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La licence au risque de la secondarisation

Le diagnostic est  accablant : les licences (hors filières où l’université est en situation de monopole, comme la santé et le droit) attirent de moins en moins les étudiants. Là où vont les bacheliers, ce sont les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), les cycles intégrés d’écoles d’ingénieurs, les instituts universitaires de technologie (IUT), les sections de techniciens supérieurs (STS) et diverses filières privées qui sont en plein essor.

Nous avons dans un précédent article Sauver la licence, sur ce même blog, analysé cette situation en détail. Le plus préoccupant, c’est l’évolution récente : il n’est certes pas nouveau que les meilleurs bacheliers choisissent en priorité les filières sélectives ! Mais que les licences scientifiques, secteur le plus touché, aient perdu la moitié de leur public en 15 ans est particulièrement inquiétant. Nous avons également fait l’inventaire des causes de ce phénomène : problème d’image lié en particulier aux taux d’échec important dans les deux premières années de licence, concentration des étudiants les moins motivés , absence de sélection dans les seules filières universitaires — et aussi, bien évidemment, de moyens. Toutes causes qui entraînent un défaut d’orientation : les étudiants qui viennent à l’université sont les plus mal préparés à la pédagogie des études universitaires, alors que vont ailleurs ceux qui pourraient le plus bénéficier d’un travail basé sur l’autonomie.

Aujourd’hui, la chute des effectifs des licences des facultés des sciences et des facultés des lettres et sciences humaines fait craindre qu’un nombre significatif de licences disparaissent faute d’étudiants. C’est là que réside le risque principal de secondarisation des études post-baccalauréat : les filières universitaires sont rejetées par les étudiants, au profit d’autres voies qui sont organisées sur le modèle pédagogique de l’enseignement secondaire.

I. La secondarisation, seule réforme réaliste ?

Face à une telle situation, trois pistes, qui ne sont pas antagoniques, se présentent :

  • améliorer les mécanismes d’orientation pour arriver à une meilleure adéquation entre étudiants et filières;
  • améliorer les conditions d’accueil des étudiants à l’université par une pédagogie plus adaptée, un meilleur accompagnement et en assurant une meilleure transition entre le lycée et l’université ;
  • estimer que le problème réside dans le principe même d’études universitaires au niveau de la licence  et que c’est donc ce principe qu’il faut remettre en cause.

La première solution serait irréaliste, selon l’argumentation suivante : ce n’est pas demain la veille que les bons élèves cesseront de choisir les classes préparatoires ou quelques écoles sélectives comme Sciences Po, Dauphine… On n’empêchera pas non plus par des mesures autoritaires les bacheliers de fréquenter les IUT, les STS voire de choisir l’enseignement supérieur privé. Comme la sélection à l’entrée à l’université n’est pas une option politiquement acceptable, l’Université n’a pas d’autre destin que d’être ce choix par défaut que, de plus en plus, chacun essaiera d’éviter.

La seconde solution a été la voie de choix des ministères successifs, de gauche et de droite, qui ont initié, sous différentes dénominations, des programmes plus ou moins ambitieux pour limiter l’échec — le dernier plan en date étant le “plan de réussite en licence” du précédent quinquennat. Tout le monde convient que ces plans n’ont pas rempli leurs promesses : le taux d’échec n’a guère changé, et les licences universitaires ont continué à perdre des étudiants.

Aujourd’hui, on devrait donc se tourner  vers la troisième voie : généralisons ce qui “marche” (les filières non universitaires) et éliminons ce qui ne “marche pas” (les licences).

 L’argument est le suivant.

  • Ce qui marche, les CPGE, les STS, les IUT ont, au delà de leurs différences, des caractéristiques communes :

- des étudiants très encadrés, recevant un nombre élevé d’heures de cours (près de 30 heures par semaine pendant 30 à 35 semaines par an), avec un travail personnel limité (IUT, STS) ou important, mais totalement piloté par les professeurs (CPGE) ;

- un enseignement assuré exclusivement (CPGE, STS) ou majoritairement (IUT) par des enseignants à temps plein n’ayant pas d’activité de recherche. 

  •  Ce qui ne marche pas, c’est l’enseignement universitaire qui se caractérise par un nombre faible d’heures de cours (20 à 25 heures de cours pendant 24 semaines) et des enseignants plus préoccupés par leur recherche que par la réussite de leurs étudiants, incapables de s’adapter aux étudiants en face d’eux.

La solution serait donc simple ; arrêtons de prétendre que la pédagogie universitaire a sa place en licence : c’est exclusivement au niveau des masters qu’il est intéressant de faire intervenir les enseignants-chercheurs[1]; confions le cycle licence, pour l’essentiel, à des enseignants professionnels à plein temps, augmentons les horaires de cours, le nombre de semaines de cours, et tout ira tout de suite bien mieux. Et, cerise sur le gâteau : ces enseignants professionnels nous les avons déjà : ce sont les professeurs agrégés (PRAG) et professeurs certifiés (PRCE), dont 13 000 sont déjà en poste dans les universités (en y incluant les IUT)[2] ! Il suffit donc de généraliser le principe de spécialisation des PRAG au niveau licence[3] et d’en écarter les chercheurs actifs

En réalité, personne ne va jusqu’à faire une telle proposition qui susciterait des réactions fortes de la part des milieux universitaires Mais on perçoit bien que la question de la pertinence du modèle universitaire commence à être posée. On évoque le rapprochement des filières, comme le fait la première synthèse des assises de l’enseignement supérieur :

L’importance des professeurs agrégés/certifiés et leur complémentarité avec les enseignants chercheurs– sur lesquels repose le projet universitaire – est soulignée, en raison des compétences pédagogiques reconnues des PRAG/PRCE, de leur disponibilité auprès des étudiants, et précisément de leur rôle clef à jouer dans le lien « Bac -3/Bac +3  ». Ils peuvent aussi jouer un rôle actif dans les coopérations, voire la mixité entre classes préparatoires et premiers cycles universitaires, que tous les acteurs souhaitent voir renforcée grâce à des partenariats cadrés nationalement et pas seulement laissés à l’initiative locale. Sur ce dernier thème, des propositions sont attendues. L’équilibre entre le nombre de PRAG/PRCE et le nombre d’enseignants chercheurs ne mériterait-il pas d’être précisé, à l’aide d’un cadrage national, qui préserve le caractère fondamental et moteur de la recherche à l’université ?

Lors des assises franciliennes de l’enseignement supérieur et de la recherche, cet octobre, l’association des proviseurs des lycées avec CPGE a pris position pour l’intégration des classes préparatoire dans les universités. Annonce stupéfiante, témoin d’une véritable évolution des esprits ! Mais faut-il s’en réjouir ? Peut-être pas tant que cela. Car on feint de croire qu’au delà des oppositions : filière sélective/non sélective, lycée/université, enseignement élitiste ou enseignement massifié, il n’y a pas de différences philosophiques sur la conception même de l’enseignement.

Ce qu’on peut craindre, c’est que l’intégration des CPGE dans les universités, loin de signifier un alignement progressif des CPGE sur le modèle universitaire, entraîne bien au contraire un alignement des universités sur le modèle des CPGE, avec un nombre d’heures de cours élevé et une prédominance des enseignants à temps plein par rapport aux enseignants-chercheurs. Ainsi, les universités auraient en leur sein deux collèges universitaires attractifs : les IUT d’un côté, les CPGE de l’autre, et soit plus du tout de licences, soit des licences de bas niveau, avec une fonction de garderie.

Cette crainte n’est pas une vue de l’esprit. Depuis plusieurs années, les universités qui veulent améliorer leurs licences, augmentent le nombre d’heures de cours, ou créent des classes préparatoires intégrées aux universités, ce avec l’encouragement du ministère. Même le PRES PSL[4], qui se veut incarner une proposition radicalement nouvelle d’université de recherche élitiste, ne prend pas l’option d’un enseignement assuré uniquement par des universitaires : son cycle licence est organisé en partenariat avec le lycée Henri IV et a lieu dans l’enceinte de ce lycée, l’enseignement y étant confié à une équipe d’enseignants des classes préparatoires, des universités et des grandes écoles”.

A ce stade de notre raisonnement, on voit donc que le processus de secondarisation passe par deux voies bien distinctes :

1.  les étudiants abandonnent massivement les licences, votant en quelque sorte “avec leurs pieds” ;

2. le modèle secondaire est adopté y compris par les universités comme étant celui “qui marche”. Une des possibilités dans cette direction serait de créer à l’université une année préparatoire pour les étudiants qui ne seraient pas suffisamment préparés et d’en confier l’enseignement à des professeurs agrégés[5].

Faut-il craindre une telle évolution ? Défendre les licences, n’est-ce pas au fond, de la part d’un universitaire, faire preuve d’un corporatisme d’arrière-garde ? La comparaison avec le reste du monde montre qu’il n’en est rien et suggère de regarder la question au fond.

II.Un modèle contre l’autre : le modèle universitaire et le modèle secondaire

Quels sont donc les avantages comparés d’un enseignement de type universitaire et d’un enseignement de type secondaire pour des études supérieures[6] ? En tentant d’y répondre, faisons attention à ne pas commettre d’erreur méthodologique : il faut comparer ce que des études de type universitaire et des études en CPGE ou IUT apporteraient aux mêmes étudiants.

On perçoit bien les qualités de l’enseignement en CPGE, en STS ou en IUT : les étudiants y sont bien encadrés et pris en charge par des enseignants le plus souvent à plein temps qui les connaissent bien et consacrent beaucoup d’énergie à leur réussite ; ils ont beaucoup d’heures de cours ; ils savent exactement ce qui leur est demandé pour réussir.

Est-ce pour autant “un enseignement qui marche” ? En ce qui concerne les CPGE, on prend les meilleurs, et les plus motivés ; outre le temps passé en cours, ils fournissent un travail personnel important ; le taux d’échec est faible (mais loin d’être nul : 17% des élèves en classes préparatoires scientifiques se réorientent au bout d’un an, et un tiers des étudiants intègrent une école après avoir redoublé leur deuxième année, ce qui signifie qu’ils atteignent le niveau “licence” en 4 ans). Ces deux ou trois années très intenses consacrées à la préparation d’un concours impliquent une part de bachotage ; on y développe de manière ciblée les qualités nécessaires… à la réussite au concours, dont on conviendra qu’elles n’ont que des rapports lointains avec toute activité réelle[7]. Si l’objectif est de former des individus autonomes, capables de déployer leur imagination pour trouver des solutions innovantes sur le plan scientifique, technique ou social, est-on bien certain que c’est la meilleure solution ?

A contrario, un enseignement de type universitaire fonctionne de manière très différente :

  • il a lieu dans des universités associant enseignement et recherche ; il est assuré très majoritairement par des personnes qui sont titulaires d’un doctorat et qui mènent une activité de recherche de qualité au sein même de ces universités ;
  • les étudiants ont un nombre d’heures de cours par semaine peu élevé ; l’année universitaire est courte, ce qui permet aux enseignants de disposer de périodes consacrées exclusivement à la recherche et aux étudiants de compléter leur formation par des stages ou en exerçant des activités rémunérées. C’est l’autonomie des étudiants, leur capacité à fournir un travail personnel important[8], leur prise d’initiative, leur esprit d’entreprise qui comptent[9]; un tel enseignement sort d’une logique de formations de reproducteurs pour entrer dans une logique de formation de créateurs.

Les licences sont elles un enseignement qui “ne marche pas” ? Dans notre article déjà cité,  “Sauver la licence”, nous avons montré que le procès fait aux universités d’un taux d’échec inacceptable était loin d’être totalement justifié. Mais un autre indice est éclairant : les admissions dites “parallèles” dans les écoles d’ingénieurs et de commerce (admission pour les étudiants à l’université) se sont considérablement développées, sans que ces écoles se plaignent d’une “baisse de niveau”. Et pourtant, si on évaluait ces étudiants issus des universités sur les mêmes épreuves que ceux des classes préparatoires, ils seraient assez loin du niveau requis. C’est donc qu’ils ont acquis à l’université des qualités que les prépas n’ont pas su développer.

Ailleurs qu’en France, la situation est différente, puisqu’il n’existe que deux formes d’enseignement supérieur : l’enseignement long, donné exclusivement par les universités, qui attire une proportion importante d’étudiants, y compris les tout meilleurs, et l’enseignement professionnel court similaire à nos BTS. Serait-il possible que nous ayons raison contre l’avis général ? Cela serait curieux, alors même que nous parlons constamment de classement de Shanghai, d’universités de classe mondiale, d’innovation basée sur la recherche.

III. Comment rénover notre enseignement universitaire ?

Il ne suffit pas de multiplier les arguments en faveur du modèle universitaire. Si convaincants qu’ils soient, ils se heurtent, comme nous l’avons rappelé au début, à une réalité incontournable : les licences sont de moins en moins attirantes. On le constate aussi en discutant avec les professeurs de lycées : ceux qui enseignent dans les “bons lycées de centre-ville” n’ont en tête pour leurs élèves que les classes préparatoires, sciences po ou médecine. Ceux qui enseignent dans les “lycées difficiles de banlieue” conseillent les IUT ou les BTS. Les uns et les autres sont bien d’accord pour conseiller à leurs élèves d’éviter l’Université. Il y a urgence à redresser la situation, ce qui exige une stratégie d’ensemble impulsée au niveau de l’Etat, et aussi un engagement très fort des institutions universitaires ainsi que de la communauté universitaire en vue d’un changement radical.

Pour qu’un vrai changement ait lieu, il faut pouvoir agir sur six leviers simultanément.

1. Faire des licences une priorité pour les universités. L’emphase mise sur la recherche et sur le développement des masters ont renforcé une tendance ancienne qui tendait à considérer que le premier cycle était une cause perdue. Cela fait bien longtemps que, dans un certain nombre d’universités, l’enseignement des premières années est abandonné par les professeurs, et parfois même par les maîtres de conférences, et laissé aux PRAG/PRCE, aux doctorants, ou encore aux personnels temporaires (ATER) et aux vacataires.

La poursuite du Graal de l’accession au classement de Shanghai accompagne l’illusion qu’une université pourrait survivre sans premier cycle, ce qu’en vérité très peu d’institutions d’enseignement supérieur peuvent espérer. Une fois dissipée cette illusion, que peuvent faire les universités ? Sur le plan de l’organisation interne, il paraît nécessaire que la priorité “licence” soit manifeste au plus haut niveau du gouvernement universitaire. A supposer que la création d’un collège universitaire chargé des licences ne signifie pas un désengagement des enseignants-chercheurs mais au contraire un surcroit d’engagement, cette solution pourrait être retenue.

Il est assez facile de récompenser ou de sanctionner une université en fonction des progrès accomplis en licence lors de l’évaluation puis de la contractualisation. Il suffit de disposer d’indicateurs suffisamment fins. Mais l’université ne peut espérer cet effort de la part de ses professeurs et maîtres de conférences sans avoir la capacité de reconnaître leur engagement. Or on sait bien, aujourd’hui, que dans les universités ou communautés disciplinaires qui fonctionnent bien, les carrières se font sur la base de l’activité de recherche, alors que dans celles où le fonctionnement est plus problématique, c’est le clientélisme qui prime. Dans les deux cas, la prise d’initiative en matière d’enseignement n’est guère récompensée.

Mais s’il serait contre-productif que les chercheurs actifs désertent le cycle licence, on ne peut pas penser que ces enseignements puissent progresser sans une collaboration forte d’enseignants-chercheurs qui, de facto, sont moins actifs en recherche, et sans une implication forte de personnels enseignants non-chercheurs[10]. Mais là encore, la question de la reconnaissance est posée.

2.  Rendre les licences plus attractives. Les cursus universitaires seront des options désirables pour les étudiants s’ils peuvent répondre à une demande à laquelle les autres systèmes ne peuvent pas satisfaire. Ceci concerne aussi bien les étudiants à fort potentiel que ceux dont les ambitions sont plus limitées. Il y a un certain nombre de pistes possibles :

- proposer une vraie liberté de choix des matières, en particulier avec des couplages impossibles dans les cursus des classes préparatoires ; cela a commencé d’ailleurs à se faire dans certaines universités qui proposent des bi-licences droit-anglais, sciences-philosophie… Cette liberté ne signifie pas pour autant incohérence : c’est par le contrat pédagogique que s’établit l’équilibre entre liberté de choix et cohérence du cursus[11] ;

- offrir des méthodes pédagogiques différentes : place importante des travaux pratiques en laboratoire, pédagogie sur projet, importance du travail personnel ;

- donner la possibilité aux étudiants d’adapter le rythme de leurs études, afin de tenir compte de leur situation personnelle (nécessité de travailler, contraintes familiales…).

Il est également nécessaire que les universités tiennent compte effectivement de l’hétérogénéité des étudiants qui arrivent à l’université, en proposant à chacun, du très bon élève de lycée général au bachelier professionnel voulant poursuivre des études auxquelles il est mal préparé, ou à l’adulte en reprise d’études, des enseignements adaptés.

3. Améliorer l’accueil. Nous ne développerons pas ici la question essentielle de l’amélioration des conditions matérielles d’accueil : accès aux bibliothèques, qualité des bâtiments, équipements collectifs, vie étudiante etc. Mais l’accueil, c’est aussi les conditions intellectuelles et psychologiques d’études. C’est une chose de valoriser, comme nous le faisons, une pédagogie qui favorise l’autonomie et la responsabilité des étudiants, c’en est une autre de considérer que la transition vers l’autonomie et l’appropriation des savoirs par les étudiants sur une base plus adulte pourraient se produire spontanément ou par un mécanisme darwinien de sélection. Le système doit gérer cette transition,  ce qui signifie notamment que les étudiants soient suivis dans leurs études par un tuteur, et que l’accès aux professeurs et aux assistants soit facile.

4. Valoriser l’autonomie dans l’enseignement secondaire. Dans tous les pays du monde (sauf la France), le passage aux études supérieures marque une rupture : c’est l’âge de la majorité ; souvent, c’est le moment où les jeunes quittent leur famille. C’est un changement majeur dans les conditions d’études. Par comparaison avec les jeunes des autres pays, les nôtres n’y sont pas prêts. Ne convient-il pas de s’interroger sur ce point, et de réfléchir comment l’enseignement secondaire pourrait mieux favoriser l’apprentissage de l’autonomie ?

5. Améliorer les mécanismes d’orientation. Dans le système actuel, l’orientation post baccalauréat est aberrante. Sont éloignes des universités les étudiants qui pourraient le plus en bénéficier, alors que sont dans les universités ceux qui y sont le moins bien préparés : certains étudiants qui pourraient réussir dans les voies professionnelles (BTS) en sont exclus. On ne peut pas espérer une amélioration globale sans que les mécanismes d’orientation soient considérablement mieux adaptés. Mais, comme on l’a déjà dit, cette évolution ne se produira pas sans que, d’abord, les universités aient pu et voulu mettre en place des cursus différents de ce qui est proposé aujourd’hui.

Ici, le rôle de régulation de l’Etat est essentiel. Aujourd’hui, l’offre de formation post-baccalauréat est pour l’essentiel proposé dans le cadre du service public ; force est de constater que l’Etat organise une concurrence entre filières — concurrence qui est bien loin d’être équitable. Il y a, on le sait bien, de grosses différences de financement entre ces filières qui rendent les unes plus attirantes que les autres. Il y a aussi des mécanismes plus subtils : les recteurs sont bien plus concernés par le remplissage des CPGE et des STS que par les flux d’entrée dans les universités, et ils ont bien évidemment les moyens de peser sur cette situation. Les lycées sont directement intéressés par le succès de leurs CPGE et de leurs STS, et ont, eux aussi, bien des moyens de persuasion vis-à-vis de leurs élèves.

6. Changer les mentalités sur l’enseignement du savoir. Avec la fin des “trente glorieuses” et la montée du chômage, l’insouciance a disparu : les jeunes sont sommés, de plus en plus tôt, de penser à leur futur métier et à construire leur parcours d’études en vue de leur insertion professionnelle. Implicitement ou explicitement, les formations sont incitées à être plus “professionnelles”. Les travaux en sociologie sur l’insertion professionnelle ne soutiennent guère cette idée que c’est la professionnalisation du contenu des études qui assure le succès de l’insertion. Il est nécessaire que les universitaires soient mieux capables de défendre la valeur de formation des études générales, et que la société en général, le “monde du travail” en particulier, sortent de l’opposition simpliste entre études “inutiles” et études “utiles” pour qu’on aborde une vraie réflexion sur le rôle respectif des institutions d’enseignement et du monde du travail en matière de formation et d’insertion professionnelle.

 


[1]Ce n’est pas l’objet de cet article, mais on pourra s’interroger, par ailleurs, sur le fait qu’au niveau master, là aussi, une forte proportion des étudiants sont dans des écoles d’ingénieurs ou de commerce où les enseignants-chercheurs sont très minoritaires !

[2]Voir une note d’information du 24.07.2012. La répartition de ces enseignants entre les disciplines est très inégale : 0 dans les disciplines de santé et en droit, 7000 en lettres et sciences humaines, 1600 en économie et gestion, 4400 en sciences et techniques, et à l’intérieur de ces grandes catégories la répartition est également inégale, ne serait-ce qu’en raison du nombre restreint de disciplines dans lesquelles des agrégations ou des CAPES existent.

[3]La part d’enseignement supérieur assuré par des personnels qui ne sont pas, statutairement, des enseignants-chercheurs est déjà bien plus importante que ce que l’on pourrait penser. En effet, les effectifs d’enseignants post-bac sont les suivants : enseignants-chercheurs (48 000 si on exclut les disciplines de santé), ATER (6000), moniteurs (9000), PRAG et PRCE (13 000), professeurs de CPGE (environ 7000 en équivalent temps-plein, estimation MA) , professeurs de STS (21000 en équivalent temps-plein, estimation MA). Comme les enseignants-chercheurs ont un service d’enseignement qui représente environ 50 % de celui d’un enseignant à temps plein, notre calcul prouverait que, hors vacataires, et hors disciplines de santé, les personnels de type enseignement secondaire assurent 60% des heures d’enseignement post-baccalauréat en France.

[4]Le PRES Paris Sciences et Lettres rassemble l’Ecole normale supérieure, le Collège de France, l’Ecole supérieure de physique et de chimie, l’université Pais-Dauphine et quelques autres institutions avec l’objectif ambitieux de créer une nouvelle université de plein exercice.

[5]Cette proposition est avancée par Olivier Beaud et François Vatin dans un entretien  du 29 mars 2012 : « Sans sélection, l’université se dévalorise ». A notre sens, c’est une fausse bonne solution : ce n’est pas en refaisant une année d’études secondaires que des jeunes qui n’ont guère profité de leurs trois années de lycée vont soudainement changer leur attitude par rapport au savoir. Cela étant dit, si nous différons sur les solutions, le diagnostic que nous faisons dans le présent texte est assez proche de celui des “refondateurs de l’université” dont font partie Beaud et Vatin.

[6]Il s’agit ici d’expliciter les avantages et inconvénients de systèmes différents basés sur des principes différents, pas de porter des jugements de valeur sur telle ou telle catégorie d’enseignants.

[7]La justification, fréquente, du système des classes préparatoires par le succès des mathématiciens qui en sont issus est pour le moins abusive pour au moins deux raisons. D’abord, ce succès a des causes multiples ; une d’entre elles est que les étudiants qui, après les classes préparatoires, choisissent de faire des études de mathématiques en vue d’un doctorat rencontrent à l’Université les chercheurs de premier plan qui vont les encadrer. L’autre est qu’il serait malhonnête de jauger le succès d’un système à l’aune de la réussite d’une partie infime de l’effectif concerné.

[8]La réalité du fonctionnement des licences aujourd’hui en France est certes différente : nos étudiants travaillent peu par eux-mêmes (environ 15h par semaine pour les étudiants en licence selon l’enquête 2010 de l’OVE, probablement optimiste). Lorsque ces étudiants font des séjours Erasmus à l’étranger, ils sont surpris par le peu d’heures de cours et la quantité de travail personnel demandé.

[9]Les comparaisons que nous faisons ici se basent sur les principes à l’œuvre dans les différents systèmes. La réalité de ce qui s’y passe est différente : il existe des professeurs de CPGE qui parviennent à aller au delà de la préparation aux concours et cultivent un véritable accompagnement vers l’autonomie de leurs élèves, et des universitaires qui se satisfont de demander à leurs étudiants une simple restitution de leurs cours.

[10]Actuellement, les enseignants non chercheurs à l’université sont des PRAG et PRCE (voir note 3), ce qui limite son champ aux disciplines de l’enseignement secondaire et exclut des titulaires de doctorats non agrégés ou certifiés. Si ce statut d’enseignant temps plein est maintenu, il serait préférable qu’il soit ouvert au recrutement des docteurs.

[11]On pourra consulter la Note de Terra Nova qui, entre autres sujets étudiés, aborde cette même question : “L’Université : vers des terres nouvelles”, novembre 2012.