Après 9 semaines de grèves, de manifestations, de blocages, le mouvement de protestation a fait reculer le gouvernement sur des aspects non négligeables, qu’il s’agisse des suppressions d’emplois, du décret sur les enseignants chercheurs désormais vidé de son contenu, du projet de « masterisation » renvoyé à plus tard, ou plus récemment encore de certains aspects de la réforme du CNRS[1]. Cependant les porte-paroles du mouvement, qu’il s’agisse de syndicalistes, de « gauchistes » ou de « participatifs »[2], considèrent qu’il s’agit de « simulacres », de « manœuvres dilatoires » et appellent à « maintenir toutes les formes de mobilisation ». Les syndicats autour du SNESUP réclament « le retrait du projet de décret sur les enseignants-chercheurs et du projet de décret sur le contrat doctoral, le retrait du projet de réforme actuelle de formation des enseignants et des concours de recrutement, et l’arrêt du démantèlement des organismes ». La « Coordination nationale des universités « exige le retrait du projet de décret sur les enseignants chercheurs, le retrait pur et simple et sans condition de la « masterisation », l’abrogation de la loi LRU et du Pacte pour la recherche, la dissolution de l’AERES et de l’ANR et le retrait du plan campus ». Sur le site « Universités et Universitaires en lutte » on peut lire en date du 28 mars : « Nous n’avons encore rien obtenu !! Il est pénible de lire sur certains messages que « beaucoup a été obtenu » (..) Aurons-nous le courage de demander jusqu’au bout l’abrogation de la LRU, de la LOLF, le retrait de la RGPP[3], la remise en cause du processus de Bologne ? »
A partir de là on peut se poser plusieurs questions. Tout d’abord une question « prosaïque » : Peut-on penser que l’Etat va capituler d’ici les vacances (de Pâques si possible…) ? La réponse est évidemment non. Pour l’instant, même si le mouvement universitaire est inhabituel par son ampleur et sa durée[5], il reste isolé et relativement « exotique » dans le contexte social du moment, qui est focalisé sur la crise économique et les suppressions d’emplois dans l’industrie et les services. Les revendications de fonctionnaires, certes méritants et mal payés, mais défendant sans risque des droits et des libertés qui leur sont propres, ont peu de chances de jouer un rôle d’entraînement. Evidemment si le pays sombrait dans la crise sociale ouverte, le contexte changerait. Mais on est loin de la révolte de la jeunesse de 1968. Les étudiants comptent peu et leurs désarrois devant l’avenir de leurs diplômes sont d’ailleurs minimisés. Par ailleurs, en dépit de l’unanimisme de la « révolte » contre les déclarations et les méthodes du président et de son gouvernement, et en dépit de ses raisons profondes, il faut bien admettre que cette révolte est hétérogène dans ses manifestations. On trouve des universités, des facultés, des IUT, où il ne se passe pas grand-chose, et d’autres qui sont en ébullition. Les universités de Sciences Humaines et Sociales dont la France s’est fait une spécialité, se distinguent nettement des grandes universités scientifiques par la virulence de la contestation, mais aussi par le caractère vivant des initiatives[6] et de la réflexion. La couverture médiatique leur est essentielle et les militants se plaignent volontiers de son caractère biaisé[7].
Un des aspects positifs de la crise actuelle, c’est que l’université s’interroge sur elle-même. Ce n’est pas la première fois depuis 1968 ; il y a déjà eu notamment, en 2004, les « Etats généraux de la recherche » qui abordaient nombre de sujets relatifs aux universités. Bien sûr, c’était à partir de la recherche, et les chercheurs - surtout de sciences dures - avaient imprimé leur marque à cette réflexion. Mais la préparation[13] de cette manifestation par des « comités locaux d’organisation » avait largement associé les universitaires, dans un esprit de rassemblement et d’ouverture assez remarquable qu’on ne retrouve malheureusement pas aujourd’hui. Une des fautes les plus graves du pouvoir politique fut de ne pas capitaliser cette mobilisation et de lui substituer une approche technocratique qui prétendait s’en inspirer, en court-circuitant en réalité les acteurs.
ANNEXE : ETATS GENERAUX DE LA RECHERCHE - MORCEAUX CHOISIS
Les Etats Généraux prônaient un équilibre entre « les organismes qui donnent sa dimension nationale à la politique de recherche » et les universités qui « doivent prendre en compte l’ancrage régional ». Mais il était admis que l’on repense le nombre et les contours des organismes : « Si la diversité des organismes est reconnue comme une richesse, le périmètre des EPST et des EPIC a vu sa cohérence diminuer avec le temps. Il conviendra donc de réexaminer le nombre, le contour et les missions des organismes ». Et l’on n’hésitait pas à mettre l’accent sur certaines carences propres à tous les opérateurs (organismes et universités) : « Une des faiblesses du système de recherche français dans sa forme actuelle réside dans le manque de capacité de correction de leurs faiblesses structurelles par les opérateurs de recherche. Cette carence réside en partie dans l’absence de mise en cohérence des évaluations faites à différents niveaux (laboratoires, personnels, recrutement) et d’analyse des conséquences pratiques de ces évaluations. De la même façon, la politique scientifique globale des opérateurs est peu évaluée ». La proposition était faite de « créer une instance unique, le Comité d’Evaluation des Opérateurs de Recherche (CEOR), pour remplir cette fonction ».
« Les modalités de constitution et de fonctionnement des structures décisionnelles dans les universités, définies par la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur, sont très peu adaptées à l’élaboration d’une politique scientifique. La loi doit donc être modifiée afin que ces modalités soient revues, et que les questions de recherche prennent une place beaucoup plus importante. Les nouvelles modalités doivent aboutir à ce que des scientifiques extérieurs à l’établissement participent à l’exécutif universitaire (notamment au CA et bien sûr au CS)[15] et à ce que les personnels actifs en recherche puissent y jouer un rôle plus important ».
L’autonomie des universités en matière de recherche était souhaitée : « Il s’agit en premier lieu d’augmenter significativement le budget dévolu à la Recherche des universités. (..) L’abandon progressif du financement direct par le ministère de ses équipes de recherche s’accompagnera de la gestion en propre de la partie de la dotation recherche de l’Université destinée à ce type de financement. (..) Actuellement, les universités sont en situation de faiblesse lors des discussions avec les organismes du fait que le ministère dispose, laboratoire par laboratoire, du financement de la recherche universitaire. Donner à chaque université des moyens pour mener une politique de recherche leur donnerait une parité dans leurs négociations avec les organismes ».
« L’évaluation n’a de sens que liée à des objectifs et suivie de décisions. (..) L’évaluation est réalisée au regard de l’ensemble des missions de la recherche publique, sur la base de référentiels explicités a priori pour les différentes activités et rendus publics. (..) Elle est réalisée au niveau national en s’appuyant si nécessaire sur des experts internationaux, pour ce qui concerne les activités de recherche dans leur globalité. Elle mérite, par contre, d’être déclinée au niveau local pour l’activité d’enseignement ».
« L’intérêt de statuts stables réside tant dans leur souplesse (..) que dans leur capacité à stimuler l’initiative et la prise de risques, dans des projets de long terme ».
D’autre part, il est recommandé de « mettre en place des postes d’accueil de chercheurs dans tous les établissements de recherche et d’enseignement supérieur, afin de faciliter les mobilités de fonctions ».
Sur une future agence de programmes
On regrette « l’absence d’un véritable mécanisme assurant un accès équitable au financement national de la recherche pour tous ses acteurs ».
Une fausse bonne idée : le « Haut Conseil de la Science »
Les Etats Généraux avaient fait une proposition à laquelle ils attachaient la plus grande importance : « Un Haut Conseil de la Science (HCS) capable d’auto-saisine est placé auprès de l’autorité politique. Il fournit des avis rendus publics, en vue d’une prise de décision éclairée et transparente sur les politiques de recherche. Ce conseil associera une majorité de scientifiques et des représentants de la société civile. Il constituera un outil essentiel pour que la communauté nationale puisse peser sur les grandes orientations scientifiques et que ces choix soient correctement traduits en termes de modalités d’orientation et de financement de la recherche ». La mise en place de ce HCS a obéi formellement à ces recommandations, mais cette institution a été un lamentable échec car ne jouissant pas de l’indépendance - assez utopique - dont avaient rêvé les participants des Etats Généraux. Rétrospectivement, comment aurait-il pu en être autrement ? Dans le régime présidentiel que nous connaissons, peut-on imaginer qu’un tel conseil, placé auprès du président, soit autre chose qu’un organe de godillots… D’ailleurs il n’a même pas été capable d’élaborer une « stratégie nationale de recherche et d’innovation » pour laquelle on a rassemblé divers comités sectoriels tout aussi formels[18].
[2] On disait jadis « spontanéistes ».
[3] La « Loi organique relative aux lois de finances » (LOLF) détermine la forme juridique du budget de l’Etat. La « Révision générale des politiques publiques » (RGPP) consiste en la définition et la mise en œuvre des réformes structurelles de l’Etat. Ces dispositifs dépassent évidemment largement le cadre de l’université et des organismes de recherche…
[4] P. Cahuc, A. Zylberberg : « Les réformes ratées du président Sarkozy ». Flammarion (mars 2009).
[5] Il faut sans doute remonter 30 ans en arrière, pour trouver un mouvement d’ampleur comparable, contre la réforme de Mme Saunier-Seité.
[6] Comme les « rondes des obstinés », les lectures publiques de « La Princesse de Clèves »… Voir par exemple la vidéo « Fac off Princesse de Clèves ».
[7] Voir par exemple H Maler, O. Poche : « Le Monde et le mouvement universitaire ». Acrimed (18 mars 2009).
[8] Voir par exemple G. Azam : « Du processus de Bologne à la la LRU, une catastrophe annoncée ».
[9] L’Allemagne avait inventé, lors de la fondation de l’Université de Berlin par Humboldt (1812), un modèle d’institution universitaire fondé sur deux principes : celui de l’autonomie de l’Université ; celui d’un savoir conçu comme formant par lui-même les étudiants. L’Université humboldtienne est morte avec l’ouverture de l’enseignement supérieur à un large public, dans les années 1970-1990.
[10] Le rectorat de Paris a rendu public le 30 mars 2009 les voeux d’orientation des lycéens franciliens, enregistrés sur le site internet « admission post-bac ». 87 313 élèves de terminale ont porté leur choix sur une classe préparatoire, un BTS ou un IUT (66,9%). 27,6 % d’entre eux visent une inscription en licence à l’université.
[11] Voir par exemple l’interview du président de Rennes 2 dans Challenges.
[12] Voir « Dur dur d’être président d’université par les temps qui courent » in JFM’s blog.
[13] Cette préparation fut orchestrée par le « Comité d’initiatives et de propositions » présidé par Edouard Brézin président de l’Académie des Sciences, et par le mouvement « Sauvons la Recherche » de l’époque.
[15] Dans une version préliminaire, il était envisagé que le CS compte une moitié de membres extérieurs.
[16] On peut regretter que cette idée n’ait pas été soutenue par les syndicats…
[17] C’est un peu – mis à part le statut juridique - la structure de la DFG allemande qui est suggérée.
[18] Sans parler des forums « participatifs » que le ministère de la recherche vient de mettre en ligne !