Note : Ce texte a été publié dans le bulletin n°6 du Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS).
Beaucoup d’observateurs s’accordent à penser que le système universitaire français a connu des évolutions profondes en dépit de ses blocages institutionnels. L’introduction des contrats quadriennaux est identifiée comme un tournant décisif[1]. Dans leur rapport[2], Aghion et Cohen voient dans ces évolutions l’espoir d’une « réforme incrémentale » qui ferait l’économie de mesures législatives traumatisantes. Sans sous-estimer l’importance et la valeur de ces transformations progressives, je pense qu’on est arrivé à la limite de ce qu’il est possible de faire sans réformes institutionnelles.
Tout d’abord, l’écart qui s’est établi aujourd’hui entre la lettre de la loi générale et les pratiques de certains établissements, est somme toute assez « immoral ». Ce sont les « universités » les plus éloignées de la loi de 1984 qui sont le mieux considérées[3]. Ce sont celles qui ne sont que des facultés déguisées, ou qui fonctionnent comme des consortiums de facultés autonomes, qui ont le moins de mal à s’accommoder d’un cadre légal dont elles font un usage « amorti ». Par ailleurs, la loi a été la couverture égalitariste d’un paysage universitaire qui s’est considérablement diversifié ; mais il s’est diversifié davantage grâce à des « rentes de situation » qu’à des stratégies scientifiques audacieuses. Ainsi les grandes « universités de recherche » se sont contentées d’intégrer, de façon parfois assez formelle, les laboratoires CNRS installés sur leurs campus[4]. Peu d’universités ont une certaine capacité stratégique, et elles ne sont pas pluridisciplinaires… Les classements des universités reflètent davantage leur « portefeuille de chercheurs » que leur dynamisme propre.
Dans ce contexte mitigé, l’idée qu’il suffirait de « laisser la bride sur le cou » aux plus entreprenants sans fixer de nouvelles règles, ne pourrait conduire qu’à de petites ou de grandes catastrophes. En particulier, on ne pourrait pas donner un sens concret et raisonnable à l’autonomie avec un conseil d’administration d’université qui ressemble à un comité d’entreprise.
On est dans la perspective d’un double basculement :
- Dans le rapport de l’université avec l’Etat, basculement d’une gestion « jacobine » vers un pilotage stratégique qui laisse toute sa place à une « politique d’entreprise ».
- En interne, basculement de la « gouvernance partagée » vers le « management ».
La question de la gouvernance universitaire se pose dans tous les pays du monde. Quel équilibre entre collégialité et pouvoir présidentiel ? A quel niveau doivent se prendre les décisions (« subsidiarité ») ?
Quels que soient sa situation, son potentiel et ses missions, une université doit acquérir des capacités qui ne peuvent résulter d’une simple évolution progressive. En particulier elle doit devenir
- opérateur de recherche à part entière ;
- maître de ses recrutements et de la gestion de ses personnels.
Pour s’en tenir au premier objectif, cela veut dire pour l’université :
- Avoir la maîtrise de tous ses laboratoires et de leurs personnels. Ceci n’est pas une simple question de gouvernance et reste impensable sans un redéploiement du CNRS, et sans la disposition par l’université de crédits de recherche importants.
- Mettre en œuvre des procédures solides d’auto-évaluation. En effet l’évaluation nationale, couplée à la LOLF, se fera de plus en plus sur la base d’indicateurs[5], ce qui ne remplacera pas une évaluation scientifique stratégique.
- Avoir un exécutif suffisamment fort pour répartir des crédits de recherche globalisés, et pour tirer toutes les conséquences de l’évaluation[6].
[1] Christine Musselin, La longue marche des universités françaises, PUF (2001)
[2] Philippe Aghion et Elie Cohen, Rapport Education et croissance, Conseil d’analyse économique (2004)
[3] On vante les spécificités et les innovations de Dauphine ou de Sciences-Po, rendues possibles par le fait que ces établissements échappent au droit commun.
[4] Sur le campus d’Orsay, 20 laboratoires CNRS comptent environ 600 chercheurs et 300 enseignants-chercheurs. En dépit de leur statut d’UMR, ces laboratoires se considèrent comme « autonomes » dans l’université dont ils ne reçoivent d’ailleurs que des crédits modestes.
[5] En Grande Bretagne, le « Research Assessment Exercise » (RAE) 2008, sera le dernier conduit suivant les méthodes classiques de la « peer review ». Il est prévu de passer d’ici 2010 à un système largement fondé sur des indicateurs.
[6] A titre d’exemple (impensable en France) : au vu des résultats du RAE 2001, l’université de Birmingham a supprimé son département de communication, et l’université d’Exeter a renoncé à son département de chimie…