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L’avenir des universités à quitte ou double

Ceux qui ont lu le Canard Enchaîné du 4 mars 2009 ont pu y découvrir avec étonnement un article intitulé « Sarko ordonne la retraite aux « cons du ministère » » qui rapporte les propos suivants du président : « Je ne veux plus voir les enseignants, le chercheurs et les étudiants dans la rue ! Fini le projet de décret. Fini aussi la suppression des IUFM. Vous me réglez ça. Vous vous couchez. Je m’en fous de ce que racontent les cons du ministère ! S’il le faut, vous n’avez qu’à faire rédiger les textes par les syndicats, mais qu’on passe à autre chose ! On a bien assez de problèmes comme ça. De toute façon, ce n’étaient que des projets de merde ». Ces propos n’ont pas été démentis. Au contraire, ils sont plus ou moins confirmés par tous les « cons du ministère » qu’on rencontre.

On peut d’ailleurs constater que Valérie Pécresse a commencé à « se coucher » et a fait effectivement rédiger une nouvelle version de son décret par les syndicats – ceux qui avaient été assez gentils pour participer à ses réunions de concertation. Il faut mettre des lunettes pour distinguer en quoi ce nouveau décret diffère vraiment de celui de 1984. Certes on y prononce le terme de « modulation des services »[1], mais les conditions dont on l’assortit affaiblissent sa portée (y compris dans le sens positif de libérer du temps pour la recherche). S’il y a quelque chose de nouveau, c’est l’évaluation systématique, prévue tous les quatre ans, des enseignants chercheurs par le CNU. Il faut bien dire que cette opération bureaucratique, au demeurant difficile à mettre en œuvre - voire même irréaliste s’il s’agit d’évaluer autre chose que la recherche -  pourrait être considérée comme un recul des libertés universitaires. Mais comme c’est le CNU qui est censé la mettre en œuvre et que les syndicats de droite et de gauche aiment bien leur CNU, tout le monde trouve ça très bien… Ces nouveautés mises à part, il vaut mieux parler de stabilisation du statu quo. Fallait-il une telle débauche d’énergie pour parvenir à un toilettage finalement aussi anodin du décret de 84 ? C’est un dégât collatéral de la LRU dont le système de gouvernance n’a inspiré aucune confiance dans les pouvoirs nouveaux qui étaient donnés aux présidents d’universités dans la mouture initiale du texte.

RHéTORIQUE CONTRE RHETORIQUE

S’agissant de ce fameux projet de décret, le SNESUP reconnaît « qu’il y a eu des inflexions, mais qu’elles sont loin d’être suffisantes », sans doute ulcéré d’avoir raté l’aubaine que constituait cette « négociation » avec un ministère en position de faiblesse[2]. Il est vrai que le SNESUP ne pouvait guère se permettre de se couper de la partie la plus « gauchiste » du mouvement, incarnée par la « Coordination Nationale des Universités » dont la position est radicale et sans appel[3] : « La réécriture du décret est inacceptable dans la mesure où elle maintient les orientations du premier texte contesté ». La coordination « exige le retrait de ce projet, l’abrogation de la loi LRU et du pacte pour la recherche ». Elle exige aussi « le retrait pur et simple et sans condition de la « masterisation » qui porte atteinte à la démocratie et aux principes de l’école laïque ». Et pour faire bon poids, elle réclame « la dissolution de l’AERES et de l’ANR » et « le retrait du plan campus »… Son long communiqué néo-soixante-huitard (la poésie en moins) fait l’inventaire de tant de problèmes qu’on est un peu déçu de ne pas y trouver, à la fin, un appel à la révolution[4].

A la rhétorique sarkozienne de la modernisation et des réformes, répond du côté des plus radicaux une rhétorique de la lutte contre la « casse du service public », qui réclame l’abandon inconditionnel de tout milligramme de réforme. On peut trouver à cette position jusqu’au-boutiste une « cohérence politique » mais, s’agissant de l’avenir de l’université, c’est une position objectivement conservatrice qui sous-entend que le système préexistant était satisfaisant et qu’il n’est pas besoin de le réformer. Du coup, il est moins étonnant de voir s’établir sur le terrain une jonction entre les « gauchistes » de la Coordination et les « réactionnaires » du Syndicat Autonome qui appelaient à la manifestation du 5 mars en s’écriant : « on verra alors qui fait marcher l’Université ou plutôt, qui est l’Université »[5]. Qui est l’université ? Voilà en effet une question qu’on pourrait se poser en voyant côte à côte des forces aussi disparates…

ET MAINTENANT ?

Il est vraisemblable que Valérie Pécresse va continuer à « se coucher », quels que soient ses mérites personnels… Que peut faire une ministre dont le temps est compté et qui n’est plus soutenue par son président ? Cela encourage les jusqu’au-boutistes : « il n’y a qu’à continuer pour lui faire toucher les épaules par terre ! ». Mais que deviendra l’université française au terme de cette lutte prolongée (de nombreux mois de grèves, de blocages, s’il fallait s’en tenir au programme de la Coordination) ? Les effectifs étudiants avaient déjà nettement baissé ces deux dernières années[6], en partie au profit des CPGE. Si le mouvement actuel se terminait en pourrissement, il y a fort à parier que cette tendance s’accélèrerait au-delà des prévisions actuelles déjà pessimistes[7]. Après avoir proclamé qu’il entendait « mettre l’université au centre du système de recherche », N. Sarkozy pourrait bien d’ailleurs, dans un balancement dont il a le secret, laisser retomber l’université dans un grand trou et se tourner vers les grandes écoles et les CPGE où, il faut le souligner, pas un souffle de vent de la tempête universitaire n’est venu troubler le cours des choses[8]. La Coordination, si violente par ailleurs, n’a pas un mot pour demander « l’abolition » des classes préparatoires, se contentant de réclamer « l’alignement du taux d’encadrement des premiers cycles universitaires sur celui des CPGE ». Cette acceptation implicite des CPGE est « scandaleuse » (pour parler le même langage que la Coordination).

Finalement nous échapperons peut-être à « l’université entrepreneuriale », mais ce sera pour finir comme « réserve d’indiens »…

La sortie de crise ne dépend pas que de l’évolution du projet de décret sur le statut des enseignants chercheurs, ni même du recul du ministère sur les autres mesures explicitement contestées. Les textes sujets de négociation sont des abcès de fixation. Ils ont pris une importance démesurée à cause des déclarations de N. Sarkozy qui leur ont donnés un éclairage inquiétant. Et c’est vrai qu’il vaudrait mieux en finir avec ces « réformes de merde ». Car l’essentiel n’est pas là.

NEGOCIER UN « NOUVEAU CONTRAT »

Il faut être aveugle pour ne pas voir que le contrat entre l’université et la société est en train de changer, partout dans le monde. L’université française est restée immobile car elle a été marginalisée par notre système hyper-élitiste des écoles. Elle est rattrapée aujourd’hui par le mouvement. Plutôt que de tenter une résistance désespérée et de se cramponner à un modèle dépassé, mieux vaudrait se battre pour négocier au mieux les termes d’un « nouveau contrat », en préservant ce qui fait le coeur de notre métier.

L’université et la recherche méritent d’être réformées sur bien des points. Il faut un rapprochement des universités, des organismes de recherche et des grandes écoles. Il faut davantage de mobilité entre les carrières de chercheurs et d’enseignants chercheurs. Dans les universités, il faut imposer des modes d’organisation internes qui concilient un pouvoir présidentiel avec les compétences légitimes de la communauté académique. On peut défendre le CNRS tout en voulant réformer son organisation[9]. Beaucoup d’universitaires, les plus ouverts sur le monde, voient dans l’autonomie des universités la mesure qui peut les sauver, même s’ils en contestent les modalités.

Contre le danger d’une glaciation, il faut prendre le risque d’une stratégie de compromis. Encore faut-il que le pouvoir politique infléchisse sa stratégie d’ensemble. Il conviendrait de prendre davantage en considération les aspects conflictuels de la réforme actuelle, qui expriment ses contradictions d’objectifs et de méthodes. Au-delà de la négociation sur les mesures les plus directement contestées, il faut rendre la main aux universitaires et aux chercheurs, leur proposer de nouvelles formes d’organisation, mais les accompagner dans cette évolution, plutôt que de vouloir les contraindre. Il faut un cadre général qui donne des garanties de part et d’autre, mais qui laisse de grandes marges d’initiative. L’autonomie, c’est d’abord faire confiance aux acteurs scientifiques, et non pas les déposséder au profit de « managers ».

Par ailleurs, n’oublions pas que la volonté de réforme peut détruire ce qui marche au profit de ce qui reste à construire dans les universités. On peut regretter que les réformes n’aient pas eu un caractère progressif, respectant les situations locales et le rythme de chaque université. On n’en serait pas aujourd’hui à jouer notre avenir à quitte ou double.



[1] Rappelons que la modulation avait été réclamée par les scientifiques lors des « Etats Généraux » de 2004. Voir « Modulation des services et gouvernance universitaire » in JFM’s blog. Certaines universités l’appliquent déjà « à la limite  de l’illégalité » selon une expression de Yannick Vallée dans son interview « Refuser la modulation des services, c’est avoir peur de son ombre ». Dépêche AEF 110314 du 9.03.09.

[2] Le SNESUP a tenté de rattraper la chose en se faisant recevoir tout seul par Valérie Pécresse le 4 mars…

[4] On y trouve quand même un appel pour une mobilisation à l’occasion d’un prochain sommet européen portant sur la « stratégie de Lisbonne ».

[6] D’après une note DEPP de novembre 2008, le nombre d’étudiants (hors IUT) aurait diminué sur 2 ans de 4,5 % (environ 60.000 étudiants). Les effectifs des IUT sont restés plutôt stables, mais ceux des CPGE ont augmenté de près de 4%. La DEPP prévoit que cette double tendance (baisse des filières générales et augmentation des CPGE) devrait se poursuivre sur la période 2007-2017.

[7] Ibid. Si ça continue, nous n’aurons bientôt plus grand-chose à faire dans les universités françaises, ce qui facilitera la modulation des services…

[8] Nos collègues enseignants-chercheurs et chercheurs n’ont pas souci à se faire : leurs rejetons qui sont ou seront en majorité élèves dans ces havres de tranquillité, n’auront pas à pâtir des grèves de cours ou des rétentions de notes…

[9] Dans son texte “Le pouvoir et les chercheurs : un dialogue difficile” (qui a reçu l’aval d’une vingtaine d’académiciens physiciens), Philippe Nozières, médaille d’or 1988 du CNRS, défend résolument le CNRS tout en « approuvant sans réserve » son évolution en instituts. Il dénonce la lourdeur de son administration qui pèserait, selon lui, 25% des effectifs !