Imprimer cet article Imprimer cet article

Autonomie universitaire : C’est maintenant que les choses sérieuses commencent.

Comme il était à prévoir, la loi sur l’autonomie des universités a provoqué des réactions tranchées qui renvoient à des oppositions politiques qui dépassent de beaucoup l’objet de la loi. Les uns chantant ses louanges sur un ton hyperbolique (Richard Descoings, Le Monde du 4.07.07), les autres y voyant la première manœuvre d’une entreprise visant à asservir l’université et la recherche à une logique de « management » (communiqués de l’Association « Sauvons la Recherche »).

Toutes les réformes institutionnelles avortées des vingt dernières années avaient conduit à privilégier les transformations progressives. Beaucoup d’observateurs soulignaient que le système universitaire français avait quand même connu des évolutions profondes en dépit de ses blocages institutionnels, avec, notamment, l’introduction des « contrats quadriennaux » entre les universités et l’Etat. Dans leur rapport « Education et croissance » au Conseil d’analyse économique (2004), Philippe Aghion et Elie Cohen voyaient dans ces évolutions l’espoir d’une véritable « réforme incrémentale » qui fasse l’économie de mesures législatives traumatisantes.

Cependant tous ceux qui ont eu la charge de diriger une université, reconnaissent que l’on était arrivé à la limite de ce qu’il était possible de faire sans réforme institutionnelle. Et l’on ne pouvait pas se contenter de « laisser la bride sur le cou » aux plus entreprenants sans fixer de nouvelles règles. Aujourd’hui il est en effet assez « immoral » que ce soient les « universités » les plus éloignées de la loi de 1984 qui soient le mieux considérées (Dauphine, Sciences Po,..), ou bien celles qui ne sont que des facultés déguisées, ou des consortiums de facultés autonomes, qui ont le moins de mal à s’accommoder d’une loi dont elles font un usage « amorti ».

C’est la raison pour laquelle tous les présidents d’université et avec eux beaucoup d’universitaires sont contents que les choses bougent. Les étudiants n’ont pas fait beaucoup de difficultés pour se rallier à une réforme de la gouvernance qui, au fond, les implique peu. L’influence des étudiants est davantage liée à leurs mouvements protestataires qu’à leur participation épisodique aux conseils d’université. Les choses sont plus difficiles à avaler du côté des syndicats de professeurs et de chercheurs. Ils ne sont plus l’aile marchante de la profession, mais ils avaient dans l’organisation actuelle des conseils des niches de pouvoir qu’ils craignent de perdre (encore que la nouvelle loi leur offre de belles occasions de prendre la présidence dans beaucoup d’universités). Pour être tout à fait honnête, les craintes qu’ils manifestent ne sont pas entièrement infondées…

On ne pouvait pas donner un sens raisonnable à l’autonomie des établissements en conservant des conseils d’administration qui ressemblaient davantage à des « comités d’entreprise » qu’à des instances de direction. Mais on n’est qu’au tout début de l’histoire. C’est toute l’illusion des transformations institutionnelles : on croit avoir réglé des problèmes de fond par quelques dispositions règlementaires. Alors que tout reste à inventer.

Derrière le mot « autonomie » il y a en réalité une véritable révolution, et la perspective d’un double basculement :

- Dans le rapport de l’université avec l’Etat, le basculement d’une gestion « jacobine » vers un pilotage stratégique qui laisse toute sa place à une « politique d’entreprise ». A condition, bien sûr, que l’Etat joue le jeu, ce qui suppose une « révolution culturelle » des directions et des cabinets ministériels …

- En interne, le basculement de la « gouvernance partagée » vers le « management » ; un nouvel équilibre entre la collégialité et le pouvoir présidentiel. Et si l’on croit qu’il suffit de diviser par deux les effectifs du conseil d’administration et de renforcer l’autorité des présidents, pour y parvenir, on se trompe lourdement.

Du côté universitaire tout reste à inventer. C’est une nouvelle culture à construire quand on a vécu pendant des années sous la « tutelle » de la bureaucratie ministérielle. Ce sont de nouveaux instruments à construire localement, alors que tout venait d’en haut.

Pour que l’autonomie ait un sens, une université doit devenir

- opérateur de recherche à part entière ;

- maître de ses recrutements et de la gestion de ses personnels.

- capable d’arbitrages dans un budget global.

Sur tous ces chapitres aucun établissement ne dispose actuellement des leviers et des procédures nécessaires. De plus tout ne dépend pas de lui.

S’agissant de la recherche, cela veut dire pour l’université :

- Avoir la maîtrise de tous ses laboratoires et de leurs personnels. Ceci n’est pas une simple question de gouvernance et reste impensable sans un redéploiement du CNRS (sujet sensible qui n’a pas été abordé) et sans la disposition par l’université de crédits de recherche importants (crédits structurels ou préciputs sur le contrats).

- Mettre en œuvre des procédures solides d’auto-évaluation. En effet l’évaluation nationale, couplée à la LOLF, se fera de plus en plus sur la base d’indicateurs, comme ailleurs en Europe (la Grande-Bretagne en a pris la décision pour 2010). Beaucoup de conseils scientifiques d’université ont recours à des expertises externes, mais il faudra être beaucoup rigoureux dans les procédures lorsqu’on n’aura plus du ministère que des indicateurs budgétaires.

- Avoir un exécutif suffisamment fort pour répartir des crédits de recherche globalisés, et pour tirer toutes les conséquences de l’évaluation (en termes de suppression ou de création de départements et d’équipes de recherche).

S’agissant des recrutements, les commissions de spécialistes ont été abondamment critiquées (souvent injustement). Mais la vague disposition inscrite dans la loi d’une « commission de sélection » nommée par le conseil d’administration n’est pas faite pour rassurer, il faut bien le dire.

Si on lit le texte de loi avec des lunettes aussi objectives que possibles, on n’y trouve pas de garantie que des procédures vertueuses vont voir le jour. Certes il est plus facile de discuter à 30 qu’à 60. Le pouvoir se concentre dans le conseil d’administration. Mais à la différence de la tradition anglo-saxonne où le « university board » comporte une minorité d’élus, le CA reste une structure politique qui s’inspire plus d’un conseil municipal que d’un CA d’entreprise. En particulier la disposition qui donne une majorité à la liste qui vient en tête induit une logique forte : c’est cette liste qui aurait vocation à diriger l’université et qui devrait normalement comprendre le président. On peut imaginer que le futur président réussisse, par son charisme personnel, à rassembler autour de lui une liste représentative. Mais les syndicats ne renonceront sans doute pas à présenter une liste à eux. On n’est pas sorti de l’auberge… Il y a un réel danger d’une gouvernance « politique » ou d’un nouveau mandarinat universitaire….

Il ne faut pas se déguiser que nous entrons dans une période d’instabilité et d’agitation dans les universités. Très peu d’établissements sont prêts à concrétiser la nouvelle loi, même si certains font bonne figure devant la presse. Il est de bonne politique de laisser croire qu’on est prêt à faire ce qu’on n’a pas fait jusque là. Certaines universités font comme si elles allaient fusionner du jour au lendemain ; quand on connaît la réalité, on est plus dubitatif. Le paysage universitaire s’est considérablement diversifié; mais il s’est diversifié davantage grâce à des « rentes de situation » qu’à des stratégies scientifiques audacieuses. Ainsi les grandes « universités de recherche » se sont contentées d’intégrer, de façon parfois assez formelle, les laboratoires CNRS installés sur leurs campus. Peu d’universités ont une capacité stratégique, et elles ne sont pas pluridisciplinaires… Les classements des universités reflètent davantage leur « portefeuille de chercheurs » que leur dynamisme propre.

C’est maintenant que les choses sérieuses commencent…