernée, paralysée par des conseils pléthoriques, incapable d’être un opérateur de recherche, et que les recrutements soient entachés de localisme. Dans la synthèse des « Etats généraux de la recherche » de 2004, on pouvait lire : « Les modalités de constitution et de fonctionnement des structures décisionnelles dans les universités, définies par la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur, sont très peu adaptées à l’élaboration d’une politique scientifique. La loi doit donc être modifiée afin que ces modalités soient revues, et que les questions de recherche prennent une place beaucoup plus importante. Les nouvelles modalités doivent aboutir à ce que des scientifiques extérieurs à l’établissement participent à l’exécutif universitaire (notamment au CA et bien sûr au CS) »[5].

Aujourd’hui, et compte tenu des expériences du passé, comment penser le gouvernement des universités ? Il n’est pas inutile de le faire en prenant de la distance par rapport à la politique, c’est-à-dire par rapport à ce qu’il est réaliste d’envisager dans un futur proche.

Une gouvernance partagée

L’université n’est ni une « république des professeurs », ni une entreprise. Ce n’est pas une « république » car elle n’appartient pas aux universitaires. Il faut prendre en compte la société, les pouvoirs publics et les autres partenaires. Ceci est d’autant plus vrai que l’enseignement supérieur s’est massifié et que les pouvoirs publics ont le souci légitime de voir l’université répondre aux besoins économiques et sociaux de la nation. On attend de l’université une volonté stratégique. Il en résulte une tension entre la tradition collégiale et l’introduction d’une rationalité plus managériale. Cependant une université ne vaut que par ses professeurs et ses chercheurs et par la liberté académique dont ils disposent. Il ne sert à rien de vouloir la faire fonctionner comme une entreprise. Trouver un juste équilibre entre les différentes parties prenantes de l’institution universitaire, entre collégialité et gouvernance, est un défi majeur. Dans le monde anglo-saxon on parle de « gouvernance partagée » (shared governance). C’est autre chose que la « république des professeurs ». C’est un équilibre de pouvoirs entre l’administration, le conseil exécutif et le sénat académique.

Il faut avoir une notion raisonnée de ce que peut être et doit être une direction d’université, en dépassant à la fois la vision parlementariste traditionnelle et la vision présidentialiste qui pollue désormais toute notre société. Certaines décisions sont répétitives tandis que d’autres sont exceptionnelles. Certaines concernent l’institution elle-même tandis que d’autres touchent aux relations de l’institution avec son environnement social. Le niveau scientifique élevé de beaucoup d’universités peut paraître paradoxal alors qu’elles disposent d’un processus décisionnel assez pauvre. Ceci s’explique par le fait que beaucoup de décisions importantes comme le choix des sujets de recherche ou le contenu des cours, sont prises de manière continue et décentralisée par les enseignants chercheurs dans le cadre de leur liberté académique[6]. Ceci renvoie au « principe de subsidiarité » suivant lequel la compétence pour prendre une décision ne doit pas être donnée à une instance supérieure dès lors qu’une instance inférieure est parfaitement capable de la prendre. L’application de ce principe est, en réalité, plus complexe qu’il n’y paraît car il faut prendre en considération les effets externes - positifs ou négatifs - des décisions. Il y a aussi l’exigence d’équité en ce qui concerne les salaires, les recrutements, les promotions, la délivrance des diplômes. Cependant, ce principe doit être central dans l’université et va à l’encontre de l’orientation présidentialiste.

Quel modèle de gouvernement ?

Il n’y a pas de modèle universel du gouvernement des universités. A travers le monde on voyage entre un modèle que certains qualifient « d’anarchie organisée », et un modèle « d’université entrepreneuriale », en rencontrant toutes les situations intermédiaires. Dans le premier cas les universitaires disposent d’une grande liberté. Les objectifs sont définis plutôt en termes de convergence des aspirations individuelles ou sectorielles. Ce modèle décrit assez bien le fonctionnement de certaines universités d’élite. On a une « division du travail » entre membres extérieurs et universitaires, qui est institutionnalisée, par exemple, dans la dualité university council/governing board  et academic body/senate. Dans le second cas, l’université est vue comme une entreprise engagée dans des échanges avec l’Etat et les agences de financement, avec les étudiants, les employeurs de diplômés, les utilisateurs de la recherche… Ceci implique que les membres extérieurs (financeurs ou partenaires potentiels) et la direction de l’université aient une influence prépondérante par rapport aux universitaires, relégués dans une position subordonnée[7].

Dans les universités anglo-saxonnes les dispositifs institutionnels de gouvernance peuvent être très divers :

- « Academic self-government », un peu comme Oxford et Cambridge, sans présence de membres extérieurs.

-« Governing board» composé de membres extérieurs, système typique des universités privées américaines.

- « Governing board » qui associe membres extérieurs et universitaires.

- Gouvernement plus politique, comme le « board of regents » des « state-wide systems », avec des membres nommés par le pouvoir politique.

En France la tradition d’un conseil d’administration (CA) élu est forte. Mais cette option ne va plus de soi dans une perspective d’autonomie. En effet, si dans une vision centralisatrice il est concevable que le CA soit aux mains des personnels puisque ses pouvoirs sont étroitement limités et que c’est le ministère qui arbitre, il en va autrement dans le cadre d’une véritable autonomie, dès lors que le CA est un conseil exécutif ayant de larges compétences et de grandes marges de liberté.

Il conviendrait que les « commanditaires » de l’université soient représentés dans le conseil exécutif par des membres de droit. Il est bien prévu par la loi que des collectivités soient représentées au CA mais, outre que leurs représentants ont des pouvoirs restreints (ils ne participent pas à la désignation du président), le principal « commanditaire » qu’est l’Etat n’y est présent par aucune de ses administrations. Le conseil exécutif devrait comporter des représentants de l’Etat (comme au CNRS ou dans les grands établissements). Evidemment ceci ne sera facilement admis par la communauté universitaire que si le conseil exécutif n’intervient pas directement dans les affaires académiques et scientifiques, qui seraient de la compétence d’un “sénat académique” élu.

Dans l’organisation d’une université, on devrait distinguer trois niveaux :

- Un conseil exécutif chargé de définir les grandes orientations, de fixer les règles de fonctionnement, et qui a la responsabilité des grands équilibres matériels et humains.

- Un président et son équipe, dont on attend qu’ils soient des leaders et de bons administrateurs au service de l’institution, sous le contrôle du conseil exécutif.

- La communauté des « professeurs » qui exerce ses compétences propres au travers des départements et des divers « comités académiques » élus.

Beaucoup d’universités dans le monde sont organisées de cette façon, avec leurs caractéristiques socio-culturelles propres. Une première réforme devrait s’attacher à distinguer ces trois niveaux dont la LRU a établi la confusion, dans sa visée présidentialiste. En particulier il devrait y avoir incompatibilité entre l’appartenance au conseil exécutif et à l’équipe présidentielle (sauf pour le président).

Reste quelques sujets brulants, notamment :

  • Faut-il que le conseil exécutif ait une majorité d’élus ? Ceci ne va pas de soi, mais il faut tenir compte de l’histoire et de la culture administrative française. Nous avons parlé de représentants de l’Etat et des collectivités. Mais s’il y a des personnalités extérieures, comment seront-elles désignées ? Si c’est par le pouvoir politique, et si les élus sont minoritaires, il y a fort à parier que ce sera une façon déguisée de rétablir un pilotage direct des universités par l’Etat. Une solution serait la règle des trois tiers : un tiers d’élus, un tiers de représentants des tutelles, qui cooptent ensemble des personnalités extérieures choisies pour leurs compétences.
  • Dans l’hypothèse où l’on en resterait à une majorité d’élus, il faudrait que les membres extérieurs (membres de droit et personnalités qualifiées) aient un rôle qui ne soit pas de pure forme. Il ne faudrait pas, comme dans le CA de la LRU, que les personnalités qualifiées soient désignées par le président et sa majorité d’élus. Il serait indispensable de garantir  leur indépendance, et que leur désignation soit faite par des instances externes non gouvernementales. Dans tous les cas de figures, il faudrait que les membres extérieurs participent à l’élection du président.
  • S’agissant des membres élus, faut-il maintenir la représentation actuelle des étudiants qui ne correspond pas à leur implication et à leur rôle dans l’institution universitaire ? Aujourd’hui, en l’absence d’un grand syndicat, les étudiants élus au CA sont des individualités, souvent intéressantes, mais qui ne représentent qu’eux-mêmes et leurs propres intérêts. Il est paradoxal qu’on refuse aux étudiants d’évaluer la formation qu’on leur dispense, tandis qu’on leur accorde jusqu’au quart des élus du CA, au nom d’une démocratie assez formelle (qui tourne parfois au simulacre)[8]. Il paraîtrait plus raisonnable que les étudiants s’organisent séparément en association (disposant de moyens et de prérogatives) et que le président de cette association soit leur représentant au comité exécutif. Leur influence n’en serait pas moindre - au contraire - car elle s’exercerait de façon plus légitime et moins aléatoire, sans compromis douteux.

[1] « Dans chacun des collèges, il est attribué à la liste qui obtient le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié des sièges à pourvoir ou, dans le cas où le nombre de sièges à pouvoir est impair, le nombre entier immédiatement supérieur à la moitié des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle au plus fort reste »
[2] Cf « Des universités du troisième type » in JFM’s blog.
[3] Certains observateurs étrangers ne se font pas faute de prédire qu’il n’y aura pas de véritable retour en arrière sur les réformes actuelles.[4] On pourra lire l’article que j’ai écrit sous le titre « Profession président » dans la revue « Images des mathématiques »[5] Dans une version préliminaire, on écrivait même « qu’il conviendrait de créer des conseils rénovés, comportant pour une part très significative (par exemple la moitié) des personnalités extérieures »…[6] Luc Weber “Critical university decisions and their appropriate makers, in Governance in higher education, Economica (2001)

[7]  Peter Scott “Universities as organizations and their governance“, in Governance in higher education, Economica (2001)

[8] Voir l’article « Sortir la gauche universitaire du formol (2) » in JFM’s blog.