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Fin de partie

En mai 2012 un président de gauche était élu, et l’on pouvait raisonnablement espérer un changement de politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Encore que ce n’avait pas été un point fort de la campagne électorale et qu’un certain flou régnait sur les priorités qui seraient mises en avant dans un domaine sensible où la gauche était passablement divisée. Comme bien souvent dans de telles situations, on cherche à gagner du temps. D’où le lancement d’une grande concertation (les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche) à l’été 2012. Les options mises en avant par les uns et les autres étaient assez divergentes, et l’arbitrage politique s’annonçait très délicat. Le rapport final fut publié à la fin de l’année sous forme de 121 propositions diverses qui n’étaient pas toutes sans intérêt mais ne touchaient pas à l’essentiel (ou de façon détournée). On ne pouvait s’attendre à ce que des assises universelles fixent des priorités politiques. Restait à passer une loi qui fut votée à l’été 2013.

La lecture du texte de loi n’est pas très passionnante car il y a peu de passages significatifs en dépit des vives controverses que la loi avait déclenchées. Le premier reproche qu’on peut faire à cette loi c’est sa timidité. Ceux qui voulaient la peau de la loi précédente (la LRU) ne pouvaient qu’être déçus. Cependant il y a quand même un petit nombre de dispositions qui ne sont pas de pure forme. Il y a notamment des réformes structurelles qui concernent la gouvernance des universités et les regroupements d’établissements qui peuvent prendre plusieurs formes (fusion, fédération, confédération, association)[1]. Nous pouvons nous arrêter sur quelques exemples, en sachant pertinemment qu’il n’y aura rien de neuf et de définitif d’ici la prochaine élection présidentielle.

Ces réformes structurelles laissent de côté le financement des communautés qui, dans le meilleur des cas, sera essentiellement alimenté par le produit des Idex. Mais il reste des questions plus capitales comme la sélection et les frais d’inscription qui sont absents de la loi, ce qui fait, d’ailleurs que les regroupements entre universités et grandes écoles sont si difficiles à constituer. Mais en dehors des périodes de crise ouverte on ne réforme souvent que de biais.

Sans vouloir préjuger de l’avenir, il s’avère que la création des communautés ne va pas vers une nouvelle uniformité de l’université française, mais au contraire vers une différenciation accrue : on prétend regrouper mais on n’unifie pas ! Le vrai paradoxe est que l’instauration de ces communautés d’universités et d’établissements, qui se donne comme un principe unificateur, est en fait une façon de différencier et de hiérarchiser les établissements sans le dire et une façon détournée de faire évoluer leur gouvernance.

Aujourd’hui les regroupements sont loin d’être achevés et apparaissent un peu hétéroclites, en dépit du caractère étatique d’une réforme parachutée d’en haut. Dans l’article « Les communautés d’université : des systèmes à la française ? », j’envisageais une évolution où des établissements très divers se regrouperaient dans des « systèmes à l’américaine ». C’était un peu naïf dans la mesure où beaucoup de paramètres allaient jouer

A l’échelon provincial, les regroupements sont souvent des recollements de la situation émiettée que l’on connaît depuis 68. Mais, dans le contexte parisien, la loi aboutit à une diversité de situations assez étonnante dans notre tradition centralisée, ce qui met en évidence des problèmes de fond.

Nous prendrons l’exemple de trois Comue : Sorbonne-Paris-Cité  (USPC), Paris-Sciences et Lettres (PSL) et Paris-Saclay. Bien que résultant de la même loi, ces trois Comue sont profondément différentes : elles sont illustratives de la difficulté qu’il y a à réunir universités et écoles dans une même organisation sans changer quoi que ce soit à la sélection et aux frais de scolarité.

Sorbonne Paris Cité (USPC)

USPC est un mastodonte de 120.000 étudiants, constitué de 4 grandes universités auxquelles se juxtapose principalement Sciences Po. La gouvernance de USPC ne résulte pas simplement de la gouvernance de ses universités qui s’organise sur un mode assez classique (sauf pour Sciences Po). Même si le conseil d’administration central ressemble à un classique CA d’université, où les élus sont majoritaires, il résulte d’une élection indirecte, ce qui marginalise notablement les conseils d’administration des différents membres. Comme on le voit aujourd’hui, cette organisation à étages réduit beaucoup les oppositions locales qui n’arrivent pas à se constituer en opposition fédérale. Il y a donc un changement objectif profond de gouvernance. On est dans une situation « bâtarde » où la communauté s’occupe de près de politique pédagogique et scientifique, d’un point de vue de cohérence et de rationalité, diminuant du même coup les pouvoirs des universités. On est dans une communauté plutôt homogène constituée de grandes universités qui partagent des caractéristiques communes positives (la recherche) et négatives (l’absence de sélection et la gratuité)

Paris Sciences et Lettres (PSL)

PSL ne regroupe aucune université classique, Dauphine ne pouvant guère être classée dans cette catégorie[2], mais une vingtaine d’écoles et d’institutions élitistes assez diverses. Il y a dans PSL une volonté délibérée de se séparer du monde des universités, ce qui en dit long sur le crédit des universités en France. Cette Comue s’est constituée sur des missions de formation et de diplomation, parallèlement à une Fondation de coopération scientifique (FCS) porteuse d’un programme Idex. Dans PSL 70% des étudiants suivent un master ou un doctorat ; les autres sont répartis dans 10 licences ou diplômes d’établissement (notamment le « Cycle pluridisciplinaire d’études supérieures » (CPES) qui offre une alternative aux classes préparatoires et au modèle universitaire). PSL s’est constitué sur une base délibérément élitiste[3], se distinguant des universités parisiennes.

Paris-Saclay :

L’Université Paris-Saclay était censée se démarquer dans sa composition d’une université classique, rassemblant 48.000 étudiants appartenant à 2 universités, une ENS et 10 écoles d’ingénieurs et de management – dont l’Ecole Polytechnique. C’était a priori un ensemble très hétérogène dont le Conseil d’administration d’une vingtaine de membres n’aurait compris que 4 représentants du collège universitaire et scientifique. Mais elle est aujourd’hui  en danger de dislocation car il s’avère difficile d’intégrer les universités et toutes les écoles. Le point de fracture est venue du fait qu’avec l’aval gouvernemental, il était envisagé  de constituer à l’intérieur de cette communauté et autour de l’Ecole Polytechnique un « pôle d’excellence » qui se distinguerait des universités par la sélection et le financement (frais d’inscription ou financement particulier par l’Etat). On aurait ainsi dans cette communauté deux blocs distincts, ceci d’autant plus difficile à avaler que la majorité de la recherche est concentrée dans une université. On aurait ainsi un ensemble composite sans gouvernance forte et sans visibilité internationale. Cette disposition a provoqué une vive protestation d’éminents universitaires (dont une quinzaine de membres de l’académie des sciences) appartenant à l’Université Paris-Sud.

Sur ces exemples on voit la diversité des regroupements qui peuvent résulter d’une réforme législative qui visait, en principe, à l’unité de l’enseignement supérieur français. Sous des dehors de rationalisation, les conditions sont réunies pour faire exploser « la république universitaire, une et indivisible ». En dehors des regroupements territoriaux de petites universités de province, on ne peut réellement réunir dans un même système des universités de recherche et des collèges universitaires, des établissements sélectifs ou non sélectifs, gratuits ou payants.

Si l’on veut rapprocher les universités et les grandes écoles pour les intégrer dans un système inspiré du modèle international, ceci ne peut s’envisager qu’en étendant les mêmes principes à l’ensemble de l’enseignement supérieur.

A l’international, cohabitent des universités de recherche, qui ont vocation à figurer dans les classements internationaux, ainsi que de petites institutions comme les colleges aux USA ou les écoles en France, qui peuvent être regroupés dans des systèmes à l’américaine, mais pas dans des « communautés à la française ». La taille des regroupements, leur gouvernance en articulation avec les établissements regroupés, la vocation nouvelle donnée à la régionalisation de l’enseignement supérieur (que certains dénoncent), sont des évolutions que la loi ne peut édicter, mais seulement accompagner.

Quelles que soient les péripéties qui nous attendent, Il est probable que nous finirons par sortir de l’organisation plus ou moins « jacobine » de l’enseignement supérieur que nous avons connue. Mais ceci ne peut se faire sans vision politique cohérente. Il serait regrettable qu’à vouloir ignorer les problèmes, on laisse se faire n’importe quoi, au gré de la conjoncture.

C’est la fin d’une partie. Attendons la suite !

  


[2] L’université Dauphine, s’étant, au fil des ans et de façon plus ou moins régulière, écartée de la règle générale en sélectionnant à l’entrée, jusqu’à obtenir sa transformation en grand établissement et en se distinguant par des frais d’inscription significatifs.

[3] Cependant le CPEF accueille 43% de boursiers.