Imprimer cet article Imprimer cet article

L’avenir des regroupements universitaires

Une des dispositions les plus neuves de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de 2013 prévoyait explicitement des regroupements d’établissements qui pouvaient prendre plusieurs formes : fusion, fédération, association[1].

Les fusions ont concerné la recomposition, dans certaines métropoles provinciales, d’universités qui avaient été découpées en 68 pour des raisons plus politiques que scientifiques. C’est le cas, par exemple, à Strasbourg, à Grenoble, à Clermont-Ferrand. C’est aussi le cas, de façon plus complexe, à Bordeaux et à Aix-Marseille. Il reste à voir si ces universités fusionnées fonctionneront comme une seule université…

En dehors de la fusion, la loi prévoyait : «Sur un territoire donné, qui peut être académique ou inter-académique, sur la base d’un projet partagé, les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du seul ministère chargé de l’enseignement supérieur et les organismes de recherche partenaires coordonnent leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert. Les établissements d’enseignement supérieur relevant d’autres autorités de tutelle peuvent participer à cette coordination et à ces regroupements ». La structure proposée est une « communauté d’universités et d’établissements » (Comue) qui est un Epscp regroupant obligatoirement tous les établissements d’un même territoire dépendant du MESR (à l’exception notable de l’Ile de France) et facultativement les autres établissements d’enseignement supérieur.

 Les principales compétences confiées aux Comue concernent la coordination régionale (contrat de site unique et coordination territoriale par un seul établissement). En plus de ces compétences obligatoires, chaque membre d’une Comue peut lui transférer des compétences sans perdre sa personnalité morale.

Une Comue peut employer des personnels, collationner des diplômes, mener des activités de recherche et être tutelle de laboratoires. En matière de gouvernance, elle se différencie d’une université classique par une composition moins stricte des conseils centraux, mais ceux-ci sont majoritairement élus. Elle ne peut déroger aux règles applicables aux universités en matière de sélection et de frais d’inscription.

Nous avons déjà parlé ici de ces regroupements, en les replaçant dans le contexte international. Dans les articles en référence[2] j’ai discuté le pourquoi des communautés. Les réponses que l’on fait sont souvent peu convaincantes. L’argument le plus compréhensible est celui de la territorialisation de l’enseignement supérieur, même s’il peut être discuté. Si l’on poursuivait cette logique on pourrait avoir des regroupements qui rappellent les « state systems » des Etats-Unis. Mais le contexte est bien différent. L’instauration de ces communautés d’universités et d’établissements, qui peut paraître un principe unificateur, est en fait une façon de hiérarchiser les universités sans le dire, et une façon détournée de faire évoluer leur gouvernance. 

Les regroupements qui se déglinguent

A Paris où il n’y avait pas unicité territoriale d’un regroupement, la situation s’est passablement détériorée depuis 4 ans.

Ainsi, par exemple, par un vote de son CA en date du 17.11.2016, l’université Panthéon Sorbonne (40.000 étudiants) vient de claquer la porte de son regroupement « Hautes Ecoles Sorbonne Arts et Métiers » (HESAM). Ce regroupement rassemblait au départ 11 partenaires dont le Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), Arts et Métiers Paris Tech, l’ENA et l’ESCP Europe. En 2014 déjà 5 établissements avaient quitté HESAM : l’EHESS, l’EPHE, l’Ecole Nationale des Chartes, l’Ecole Française d’Extrême Orient et la Fondation des Maisons des Sciences de l’Homme. Rappelons que l’appartenance à un pôle est en principe obligatoire de par la loi de 2013…

La Comue Sorbonne Paris Cité regroupant Sorbonne Nouvelle (Paris 3), Paris Descartes (Paris 5), Paris Diderot (Paris 7) s’est lancée dans une opération de fusion dont a été exclue Paris 13 [3]. La finalisation de cette opération est chaotique et reste aujourd’hui encore problématique.[4]

Les universités Pierre et Marie Curie (Paris 6) et Paris Sorbonne (Paris 4) se déclarent sur la voie d’une fusion. Mais elles étaient initialement associées à Panthéon Assas (Paris 2) qui n’a pas souhaité entrer dans une Comue avec elles.

A l’université Paris Saclay qui regroupe en principe 18 membres, c’est une guerre larvée qui n’est pas près de s’éteindre. Le modèle de la fusion est totalement irréaliste. C’est aussi le cas de Paris Sciences et Lettres (PSL). Ces deux regroupements souhaitent vivement un assouplissement des règles (voir plus loin).

Ces problèmes sont particulièrement aigus en Ile de France, mais on les retrouve aussi dans d’autres régions où les regroupements sont artificiels et aléatoires. C’est le cas par exemple de la Comue Léonard de Vinci qui rassemblait 5 universités (La Rochelle, Tours, Orléans, Limoges, Poitiers) et qui est en train de se désagréger parallèlement à la constitution des nouvelles régions. La Rochelle se rapproche des établissements de la région « Nouvelle Aquitaine », tandis que les universités d’Orléans et de Tours vont se recentrer sur le « Val de Loire ». Mais Limoges et Poitiers qui sont en « Nouvelle Aquitaine » ne souhaitent pas s’associer à Bordeaux et semblent reprendre à leur compte la Comue Léonard de Vinci…

Quelles perspectives ?

A la veille d’un chambardement politique qui ne les prend guère en considération, les universités se retrouvent dans une situation plutôt chaotique. La loi de 2013 a ouvert quelques voies, mais la rigidité des dispositifs possibles conduit à plus d’interrogations que de réponses.

Le rapport IGAENR 2016-072 de Jean-Richard Cytermann essaye d’introduire plus de souplesse dans les voies de regroupement ; mais il arrive un peu tard. L’idée est de simplifier les instruments de coordination territoriale, en articulation avec les initiatives d’excellence.

D’une part, il s’agirait de faciliter la fusion d’établissements, en donnant la capacité d’intégrer des établissements autres que les universités.

D’autre part, permettre à chaque établissement membre d’un regroupement de garder sa personnalité, tout en donnant aux regroupements des compétences qui concrétisent une intégration réelle.

Le rapport propose de rendre possible le statut de grand établissement lorsqu’on fusionne des établissements dont l’un au moins a un statut autre qu’université. Ainsi les écoles auraient vocation à demeurer comme composantes identifiables d’un établissement fusionné, avec la possibilité de maintien transitoire de la personnalité morale. Les grands établissements peuvent déroger aux règles des universités classiques (les membres des conseils centraux peuvent être nommés et non élus). Mais la loi de 2013 a limité le statut de grand établissement aux institutions ayant des spécificités liées à leur histoire, dont l’offre de formation ne comporte pas la délivrance de diplômes pour les 3 cycles.

Par ailleurs, le rapport fait diverses propositions pour constituer des Comue plus intégrées, sans nouvelle mesure législative, avec un minimum d’intégration budgétaire, un contrat de site unique (signé par tous les établissements membres), des règles communes en matière de ressources humaines, une plus grande décentralisation pour les affaires de diplomation, et l’expérimentation de formes plus intégrées de la recherche.

On retrouve ce type de préoccupations dans les propositions « testamentaires » que fait Laurent Batsch au moment de quitter la présidence de Paris-Dauphine. Son texte[5] porte sur l’alternative « intégration ou fusion », le pilotage et la gouvernance, l’enjeu de la subsidiarité au sein de Paris Sorbonne Lettres (PSL).

Pour PSL la fusion n’est pas une option affirme Laurent Batsch, même s’il admet qu’elle puisse apparaître comme telle pour d’autres universités (Strasbourg, Bordeaux, Aix-Marseille). D’autres processus que la fusion peuvent déboucher sur un degré d’intégration organisationnelle aussi élevé, sinon plus.

Pour lui la voie de l’intégration sans fusion oblige à penser un mode original de fonctionnement qu’il désigne par « une structure matricielle ». L’université cible (qui se présentera aux classements comme institution) impulse une politique scientifique commune, harmonise ses standards de recrutement, partage un certain nombre de services transversaux, s’engage dans des partenariats internationaux globaux. Reste la question d’un budget spécifique pour réaliser cette politique… 

Pour Laurent Batsch la structure fédéraliste de PSL comporterait un CA composé majoritairement de représentants des établissements membres. PSL apparaîtrait comme une filiale commune des établissements membres. Les établissements conservant leur personnalité morale, un certain nombre d’actions se dérouleraient plus efficacement à leur niveau qu’à celui du groupement.

Les idées de Laurent Batsch ne sont pas généralisables, mais nous font sortir des généralités inapplicables.

En guise de conclusion

La période récente a marqué un début de révolution dans les idées que nous avions sur l’organisation des universités et des grandes écoles. Cela ne s’est pas encore traduit par des évolutions significatives à cause de la rigidité sociale et étatique de notre système et de son financement. Il faut y introduire davantage de souplesse.

Il y a trop souvent la volonté de tout résoudre centralement, et sans bousculer les vrais tabous français, notamment la sélection et la quasi-gratuité. On ne peut pas avoir, d’un côté des écoles super-sélectives et de l’autre une université où la sélection en master suffit à déclencher la guerre. D’autre part le secteur de l’éducation supérieure est de plus en plus cher, et trop cher pour les finances publiques[6], ce qui pose de graves interrogations sur « qui va payer »…

De grandes questions vont se poser dans les années qui viennent, auxquelles on ne pourra pas répondre de façon « jacobine ». Les regroupements ne se feront pas dans un sens unificateur. On ira, au contraire, vers une différenciation accrue. De ce point de vue la notion de Comue est encore trop homogène. Et on ne peut pas espérer donner une solution homogène à des problèmes complexes.

S’agissant de la gouvernance, on ne devrait pas donner le pouvoir aux seuls universitaires, mais à des conseils d’administration majoritairement composés de membres externes à la communauté universitaire : c’est un sujet que j’avais déjà abordé [7], mais qui apparaît pour l’instant un peu trop « révolutionnaire » dans notre monde universitaire français assez figé.

Reste la question de l’égalité qui est un principe républicain qu’on ne doit pas évacuer. Contrairement aux grandes affirmations, cet idéal d’égalité est bafoué dans le système centralisé actuel. Mais on ne peut pas s’en tirer par une différentiation tous azimuts. C’est un sujet que nous ne manquerons pas d’aborder ultérieurement.

 


[1] Dans le cas de l’association, le regroupement n’a pas beaucoup de substance en  lui-même. Nous n’en parlerons pas ici.

[6] Aux USA la part publique du budget est résiduelle – de l’ordre de 20%.