Face à l’agressivité d’un pouvoir politique qui ne démontre guère son intelligence des réalités de l’enseignement supérieur et de la recherche, la corporation universitaire a réagi avec une violence bien compréhensible. Voilà des gens d’un haut niveau de qualification qui sont mal payés, mal considérés, travaillent dans un environnement peu reluisant, et auxquels on voudrait imposer des réformes mal conçues ! Il est naturel qu’ils se révoltent. Pourtant, quelle que soit l’issue - provisoire - du conflit, on ne peut se défaire d’un sentiment de malaise à voir la façon corporatiste dont certains collègues réagissent, à écouter les discours excessifs et parfois sectaires qu’ils tiennent, et à essayer de démêler les contradictions des positions qu’ils défendent.
Un juriste de mes amis, esprit acéré, m’écrit : « chaque jour, je constate avec plus de force que je suis rétif à la rhétorique syndicale qui mêle plus ou moins habilement des considérations raisonnables avec des revendications qui le sont moins. Que de petits intérêts on cherche à promouvoir derrière la défense de l’Université ! Que Sarkozy et Pécresse ne veuillent pas beaucoup de bien aux universitaires, qu’ils ignorent sans doute ce qu’est réellement une université et qu’un objectif bassement financier sous-tende le projet de texte me semble peu contestable. Mais, il ne me paraît pas moins évident que certains de nos collègues ne semblent pas avoir pris la mesure exacte des défis auxquels l’Université est confrontée et qui appellent autre chose qu’un repli frileux sur leur propre sort de “chercheurs-savants” indifférents aux “tâches d’intérêt général” au point de ne pas savoir ce que veut dire l’expression. Tout cela me désole et montre à quel point notre corporation est malade ».
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Après 9 semaines de grèves, de manifestations, de blocages, le mouvement de protestation a fait reculer le gouvernement sur des aspects non négligeables, qu’il s’agisse des suppressions d’emplois, du décret sur les enseignants chercheurs désormais vidé de son contenu, du projet de « masterisation » renvoyé à plus tard, ou plus récemment encore de certains aspects de la réforme du CNRS[1]. Cependant les porte-paroles du mouvement, qu’il s’agisse de syndicalistes, de « gauchistes » ou de « participatifs »[2], considèrent qu’il s’agit de « simulacres », de « manœuvres dilatoires » et appellent à « maintenir toutes les formes de mobilisation ». Les syndicats autour du SNESUP réclament « le retrait du projet de décret sur les enseignants-chercheurs et du projet de décret sur le contrat doctoral, le retrait du projet de réforme actuelle de formation des enseignants et des concours de recrutement, et l’arrêt du démantèlement des organismes ». La « Coordination nationale des universités « exige le retrait du projet de décret sur les enseignants chercheurs, le retrait pur et simple et sans condition de la « masterisation », l’abrogation de la loi LRU et du Pacte pour la recherche, la dissolution de l’AERES et de l’ANR et le retrait du plan campus ». Sur le site « Universités et Universitaires en lutte » on peut lire en date du 28 mars : « Nous n’avons encore rien obtenu !! Il est pénible de lire sur certains messages que « beaucoup a été obtenu » (..) Aurons-nous le courage de demander jusqu’au bout l’abrogation de la LRU, de la LOLF, le retrait de la RGPP[3], la remise en cause du processus de Bologne ? »
Ainsi on veut le « retrait » de tout ce qu’a fait le gouvernement. On pourrait être conforté dans ce point de vue par le bilan négatif qui peut être fait de nombre de réformes entreprises par N. Sarkozy[4]. La logique voudrait d’ailleurs que l’on réclame le « retrait » du président lui-même… On voit donc qu’il ne s’agit plus seulement de la réforme du système d’enseignement supérieur et de recherche, mais d’une contestation frontale de la politique actuelle. On me dira que ce n’est pas nécessairement le point de vue de l’ensemble des universitaires et chercheurs impliqués dans le mouvement, ceci d’autant plus que des collègues politiquement à droite s’y sont associés. Mais c’est quand même l’expression publique dominante de ceux qui appellent aux manifestations.
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