Note : Ce texte tire profit d’un échange stimulant avec un scientifique français expatrié depuis 10 ans, après avoir exercé des fonctions d’enseignement et de recherche au cœur du système universitaire français.
LE CONTEXTE
En France le statut des universitaires et des chercheurs d’organismes est un statut de fonctionnaire. Mais à côté des fonctionnaires on trouve, en nombre croissant, des personnels précaires qui bénéficient de contrats, publics ou privés, éventuellement reconductibles. La moitié des crédits de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) est consacrée à la rémunération de contractuels. Dans certaines disciplines (sciences de la vie notamment) l’enchaînement des postdocs par les jeunes docteurs s’apparente à de l’emploi précaire. La loi de 2007 sur les universités leur ouvre la possibilité de recruter des personnels contractuels d’enseignement ou de recherche (dans la limite d’un plafond budgétaire). Ainsi s’accentue la dichotomie entre ceux qui sont assurés de la sécurité de l’emploi dès le début de leur carrière et les autres qui ont peu de chance de les rejoindre.
S’agissant des chercheurs permanents à plein temps, le fonctionnariat précoce prête à critique depuis longtemps. Il était possible jadis d’entrer au CNRS comme attaché de recherche contractuel avant d’avoir terminé sa thèse (doctorat d’Etat, il est vrai) . En 1980 la limite d’âge pour l’entrée au CNRS était de 27 ans [1]. Après la fonctionnarisation des chercheurs, la tendance a été d’exiger bien plus que la thèse, ce qui a entraîné un recul de l’âge de recrutement. En 1990 la moyenne d’âge des recrutements CR2 était de 36 ans, ce qui avait conduit à fixer une limite d’âge à 31-32 ans [2]. L’âge moyen du recrutement en CR1 s’est stabilisé à 35-36 ans, (pour un nombre limité de postes[3]). Il y a d’un côté la tentation de reculer l’âge du recrutement pour récupérer des gens qui ont déjà fait leurs preuves (projet d’augmenter le nombre de recrutements au niveau CR1)[4], mais de l’autre le souci d’attirer très tôt les jeunes les plus brillants par une stabilité de l’emploi précoce, compte tenu de salaires qui restent modestes.
S’agissant des enseignants chercheurs, le recrutement direct sur un poste permanent n’offre pas le même dilemme dans la mesure où les recrutés auront de toute façon une tâche d’enseignement, quel que soit leur parcours scientifique ultérieur. Mais le métier d’enseignant chercheur ne peut se réduire à une charge d’enseignement règlementaire égale pour tous, fixée indépendamment des autres activités. La fiction d’une carrière uniforme pour tous les enseignants chercheurs n’est pas tenable. La possibilité qui est maintenant offerte aux universités de moduler les services pourra, si elle est utilisée, apporter un début de réponse à cette objection.
Le recrutement sur un poste permanent offre, il est vrai, une indépendance et une liberté d’esprit propice à la recherche. Mais la fonctionnarisation précoce a plusieurs conséquences négatives. Tout d’abord, il est difficile de juger d’emblée des potentialités des jeunes recrutés, et ceci conduit à les traiter tous sur une base minimale. D’autre part les jeunes docteurs, dès l’achèvement de leur thèse, sont obsédés par un recrutement rapide. Ils répugnent à faire un post-doc et quand ils le font, c’est plutôt dans les disciplines où les opportunités de recrutement sont les plus faibles. Ainsi alors qu’au sein des sciences l’âge d’obtention du doctorat est aujourd’hui à peu près le même (de l’ordre de 28 ans) il en va autrement du temps d’attente avant le recrutement. C’est en sciences de la vie que ce temps d’attente est le plus long et que le post-doc est le plus fréquent et dure le plus longtemps.[5]
Ainsi le post-doc n’est pas vécu comme une période stimulante de la carrière, mais comme une position d’attente ou, si les post-docs s’enchaînent, comme une voie de garage. Ces post-docs se déroulent très majoritairement à l’étranger, principalement aux USA. « Seule la France oublie la notion de post-doc » s’écriait Claude Desplan, biologiste, chef de labo expatrié à New York University, dans un dossier du Monde, il y a quelques années[6].
Certes il y aurait entre 2000 et 3000 post-docs français aux USA[7], mais bien souvent quand un jeune français commence à être productif dans son post-doc, il quitte le job pour revenir en France sur un « poste », « mot magique qui signifie la sécurité pour la fin de ses jours »[8]. Ce qui est une absurdité car il perd la chance de devenir autonome. Mais la fascination de l’emploi permanent est trop forte, ou plutôt la crainte de la sanction ultérieure à laquelle il s’exposerait s’il refusait le « poste » à ce moment de sa carrière. Cette logique de la sécurité peut être plus forte que la logique de la progression scientifique personnelle.
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